Quelle place pour la formation professionnelle initiale au lycée ?
La formation professionnelle est à la « mode ». Chaque semaine, les médias reprennent la volonté de « revaloriser la formation professionnelle » et autres expressions toutes faites. Mais pas une seule fois, ou si peu, l’expression « lycée professionnel » n’est prononcée. Lorsque l’on parle de la formation professionnelle initiale, les médias et les politiques ne parlent en réalité que de l’apprentissage. Jusqu’à la caricature et cette cérémonie des Olympiades des métiers à Montpellier et à Toulouse en mai 2016 où les lycéen-ne-s des lycées professionnels ont tout simplement été « oubliés » dans le discours de la présidente de Région LRMP. La formation professionnelle initiale n’aurait donc plus sa place dans les lycées ?
Pourquoi une voie professionnelle ?
La formation professionnelle initiale met en jeu des questions fondamentales liées à la reconnaissance des savoirs et savoir-faire, des qualifications et des diplômes, à la formation intellectuelle des travailleurs et travailleuses et à l’ouverture sociale et culturelle. Elle doit être qualifiante et mener à un diplôme. Dans les lycées, on trouve 520 000 lycéen-ne-s dans la voie professionnelle et 1 170 000 lycéen-ne-s dans les voies technologiques et générales. 28% des bachelier-e-s viennent des lycées professionnels. Pourtant, la voie professionnelle est bien souvent considérée comme une voie de recours face à la difficulté scolaire. C’est d’ailleurs un des reproches qui lui est fait aujourd’hui : elle échouerait dans cette mission alors que l’apprentissage saurait faire. Le discours dominant exclut de fait la formation professionnelle initiale de l’Ecole, proposant même un raccourcissement des études (l’apprentissage dès 14 ans sous Sarkozy, supprimé en 2012 mais réintroduit dans la loi « travail » de 2016).
“ Ranger la formation professionnelle initiale dans une simple réponse à la difficulté scolaire c’est se tromper sur sa finalité et sa réalité. ”
Pourtant, ranger la formation professionnelle initiale dans une simple réponse à la difficulté scolaire c’est se tromper sur sa finalité et sa réalité. En effet, si cette voie a développé des pédagogies redonnant confiance aux élèves qui ont perdu pied au collège, voire dès le primaire, elle n’est pas cette voie de relégation dans laquelle on veut l’enfermer. Cette « inclinaison » s’enracine dans le monde de production capitaliste et son penchant idéologique à la division entre travail manuel et travail intellectuel, entre travailleuses/travailleurs de conception et travailleuses/travailleurs d’exécution. C’est la finalité même des formations professionnelles qui est interpellée : au fond, pourquoi une voie professionnelle au lycée si on peut s’accommoder de savoirs scolaires limités ? Cette conception même est contraire à une volonté d’école émancipatrice.
Enjeu politique et syndical
La formation professionnelle initiale est un enjeu politique et syndical important. Je ne ferai pas là un historique complet de celle-ci. Notons simplement que c’est au lendemain de la seconde guerre mondiale que l’enseignement d’un métier à l’Ecole s’imposera au sein d’un système public de formation. Les centres d’apprentissage se transforment en collèges d’enseignement technique (CET) puis en 1975 lycées d’enseignement professionnel et enfin dix ans plus tard en lycées professionnels (LP). En 40 ans, CET, LEP et LP ont posé les bases d’une culture technique, professionnelle et générale reconnue. La qualification ouvrière, l’émancipation des élèves de cette voie, a été, et reste, un enjeu de classe important. Il n’est pas totalement un hasard si la représentation syndicale dans les lycées professionnels est totalement différente de celle du reste de l’Education nationale : en effet, ce sont les syndicats issus de l’ancienne FEN qui dominent le champ syndical français dans l’Education (FSU et UNSA, respectivement 35% et 22% aux élections professionnelles de 2014) alors que dans les lycées professionnels ce sont deux syndicats affiliés à deux confédérations ouvrières (FO et la CGT, respectivement 29% et 22% aux élections professionnels de 2014).
La question des diplômes
Aujourd’hui, la formation professionnelle initiale est organisée autour d’un diplôme de niveau V (le CAP) et d’un diplôme de niveau IV (le baccalauréat professionnel). Le CAP se prépare en deux ans après le collège, le baccalauréat professionnel en trois ans après le collège. Le BEP, diplôme de niveau V, existe toujours théoriquement mais a disparu dans les faits : il se préparait en deux ans après le collège, la plupart des lauréat-e-s continuaient alors en baccalauréat professionnel en deux années. Il fallait donc quatre années pour obtenir celui-ci. La réforme dite du « bac pro 3 » en 2009 a modifié cela et donc supprimé de fait le BEP qui n’est plus qu’un « diplôme intermédiaire » en fin de première professionnelle. Cette réforme a accentué un tri en imposant majoritairement une orientation vers le baccalauréat professionnel par manque d’offres en parallèle en CAP sous statut scolaire. De ce fait, certains élèves se tournent vers l’apprentissage. Cette réforme s’est surtout inscrite dans la logique d’autonomie des établissements (à la même époque réforme de la voie générale en 2010 et de la voie technologique, il faudrait ajouter aujourd’hui celle du collège) : pour illustrer cela, notons la généralisation du Contrôle en Cours de Formation (CCF) avec des enseignant-e-s à la fois producteurs des sujets, surveillants et correcteurs des épreuves de leurs propres élèves ou encore des grilles horaires tri-annualisées incluant des « marges » entretenant un flou sur les répartitions horaires.
Les différentes lois de décentralisation placent la Région au premier plan pour l’élaboration de la carte des formations. Avec la volonté des régions de répondre uniquement aux besoins des entreprises et aux défis purement économiques du territoire, cette problématique est importante. Notons que dans la plupart des régions, il y a une vice-présidence chargée des lycées et une vice-présidence chargée de la formation professionnelle (incluant les LP).
“ Le lycée unique et polytechnique ne peut voir le jour qu’avec une égale dignité (et donc pas une vague « revalorisation ») des trois voies actuelles.”
La volonté gouvernementale actuelle est la mise en place de « blocs de compétences », d’abord dans la formation professionnelle continue puis dans l’initiale. Il s’agit de « parties » des diplômes nationaux ayant vocation à devenir certificatives. Les diplômes nationaux, base des qualifications et donc des grilles salariales, sont dilués dans une vague formation professionnelle où le patronat piochera les « compétences » dont il a besoin. Nous avons là le volet « formation professionnelle » de la loi dite « travail ». La logique de compétences s’inscrit en effet dans une vision stricte où prédomine la négociation salariale individualisée entre employeurs et employé-e-s.
Un lycée unique et polytechnique
Le système tel qu’il se met en place est un système concurrentiel à tous les niveaux. Pour lutter contre cela, il faut donner au lycée une place cohérente dans un système plus vaste. Dans la proposition d’une « école unique de 3 à 18 ans », le lycée se trouve en fin de parcours. Il pourrait être un lieu qui préserve dans chaque voie un accès à un enseignement diversifié et équilibré de toutes les disciplines. Bref, un lycée polytechnique car dans une culture plurielle, générale, technologique et professionnelle. Il ne doit pas pour autant s’agir, dans un cycle propédeutique aux études supérieures, de « fabriquer » des spécialistes aux connaissances pointues. La recherche du diplôme comme finalité unique du lycée développe le consumérisme ou conduit à rejeter l’école en tant qu’institution.
“ La recherche du diplôme comme finalité unique du lycée développe le consumérisme ou conduit à rejeter l’école en tant qu’institution. ”
Ce lycée unique et polytechnique ne peut voir le jour qu’avec une égale dignité (et donc pas une vague « revalorisation ») des trois voies actuelles. La formation professionnelle spécialisée pouvant s’opérer dans le cadre du lycée pour aboutir à une qualification avec le baccalauréat, ou après le lycée dans des formations professionnelles qualifiantes. Car les savoirs professionnels ont toute leur place dans un lycée polytechnique : il s’agit là de repenser les notions mêmes de disciplines souvent séparées entre « nobles » (les mathématiques, les sciences, les lettres…) et les autres moins « nobles ». Cette distinction est en réalité une séparation de classe se basant sur un académisme qui fait peu de place à toute idée d’émancipation. Il ne s’agit pas pour autant d’ignorer la nécessité de formation professionnelle initiale qualifiante. Mais le lycée polytechnique tel que proposé n’ignore pas cela et en laisse la possibilité, tout en renvoyant à « l’après-lycée » la spécialisation. Il ne s’agit pas non plus d’ignorer les difficultés que pourraient avoir les élèves à trouver leur place dans ce système. Il s’agit donc de proposer des outils pédagogiques adaptés permettant à tou-te-s les élèves de s’y retrouver. Pour le dire encore une fois : la formation professionnelle n’est pas et ne doit pas être la solution magique pour les élèves en difficulté scolaire.
Un mot pour conclure sur les questions pédagogiques. Une telle transformation ne peut aboutir que si l’autonomie libérale de l’école, qui est aujourd’hui le dogme de fonctionnement, est combattue. Il faut regagner une liberté pédagogique mais cette liberté doit être collective. Dans les établissements, il faut donc gagner une véritable coopération pédagogique.
Matthieu Brabant
Professeur de mathématiques et de sciences-physiques en lycée professionnel à Nîmes (Gard)
Secrétaire national de la CGT Educ’action