Chacun pour soi ou savoirs pour tous : quelle école pour demain ?,  Jean-Luc Villin,  Numéro 8

Pour un grand projet éducatif national et un grand service public de l’Education

Le grand projet de refondation de l’école engagé au début de ce quinquennat promettait une petite révolution dans le système éducatif français pour, d’une part, reconstruire une école fortement dégradée par les politiques destructrices de N. Sarkozy et, d’autre part, bâtir les fondations d’une école de la réussite pour tous, démocratique, novatrice, et modernisée. Quatre ans après la déception est grande, le grand projet de refondation s’est distillé dans les politiques d’austérité dévastatrices pour les services publics.

La nouvelle organisation des temps scolaires censée répondre aux besoins et aux rythmes de l’enfant a dégagé du temps de loisirs, dit périscolaire, laissé à la charge des collectivités territoriales. Vécue par nombre d’entre elles comme une contrainte organisationnelle et financière supplémentaire, cette nouvelle réforme d’ampleur s’est heurtée principalement à l’hostilité de communes déjà fortement précarisées par la diminution de leurs ressources financières.

La métropole, confrontée aux enjeux et aux conséquences de la mondialisation relègue les banlieues à la périphérie des droits à la ville pour tous, à l’éducation, aux loisirs, à la culture, à la santé, au logement comme autant de territoires où la précarité, les inégalités, et les exclusions s’abattent sur une jeunesse pourtant porteuse de l’avenir commun. Les territoires ruraux délaissés par des choix politiques qui suppriment les services publics comme la santé et l’école en font autant de déserts éducatifs où les enfants et les familles sont contraints à de longs trajets pour accéder aux droits les plus élémentaires.

“ Les politiques éducatives devraient être priorisées dans tous les territoires ”

Pourtant l’accroissement des richesses, l’accélération des progrès scientifiques et des technologies, pourraient satisfaire les besoins des plus démunis en constante augmentation et répondre aux aspirations de la population dans sa plus grande diversité. Les politiques éducatives devraient être priorisées dans tous les territoires et bénéficier des moyens à la hauteur des enjeux et des inégalités inconcevables dans une société moderne.

La démocratisation de l’accès à l’école ne s’est pas traduite par la démocratisation de la réussite de tous.

Les temps et les lieux d’éducation se sont modifiés, multipliés. Il faut distinguer et articuler le temps de la famille, le temps de l’école et celui du temps libre.

Il existe un temps important durant lequel l’enfant n’est ni à l’école ni avec ses parents. C’est ce « temps libre » complémentaire de l’école et de la famille, ce temps social, sportif et culturel où l’échelon communal s’affirme comme le lieu d’exercice privilégié du partenariat et des coopérations éducatives. Il permet, à la fois, l’expression plus aisée des demandes et une perception plus accessible des besoins de la population.

“ Il faut distinguer et articuler le temps de la famille, le temps de l’école et celui du temps libre. ”

C’est précisément ce temps qui, souvent délaissé par les politiques publiques, est le temps ou se renforcent et se creusent les inégalités sociales et éducatives, où les discriminations sociales et territoriales s’accentuent et laissent nombre d’enfants et de jeunes en situation d’exclusion.

Car ce sont les conditions sociales et professionnelles des familles qui permettent et ouvrent l’accès aux pratiques culturelles, artistiques et sportives des enfants et des jeunes.

Ces activités renforcent les apprentissages et les compétences et permettent d’acquérir les dispositions nécessaires aux parcours scolaires.

L’éducation populaire pour l’égalité

Cette évidence n’est pas nouvelle, puisque dans les années 1970 plusieurs municipalités communistes de la région parisienne avaient déjà mis en place les activités périscolaires en construisant les premières maisons de l’enfance. Les mouvements d’éducation populaire ont également développé les centres de loisirs associés à l’école (CLAE).

Tous ces projets d’éducation complémentaire avaient un objectif principal, celui d’ouvrir l’accès des enfants des classes populaires aux activités artistiques culturelles et sportives. Ils trouvaient leur complémentarité dans le développement des politiques culturelles communales menées par ces municipalités.

En matière d’Education, la singularité de notre pays est l’existence d’une grande école publique nationale obligatoire et laïque jusqu’à 16 ans et d’un grand courant d’éducation populaire forgé dans les luttes ouvrières et la Résistance et qui s’est considérablement développé à la Libération. Et ce sont précisément ces mouvements d’éducation populaire qui ont contribué à l’émergence et à la promotion des activités éducatives sur les temps extra scolaires (vacances scolaires) et périscolaires (avant et après l’école).

“ Ce que les mouvements d’éducation populaire ont apporté c’est l’idée que l’éducation est mouvement perpétuel et multi temporel. ”

C’est également une étrange idée de considérer l’acte éducatif, qu’il soit péri ou extra scolaire, comme intrinsèquement associé à l’école. Ce que les mouvements d’éducation populaire ont apporté c’est l’idée que l’éducation est mouvement perpétuel et multi temporel visant le libre développement et l’émancipation de l’individu. Le temps familial, le temps de l’école et le temps libre ou des loisirs sont des temps d’éducation, de transmission des valeurs, des savoirs, d’expériences sociales et d’expérimentations complémentaires les unes des autres où chacun, chaque institution, chaque professionnel a un rôle irremplaçable à jouer.

Ce sont ces temps et ces espaces qu’il revient aux acteurs et professionnels d’organiser, de coordonner pour assurer la continuité éducative et offrir l’égalité d’accès à chacun et à tous à l’ensemble des temps et des espaces éducatifs dans les meilleures conditions.

C’est à ce niveau que les institutions et les acteurs de l’éducation devraient se rencontrer pour faire coïncider des politiques publiques de l’éducation, verticales et transversales, nationales et locales.

La fameuse réforme des « rythmes scolaires » répond-elle à cette ambition ? On peut penser que ce n’est pas le cas. Non pas parce que les activités périscolaires seraient une menace pour le service public nationale de l’éducation ni parce qu’elles seraient par nature discriminantes, mais parce que cette réforme s’est réalisée sans grand projet national, sans les moyens financiers et humains répondant aux nécessités d’un grand projet éducatif national.

Si la réduction du nombre d’heures d’école par jour pouvait être une bonne chose pour le rythme des enfants, il n’en reste pas moins que les deux ou trois heures hebdomadaires d’école supprimées par Sarkozy n’ont pas été rendus aux écoliers. Or moins il y a d’école obligatoire, plus les inégalités pour réussir augmentent si des possibilités égales pour tous d’accéder à d’autres temps éducatifs ne sont pas créées.

Le temps d’école laissé libre par la réduction du nombre d’heures de classe, n’a pas été occupé par un programme d’ampleur national visant la mise en place d’activités éducatives dans tous les territoires pilotés à la fois par les communes et l’Etat.

La généralisation des Projets éducatifs de territoire (PEDT) ont plus à voir avec une contractualisation financière qu’avec un vrai projet éducatif local puisqu’ils sont rendu nécessaires à l’obtention de financements bien en dessous des besoins réels et utiles à une véritable politique éducative d’envergure nationale.

Ainsi les villes et les EPCI se sont retrouvés seuls face à la nouvelle organisation des temps périscolaires qui pour une grande partie se sont réduits à des temps de garderie à la charge des habitants, dans l’attente de la venue des parents.

Dans le même temps les financements et les ressources des collectivités se réduisent de façon drastique au nom de la sacro-sainte politique de réduction des dépenses publiques, empêchant les communes de mener des politiques éducatives ambitieuses aux côtés de l’Ecole et des habitants.

Pour un projet éducatif national

Si nous voulons que cessent les discriminations et les inégalités sociales et territoriales, si nous voulons permettre une véritable continuité éducative dans le temps et dans tous les lieux de vie de l’enfant, il nous faut travailler à l’élaboration d’un grand projet éducatif national pour l’enfance et la jeunesse.

Un grand projet éducatif conduit dans le cadre d’un grand service public laïque d’éducation réclamé déjà par de nombreuses communes, de mouvements d’éducation populaire et pédagogiques, de syndicats d’enseignants, décrit dans l’appel de Bobigny de novembre 2011. Cet appel resté sans réponse malgré l’espoir suscité par le projet de refondation de l’école, est encore plus d’actualité après les interrogations et les déceptions d’une réforme qui n’aura fait qu’accentuer les disparités territoriales.

Ce grand service public pourra s’appuyer sur les communes, les départements et les régions assumant une priorité à l’éducation et engagés dans des démarches de territoires apprenants et villes éducatives. Aux côtés de l’Ecole, des personnels de l’Education nationale, de la petite enfance, des associations de l’éducation populaire, et des familles, il s’agira de combiner l’éducation formelle, informelle et non formelle pour que les enfants retrouvent l’égalité devant la réussite.

Jean-Luc Villin
Responsable du Projet éducatif local
et du programme de réussite éducative à Nanterre