Édito | Réfléchir à ce qui est indispensable pour comprendre le monde et agir pour le transformer
Nul doute qu’il existe une interdépendance des savoirs qui institue certains d’entre eux comme nécessaires aux progrès de la connaissance et du jugement. Il en est ainsi, notamment, des savoirs qui permettent l’usage social et culturel de l’écrit. Mais un tel constat ne suppose ni la hiérarchisation des savoirs, ni la limitation des ambitions scolaires. Il permet seulement de requérir l’attention du pédagogue pour que l’observation des liens complexes entre les objets de connaissance lui permette de penser la progressivité des apprentissages.
Ce n’est pas cette perspective que développent les récurrents discours politiques qui invoquent un « retour aux fondamentaux » mais celle d’un renoncement qui limiterait les ambitions scolaires, pour une bonne part de la population, à quelques connaissances de base. La stratégie est connue : déplorer l’état de l’école, nourrir l’illusion de méthodes miraculeuses, invoquer l’autorité comme un totem… sans réellement s’intéresser ni à la réalité quotidienne du travail des élèves et de leurs professeurs, ni à la complexité réelle des apprentissages.
Leur enjeu, c’est la soumission de l’école à une vision sociale qui s’attache à garantir la reproduction des dominations et à une vision économique qui détermine les ambitions en fonction des besoins de l’emploi. Aux nécessités d’une formation massive de cadres et de techniciens qui avaient conduit au collège unique, en succèdent d’autres qui verraient bien une mise au travail plus précoce et une formation limitée à la seule maîtrise permettant l’accomplissement de tâches précises. La réforme du lycée professionnel témoigne de cette réorientation mais elle ne semble pas suffire aux politiques en œuvre et déjà pointent les premières mesures qui remettent progressivement en cause le collège unique. Peu importe qu’aucune recherche ne vienne attester de la pertinence scolaire des mesures engagées puisque leur but n’est pas le progrès intellectuel et culturel de l’élève mais l’adaptabilité du travailleur aux besoins de l’entreprise. Et pour légitimer ce renoncement, qui constitue une régression historique inacceptable, reviennent les constats de sens commun qui voudraient qu’on réserve les études longues à celles et ceux des élèves qui y seraient prédestinés par nature.
Que l’on ne se méprenne pas. Refuser ce « retour aux fondamentaux » ne suppose pas de refuser qu’on examine les savoirs essentiels et qu’on définisse ceux qui sont indispensables pour, comme le disait Condorcet, permettre à chaque individu de se conduire lui-même et de jouir de la plénitude de ses droits. Il ne suppose pas non plus de négliger la réalité d’un trop grand nombre d’élèves qui ne parviennent pas au niveau attendu. Mais si nous faisons le choix des ambitions de l’émancipation et du partage des savoirs communs, définir les fondements de la culture commune, notamment les outils instrumentaux nécessaires à son appropriation, ne peut aucunement se confondre avec un repli sur un « minimum culturel ». D’autant que ce repli ne fera pas disparaître les difficultés qui font obstacle aux apprentissages.
Or, il y aurait urgence à réfléchir à ce qui est indispensable pour permettre à toutes les citoyennes et tous les citoyens de comprendre le monde et d’agir pour le transformer d’autant plus que le cursus scolaire accumule les contenus sans suffisamment interroger les liens qui les unissent. Mais une telle réflexion exige d’être poursuivie dans la perspective d’une école qui affirme la capacité de toutes et tous et considère les conséquences de cette capacité comme l’espérance majeure de la démocratie.
C’est loin d’être l’intention des réformes actuelles qui renforceront les inégalités et pénaliseront toujours les enfants des classes populaires en leur assignant un parcours scolaire limité.
Paul Devin
Consultez et téléchargez librement Carnets rouges n°31 | Mai 2024 : Fondamentaux ou fondements ?
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