Chacun pour soi ou savoirs pour tous : quelle école pour demain ?,  Numéro 8,  Valérie Sipahimalani

Démocratisation, démocratie, passer du verbe aux actes

L’école française, espace de démocratie ? Ce n’est actuellement à l’évidence pas le cas. Que ce soit sur le plan des destins scolaires des élèves, encore trop largement liés à leurs origines sociales, ou sur celui de l’organisation de la vie dans les établissements, visant avant tout la paix scolaire, la démocratie n’est pas la qualité première du système éducatif. Il faut que cet état de fait change : le pays doit assurer la formation de la jeunesse dans son ensemble, tant pour des raisons de justice sociale que par nécessité économique. L’école ne peut, à elle seule, contrecarrer tous les maux de la société, mais elle ne devrait pas aggraver la situation, et en particulier les inégalités sociales. Elle devrait aussi donner les clés pour comprendre ce qu’est un espace démocratique et comment il est possible d’y agir.

Pour démocratiser la réussite scolaire, changer de paradigme pédagogique

Pour le SNES-FSU, la démocratisation de l’éducation est une priorité. Tous les enfants sont éducables, tout jeune doit être scolarisé jusqu’à 18 ans au lycée, et réussir concrètement sa scolarité par l’obtention du baccalauréat, indépendamment de ses origines sociales. Comme il ne s’agit pas d’en rabattre sur les exigences, bien au contraire, la réflexion doit porter sur les conditions d’étude : des programmes mieux pensés et faisant culture, plus cohérents entre les disciplines scolaires et au fil de la scolarité, des situations pédagogiques variées, des effectifs raisonnables et de l’hétérogénéité sociale et scolaire dans les classes. Ce projet ne révolutionne pas la structure actuelle du collège dit « unique », ni celle du lycée en voies et séries. Il constitue un changement de paradigme pédagogique, considérant que c’est avant tout dans la classe que se construit heure après heure le sens des apprentissages, que se joue l’élaboration par l’élève d’une culture commune émancipatrice qui lui permettra de s’insérer dans la vie sociale et professionnelle. Les chantiers à ouvrir sont donc ceux de la formation des personnels, des conditions d’étude et de travail dans les établissements (effectifs et constitution des classes, mixité sociale et scolaire), et enfin des programmes scolaires.

La loi de 2013 pour la refondation de l’école de la République aurait dû être l’occasion d’avancer, mais sa mise en œuvre s’est faite en partie en rupture avec son esprit. Si la formation des enseignants a été remise en place, les Ecoles supérieure du professorat et de l’éducation (Espé) peinent à révéler des vocations et à proposer des cursus en adéquation avec les enjeux de la démocratisation, notamment sur les aspects épistémologiques, didactiques et pédagogiques. Des postes ont été créés (54 000 prévus sur le quinquennat, 80 000 ayant été supprimés de 2007 à 2012), mais ont été absorbés par la formation et une conséquente montée démographique dans les classes (baby boom des années 2000). Les mesures pédagogiques prises pour le second degré ont été au mieux décevantes tels les programmes du collège travaillés dans l’urgence et inaboutis, voire contreproductives, par exemple la généralisation de dispositifs d’individualisation instituant des contrats avec les élèves en difficulté, générant réunions et paperasse sans résultats probants. Les réformes du lycée ont été assumées dans la continuité du quinquennat précédent. En particulier, le lycée professionnel est mis en concurrence avec l’apprentissage, au détriment des élèves les plus fragiles.

La question des pratiques pédagogiques démocratisantes, celles qui permettent à tous les élèves de relever le défi intellectuel des savoirs et d’y prendre plaisir, reste donc entière. L’institution a pris le parti de dévaloriser les savoirs aux profits des compétences, et de donner aux personnels des consignes de bienveillance quant aux modalités d’évaluation. Elle cherche à imposer telle ou telle pratique (« groupes de compétences » en langues vivantes, « démarche d’investigation » en sciences etc.), au gré de lubies à la pertinence pédagogique non démontrée. Il y a urgence à diffuser les apports de la recherche, de façon à outiller les enseignants et les autres personnels, à leur permettre de diversifier leurs pratiques aux services des élèves qui ne sont pas en connivence avec l’école et en subissent de plein fouet les implicites.

Pour faire vivre la démocratie, accepter l’esprit critique

Les établissements scolaires doivent-ils faire vivre la démocratie par la pratique ? Comment déterminer ce qui en relève ou pas, dans une communauté fondamentalement dissymétrique où les droits et obligations de la direction, des autres personnels et enfin des élèves ne sont pas les mêmes. Pratiquer la démocratie ne va pas de soi : permettre l’initiative, organiser le débat, mesurer l’intérêt général, se plier à des décisions collectives et encadrer leur mise en œuvre… tout cela est chronophage. Les équipes de vie scolaire, en particulier, ne sont pas assez étoffées pour animer comme elles le souhaiteraient des formes variées de citoyenneté participative. La prise en compte de la parole des élèves est à améliorer mais ne peut se faire que s’il existe des marges d’améliorations de la vie de l’établissement comme des conditions d’étude.

Eduquer les élèves à la démocratie suppose encore un changement de paradigme : les équipes sont-elles prêtes à accepter que l’esprit critique dont elles souhaitent armer leurs élèves puisse, parfois, s’exercer contre les modes de fonctionnement qu’elles proposent ? Comment répondre face aux remises en cause de la forme scolaire elle-même ?

“ Plutôt que de discourir sur les valeurs, nous pensons au contraire que seule la pratique permet de les construire … en préférant les situations pédagogiques favorisant la prise d’initiative et la coopération entre les élèves.”

Depuis les attentats de janvier 2015, l’Education nationale dit faire de la « transmission des valeurs de la République » à l’école un enjeu fort. Ce terme de « transmission » pose question. Est-il possible de fabriquer de la citoyenneté par simple contagion ? Ces valeurs s’inoculent-elles par le simple discours ? Les adolescents sont particulièrement sensibles aux injustices, au décalage entre les paroles et les actes. Plutôt que de discourir sur les valeurs, nous pensons au contraire que seule la pratique permet de les construire. Cela commence dans l’ordinaire de la classe par l’écoute et le respect réciproque, en associant autant que faire se peut les élèves aux petites prises de décisions qui font le quotidien de la classe, en préférant les situations pédagogiques favorisant la prise d’initiative et la coopération entre les élèves. Or les directives officielles ne vont pas dans ce sens, mettant en exergue l’individualisation et la différenciation des apprentissages au détriment du collectif. A la rentrée 2015, l’Enseignement moral et civique a remplacé l’éducation civique au collège et l’éducation civique, juridique et sociale (ECJS) au lycée. Un « parcours citoyen » apparaît en septembre 2016. La démocratie lycéenne a été revisitée pour donner davantage d’ampleur aux élus du Conseil de la vie lycéenne, un Conseil de la vie collégienne est annoncé pour les mois qui viennent. Bien que présentées comme des nouveautés, ces mesures étaient dans l’air du temps, partant du constat que les élèves ne participaient pas assez à la vie des établissements, et que les différentes formes d’engagement dont ils font preuve à l’école ou ailleurs devraient être plus reconnues et valorisées dans leur cursus. Mais ces mesures apparaissent cosmétiques, plaquées sur des réalités qu’elles ne suffiront pas à faire évoluer.

“ Dans ce contexte de violence institutionnelle durable… les marges de manœuvre sont minces et parler de démocratie relève du paradoxe. ”

Alors qu’il faudrait inciter les élèves à expérimenter la démocratie, jamais les personnels n’ont été soumis à autant d’injonctions et n’ont autant vécu de perte de pouvoir d’agir. La réforme du collège imposée contre l’avis des personnels, celle du redoublement et des procédures d’orientation des élèves mise en place brutalement sans réflexion sur ses conséquences en termes de réussite des élèves, en sont les dernières manifestations. Ces dernières années ont vu la mise en place d’un nombre important de réunions institutionnelles visant à forcer le travail collectif, et qui ont pour le moment plutôt l’effet inverse. Des initiatives de travail en commun entre écoles et collèges, par exemple, n’ont pas résisté à des conseils de cycles 3 (CM1-CM2-Sixième) et école-collège pilotés de manière autoritaire par les inspections et les directions d’établissement. Dans ce contexte de violence institutionnelle durable, plus ou moins relayée par les directions d’établissement, les marges de manœuvre sont minces et parler de démocratie relève du paradoxe. A l’inflation de lieux de réunions formatées animées par la hiérarchie, le SNES-FSU oppose le collectif de travail[1]« Reprendre la main sur le métier : un enjeu majeur pour les professionnels de l’enseignement du secondaire et une préoccupation syndicale », Alice Cardoso / Catherine Remermier, Carnets Rouges n°7, juin 2016 et la liberté pédagogique[2]« Dialectique de la liberté pédagogique et de l’intérêt général », Paul Devin, Carnets Rouges n°7, juin 2016.

Démocratiser l’accès des élèves aux diplômes, les entraîner dans les collèges et les lycées à la démocratie, deux versants d’un projet éducatif qui semble aller de soi, mais qui demande pour se déployer davantage de respect pour les professionnels de l’éducation et pour les élèves que n’en montrent les réformes menées depuis quinze ans.

Valérie Sipahimalani
Secrétaire générale ajointe du SNES-FSU

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