Carnets rouges n°22 | Mai 2021
Libertés et responsabilités pour une école démocratique
Sommaire
L’Édito | Patrick Singéry
Il s’agit par ce titre de sans cesse (re)donner vie à ces mots que le néolibéralisme instrumentalise, vitrifie, assèche en les privatisant pour en tirer un profit symbolique maximum. Mais force est aussi de constater que ces mots courent le risque d’être fétichisés par ceux-là mêmes qui affirment une réelle volonté de transformer « l’ordre » social et scolaire dominant.
Le dossier
Enseignant, fonctionnaire et citoyen | Gérard Aschieri
Face aux tentations managériales et autoritaires qui se développent pour encadrer et corseter le métier d’enseignant au service d’une politique néo libérale, le statut de fonctionnaire dont relèvent les enseignants est à la fois la garantie d’un exercice responsable et citoyen de leur métier et la réponse aux besoins d’un service public assurant à tous l’accès à une éducation de qualité
Selon Condorcet ou Robespierre, quelles libertés accorder à l’école et aux enseignants ? | Jean-Pierre Véran
Même s’il est toujours réducteur de faire de deux grandes figures les représentants d’options politiques et éducatives antagoniques, l’étude des positions qu’elles ont effectivement défendues permet aussi de dissiper des représentations schématiques et d’éclairer des orientations qui structurent encore aujourd’hui le débat éducatif, comme par exemple la liberté pédagogique vs le contrôle des parents.
Le métier enseignant sous contraintes | Adrien Martinez
Le métier d’enseignant subit à la fois des mécanismes de contrôle relevant d’une prolétarisation, et d’autres utilisant les techniques managériales les plus actuelles. Nous faisons face à une écologie complexe de la mise sous tutelle de l’agir enseignant, qu’il faut appréhender pour libérer le travail à l’école.
La souveraineté sur le travail | Nicolas Go
La proposition d’une « école démocratique » ne peut pas être entendue comme allant de soi. Elle est précisément ce qui fait problème. Je propose ici une courte discussion en introduisant quelques concepts susceptibles de contribuer à clarifier la position du problème, et à dessiner des orientations pratiques et théoriques pour sortir de la forme scolaire. Je propose une nouvelle définition de la « pédagogie », alternative égalitaire à une « scolastique » millénaire, en introduisant dans le champ éducatif le concept politique de souveraineté des travailleurs sur le travail. La coopération, sous certaines conditions, en constitue l’organisation sociale adéquate.
Libertés académiques en danger | Sylvie Bauer
Parmi les principes qui guident l’Université française depuis ses débuts, les libertés académiques forment un socle sur lequel repose l’indépendance de l’enseignement et de la recherche, seule à même de contribuer à l’émancipation de chacun.e. Entre projets de lois liberticides et polémiques violentes, ces libertés sont régulièrement attaquées, alors que les acteurs de l’Université ne cessent de les défendre.
Le programme n’est pas l’alpha et l’oméga du métier d’enseignant | Denis Paget
La notion de « programmes » d’enseignement est une notion trop étroite pour définir ce que doit être une éducation partagée par tous les enfants de notre pays. Ils ne s’incarnent que dans la seule juxtaposition de savoirs disciplinaires, ils ne font sens qu’auprès de ceux qui en connaissent très tôt les codes et les implicites et qui sont capables d’établir des liens que les concepteurs eux-mêmes n’ont pas vraiment réfléchis. Les enseignants sont pris en tenaille entre ces prescriptions rarement justifiées et la réalité quotidienne des élèves : ils aspirent contradictoirement à une « liberté pédagogique » et à des « programmes nationaux » fixant plus ou moins étroitement les consignes de leur métier. Ne faudrait-il pas sortir de cette tenaille (programmes / liberté pédagogique) qui empêche de penser à la fois le sens de ce que l’on enseigne et les ressources collectives pour y parvenir ?
Les enjeux idéologiques des programmes de maternelle | Christine Passerieux
Quelles missions sont assignées à l’école maternelle au-delà des grandes déclarations de principe ? Pourquoi remettre en cause les programmes de 2015, dans une accumulation depuis 2017 de textes, de décrets, de prescriptions dont les orientations idéologiques promettent l’aggravation du creusement des inégalités ?
Apprentissage de la lecture : les stratégies d’une reprise en main… | Paul Devin
Dans les querelles sur l’apprentissage de la lecture, il est courant d’opposer la liberté pédagogique des enseignants à leur responsabilité à faire réussir leurs élèves. Le débat est légitime s’il s’inscrit dans les controverses nécessaires aux choix servant la démocratisation des usages de l’écrit. Mais il ne peut être le prétexte d’une injonction à se soumettre aux impératifs d’une méthode officielle unique.
Ouvrir l’enseignement des sciences aux pratiques de savoirs critiques ? | Christian Orange
Nul doute, la formation de « l’esprit critique » est annoncée comme un objectif majeur de notre système scolaire. Un document du site officiel Eduscol1, ne déclare-t-il pas « L’esprit critique, fil rouge des enseignements et finalité majeure de l’école ». Chaque domaine et chaque discipline est censée y contribuer. Peut-on affirmer pour autant que les enseignants sont en situation, de par les indications qui leurs sont fournies, de pouvoir exercer cette responsabilité ? Nous posons ici cette question d’un point de vue didactique et dans le cas particulier de l’enseignement de la biologie et de la géologie, en espérant que cela puisse faire écho pour d’autres domaines de savoirs.
Les SES et les valeurs républicaines | Jean-Yves Mas
La question de la neutralité axiologique a souvent été évoquée à propos de l’enseignement des SES, car il a souvent été reproché aux professeurs de SES de faire des cours orientés ou politisés. Les nouveaux programmes de SES, mis en œuvre en même temps que la réforme du lycée de JM Blanquer, réaffirme donc le principe de la neutralité axiologique de cet enseignement. A la lecture de ces programmes, on peut toutefois se demander si ce principe est bien respecté et si des programmes de SES conformes aux valeurs républicaines peuvent réellement être axiologiquement neutres ?
L’instrumentalisation politique du roman national | Laurence De Cock
À l’heure où se répondent et s’affrontent les commémorations des 150 ans de la Commune et de Napoléon, il n’est pas vain de revenir sur les enjeux politiques que recouvrent ces deux usages politiques du passé ; le premier à propos d’un évènement qui n’est jamais entré dans ce que l’on appelle le « roman national », le second qui en est au contraire l’un des thèmes phare. En France, le passé est lourdement mobilisé à des fins politiques. Que recouvrent ces débats ?
Petite histoire de l’enseignement des valeurs civiques et morales | Pierre Kahn
Transmettre les valeurs morales et civiques est un projet aussi vieux que l’école républicaine elle-même, dont Jules Ferry, qui n’en fut pas le seul acteur, reste la figure fondatrice emblématique. Je me propose ici d’exposer les vicissitudes qu’a connues ce projet depuis Ferry, c’est-à-dire la façon dont, dans des circonstances politiques variables, et en étant tantôt entretenu, tantôt amoindri et tantôt réactivé, ses intentions et ses significations ont changé.
Entre normes scolaires et normes sociales. Compenser ou étayer ? | Patrick Rayou
Une des responsabilités de l’école démocratique est, outre le fait d’admettre en son sein tous les enfants, de leur permettre de réussir. Or si le phénomène de « massification » n’a cessé de se développer dans les dernières décennies, jusqu’à concerner, pour le second degré, la quasi-totalité d’une classe d’âge, les réussites y sont très différentes selon les milieux sociaux d’origine et les mêmes diplômes obtenus ne garantissent pas des trajectoires scolaires et sociales d’égale valeur. L’idée s’impose assez vite que, plus connivents avec les normes scolaires, certains élèves et groupes d’élèves y jouent davantage « sur leur terrain » et n’y connaissent pas les conflits paralysants de ceux qui ne s’y sentent pas à leur place.
La liberté pédagogique, plus que jamais ? | Jacques Crinon
Le Code de l’éducation garantit la liberté pédagogique des enseignants, « dans le respect des programmes et des instructions du ministre chargé de l’éducation nationale et dans le cadre du projet d’école ou d’établissement ». C’est une tradition de l’école française depuis la IIIe République, qui a renoncé aux manuels officiels des régimes autoritaires qui l’ont précédée et qui fait confiance aux enseignants pour trouver les meilleurs moyens, dans leur contexte d’exercice, pour permettre à leurs élèves d’effectuer les apprentissages prescrits. Mais faudrait-il la limiter, voire la mettre en cause, au nom de l’efficacité ?
L’entretien
Entretien avec Éric Gutkowski
Inspecteur de l’Éducation nationale, secrétaire général adjoint du SNPI-FSU
Notes de lectures
Apprendre à lire, une pratique culturelle en classe | Paul Devin et Christine Passerieux (dir)
Note de lecture proposée par Patrick Singéry
La moufle | Florence Desnouveaux, Céline Murcier et Cécile Hudrisier
Littérature jeunesse proposée par Christine Passerieux
La mouette et le goéland | Jeanne Boyer
Littérature jeunesse proposée par Christine Passerieux
Au secours Voilà le Loup ! | Cédric Ramadier et Vincent Bourgeau
Littérature jeunesse proposée par Christine Passerieux