Christian Foiret,  Erick Pontais,  Numéro 9,  Quel service public pour l'éducation ?

Droit aux loisirs : une ambition de service public au service de l’émancipation

Cet article fait suite au débat de la fête de l’Huma interrogeant l’idée suivante : « rythmes scolaires, comment sortir de l’impasse ? ». La question du droit aux loisirs et de l’égalité d’accès à ce droit est vite venue au premier plan. Le glissement de missions de l’école vers le périscolaire sur fond d’inégalités de territoires et de désengagement de l’État, le flou des politiques sensées contribuer à la réussite scolaire, l’engagement d’associations d’éducation populaire dans les dispositifs des gouvernements successifs nous amènent à ouvrir un débat et proposer des positons à défendre.

Le droit au loisir : un projet pour construire l’humain.

Notre ambition est de faire accéder tous les jeunes à un haut niveau de culture et de savoir. Le système scolaire sur une période de 3 à 18 ans doit le permettre dans le cadre du service public national d’éducation. Les temps de loisirs sont également des temps d’émancipation, particulièrement les temps de loisirs collectifs organisés. Si l’accès à des loisirs s’est considérablement diversifié, il reste que la responsabilité des moments collectifs à charge de collectivités ou d’associations ne peuvent relever du simple divertissement et ne peuvent être seulement un moyen de garde des jeunes. Des valeurs traversent ces temps de loisirs. D’une part la vie collective, le respect des autres, l’écoute, les modalités de la prise de décisions sont incontestablement des moments formateurs de l’individu. Celui-ci y rencontrera l’autre, la force de l’acte collectif, la contradiction dans les projets. C’est l’occasion de construire la laïcité, la solidarité, dans l’activité, par la culture, l’échange, l’action. Le monde proche et lointain, s’il peut être en accès libre par des moyens de communication toujours plus développés, a besoin d’aide au décryptage. L’animateur de loisir a donc une éthique, une responsabilité éducative. Si la visée sociétale est l’émancipation humaine afin de permettre à l’individu une pensée lui permettant d’intervenir sur le monde, alors il faut une cohérence nationale, une politique d’éducation audacieuse qui comporte les moyens matériels et humains nécessaires. Cette ambition ne relève-t-elle pas d’un cadre de service national ?

Temps d’école / temps de loisirs : un projet commun à construire.

Le temps d’école a une mission : permettre à tous les enfants de se construire comme élèves, et d’accéder aux savoirs, aux modes d’appropriation, à une pensée qui leur permette d’intervenir sur leur propre avenir et sur celui du monde avec la force du collectif des pairs. Cette ambition est la responsabilité du service public national d’éducation et doit, par lui, être assumée entièrement. Les tentatives depuis quelques décennies de défausser une part de ces apprentissages sur les familles, les collectivités, les associations et de plus en plus sur le secteur marchand sont des sources d’inégalités et d’injustice.

“ Un projet commun est à construire avec des missions clairement définies, un cadre national, une ambition éducative affirmée. ”

Les temps de loisirs organisés concourent à la visée d’émancipation de l’individu dans un collectif et ont les mêmes objectifs éducatifs appuyés sur les valeurs vues précédemment. Si toutes les classes sociales ont le même droit aux loisirs, il est clair que les enfants des classes populaires doivent pouvoir bénéficier d’un accès complet, dans le cadre des valeurs définies plus haut, aux animations, aux sports, aux séjours transplantés, à la culture (lecture, théâtre, cinéma, danse…). Les comités d’entreprise, les choix de municipalités, l’audace d’associations ont rendu à une époque cet accès plus facile et plus démocratique. Aujourd’hui la confusion entre école, périscolaire, garderie, et les dispositifs issus des réformes récentes, la course aux financements rendus incontournables par les politiques austéritaires brouillent les objectifs éducatifs. Un projet commun est à construire avec des missions clairement définies, un cadre national, une ambition éducative affirmée.

Ne pas confier au secteur marchand l’ambition du loisir éducatif pour tous : un pilotage national.

Le droit aux loisirs éducatifs, pour être accessible à toutes les catégories sociales sur tous les territoires, doit largement échapper au secteur marchand. Toutes les familles et tous les jeunes doivent pouvoir accéder à égalité, partout, à des structures de qualité, encadrées par des personnes compétentes, en toute sécurité affective, morale et éducative. C’est bien sûr une question de pouvoir d’achat. C’est aussi une question de décisions politiques. Les collectivités, les associations, les clubs sportifs, les structures culturelles doivent pouvoir offrir des séjours, des activités à des prix corrects, voire tendre vers la gratuité. Des municipalités ont fait ce choix. Elles doivent recevoir de l’État les moyens financiers de poursuivre. Partir en séjour de découverte loin de chez soi, faire de l’équitation, pratiquer le sport qui convient à chacun… doit être possible à toutes les familles. Les pouvoirs publics doivent investir, subventionner, promouvoir, aider les fédérations, avoir un plan pluriannuel sur tous les territoires, pour réussir cette ambition.

Un pilotage national au sein d’un ministère qui pourrait accueillir le temps libre, la jeunesse, le loisir, serait bienvenu, appuyé sur un projet éducatif pour la jeunesse partagé avec le ministère de l’Éducation Nationale.

Service public et engagement associatif militant ?

Les associations d’éducation populaire ont pris historiquement une forte part dans la conception, l’animation, la promotion des loisirs des jeunes, la formation des cadres. Elles sont des lieux où se forgent l’engagement militant au service de la jeunesse. Leurs statuts sous-tendent des valeurs, diversifiées certes, selon leur histoire. Des jeunes s’y engagent, donnant à l’action volontaire un sens à leur vie et reconnaissant dans ces valeurs la solidarité, le besoin de l’acte collectif, le plaisir du vivre ensemble, la démocratie, la protection de la planète, la camaraderie, le respect des différences. Le cadre du service public est une garantie que ces valeurs peuvent être promues et peuvent croiser les objectifs éducatifs nationaux.

L’animation des loisirs : un métier, un engagement, des valeurs.

L’animation est un engagement qui demande une formation. Certains en font un métier. D’autres en resteront à la démarche volontaire sur un court moment de leur vie. Pour cela il y a une rémunération. Celle-ci nécessite une qualification adossée à une formation initiale et continue. Un statut tant de l’animateur volontaire rémunéré que du professionnel est nécessaire. La formation des jeunes doit être aidée, voire incluse dans un parcours scolaire / universitaire choisi. Des passerelles entre les lieux institutionnels de formation et les associations formatrices doivent être recréées, des postes de formateurs rétablis, détachés de l’éducation Nationale.

Des mesures urgentes ?

1. Abroger la réforme des rythmes scolaires en primaire et remettre en chantier une réforme qui donne, à tous les élèves, le temps (retour à 27 h d’enseignement par semaine), les moyens de construire les savoirs scolaires et qui articule la complémentarité école /loisirs en terme d’objectifs éducatifs.

2. Donner aux collectivités les moyens d’assurer la gratuité des moments d’animation après l’école, de permettre l’inscription des jeunes aux clubs à des tarifs permettant l’accès de tous.

3. Établir des conditions de travail qui permettent aux animateurs de s’installer dans le long terme pour effectuer leurs missions. Il faut donc une filière animation avec une formation et un statut.

4. Créer un service public national déconcentré de l’animation.

5. Tisser des liens entre l’Éducation Nationale et les associations d’éducation populaire par des moyens accrus en personnels qualifiés et sous statut pour le secteur de l’animation au sein d’un ministère ad hoc, et favoriser les passerelles professionnelles au sein de la fonction publique

6. Considérer la mission sociale et émancipatrice du loisir. Actuellement la précarité, l’éclatement du travail réduit le loisir à un marché, à une fonction occupationnelle, à une garderie. Une sélection sociale s’opère. Cela doit cesser.

Christian Foiret
PCF Loiret

Erick Pontais
PCF Manche