Politiques publiques locales et inégalités scolaires à Paris
Les communistes se battent pour un véritable service public d’éducation nationale, c’est entendu. Mais il n’en reste pas moins que les différentes lois de décentralisation ainsi que la demande sociale à laquelle les élus locaux sont bien plus sensibles que les parlementaires du fait de leur proximité avec les électeurs ont fait des collectivités locales des acteurs majeurs de la politique scolaire. Nous savons par ailleurs que notre système éducatif est traversé par les inégalités qui structurent notre société tout en en créant de nouvelles en son sein. Aussi il est légitime de se poser la question de savoir ce que peut être le communisme municipal en matière scolaire aujourd’hui. Peut-on mener, à l’échelle municipale, des politiques éducatives qui renforcent le service public national au lieu de le concurrencer, voire qui œuvre à sa transformation, au service de l’égalité et de l’émancipation ?
La question est vaste, tellement d’ailleurs que je ne prétends pas la traiter en entier mais simplement prendre l’exemple parisien pour en aborder quelques aspects.
Le bâti scolaire
La Ville de Paris, à la fois commune et département, est donc en charge du bâti des écoles et des collèges. Elle bénéficie d’un patrimoine scolaire très vaste et très ancien. En effet, la plupart des écoles ont été construites avant la Seconde Guerre mondiale. Le pic démographique a été atteint dans la capitale en 1954 avec plus de 3 millions d’habitants alors qu’aujourd’hui la population dépasse de peu les 2 millions d’habitants. La Ville ne construit pas ou peu et ce depuis très longtemps. Ainsi la création des collèges dans les années 70 et 80 se fait en réaffectant des écoles. Et pour prendre un exemple plus récent le collège où j’enseigne, le Collège Seligmann, a ouvert en 2015, après avoir été une école, un lycée professionnel puis un GRETA. On a donc là un « nouveau » collège qui a coûté seulement 3 millions d’euros alors qu’une création ex nihilo nécessite plutôt 10 à 15 millions. Ce patrimoine scolaire vaste et ancien a un intérêt pour la collectivité, il fait faire des économies. Le Snes Paris a calculé que la Ville de Paris dépensait moins par élève que le Conseil départemental de Seine-Saint-Denis. Un collège en pierre avec parquets et à belle hauteur sous plafond résiste mieux qu’un collège construit dans les années 70 ou 80 en béton préfabriqué. Le style IIIe République rend plus supportable pour les familles le délabrement intérieur parfois réel que le style « Trente piteuses ». Le nombre de cités scolaires très important, cas unique en France, fait que de nombreux collégiens parisiens se retrouvent à étudier dans les monuments emblématiques de la IIIe République que sont les lycées et que la Ville passe beaucoup de temps à miser sur la région pour rénover ce bâti-là. Au final la Ville de Paris fait des économies sur l’immobilier scolaire malgré le mauvais état souvent important des établissements. De plus le manque d’installations sportives est criant mais insoluble vu l’absence de foncier disponible.
Enfin, la Ville de Paris consacre chaque année près de 30 millions d’euros pour s’assurer que l’ensemble des directrices et directeurs d’école soient entièrement déchargés de cours. Cette politique a des effets positifs très importants car le travail administratif est fait, l’animation pédagogique est prise en charge et le lien avec les familles est grandement facilité.
La question de la réforme des rythmes
Un des aspects les plus brûlants de la politique scolaire locale a été la mise en place de la réforme des rythmes scolaires. La Ville de Paris a fait le choix, malgré le refus des élu-e-s communistes, d’appliquer le plus vite possible la réforme. Les enseignant.e.s protestaient (et près de 5 ans après, protestent encore comme on peut l’entendre dans les conseils d’école) car ils dénonçaient la confusion entre le scolaire et le périscolaire, et la dépossession de leurs salles de classe, lieu nécessaire à leur travail en dehors de la présence des élèves. Un autre problème s’est posé immédiatement à la Ville, c’est la capacité à « remplir » le périscolaire. Énormément d’associations, pour la plupart financées par ailleurs par la Ville et donc plus ou moins contraintes, ont été sollicitées pour proposer des activités aux élèves dans des délais très brefs. Les conseils d’arrondissement et le Conseil de Paris ont donc voté des centaines de subventions pour financer ces activités au mois de juin précédent la rentrée. Les élu.e.es communistes ont fait le choix de s’abstenir pour marquer leur désapprobation de la réforme sans bloquer les financements des associations. Dès le mois d’octobre suivant, de nombreuses délibérations étaient soumises aux mêmes instances pour constater que beaucoup d’associations renonçaient. La Ville a alors eu comme solution de développer très fortement sa filière animation. C’est dans ce contexte que le groupe communiste au Conseil de Paris menant un combat de repli par rapport à sa position initiale de refus de l’application anticipée de la réforme des rythmes, a obtenu un plan de
déprécarisation de 1500 animateurs et la création d’un véritable cadre de formation pour ces nouveaux agents.
“ Il est possible de construire des points d’appui car nous sommes capables de voir plus loin que l’urgence des luttes défensives et que nous portons un projet de grande ampleur. ”
Cet épisode appelle deux réflexions. Tout d’abord, à l’occasion de la réforme des rythmes, les communistes parisien.ne.s ont été capables, en utilisant la puissance financière de la collectivité parisienne (unique en France il est vrai), d’obtenir la mise en place des prémisses d’un grand service public du loisir éducatif. Ainsi, même dans un contexte dégradé et du fait des erreurs des autres acteurs (en l’occurrence la mise en place précipitée de la réforme par les socialistes parisien.ne.s soucieux de passer pour les bons élèves du gouvernement), il est possible de construire des points d’appui car nous sommes capables de voir plus loin que l’urgence des luttes défensives et que nous portons un projet de grande ampleur. Enfin, la présence des élu.e.s communistes dans la majorité municipale de gauche, permet dans un rapport de forces permanent, d’influer positivement sur la réalité car nous sommes au cœur des processus de décisions (il n’y a pas de majorité sans nous) et nous ne nous mettons pas dans la position de toujours dénoncer de manière véhémente en utilisant pour se justifier le fait que cela aille toujours plus mal : c’est la position de la seule élue FI de la capitale qui en vient, par nécessité de noircir le tableau, à raconter n’importe quoi.
Cependant s’il est un aspect des politiques scolaires locales qui rend apparent les enjeux de classes, c’est la question de la carte scolaire.
La carte scolaire
Pour les écoles et les collèges parisiens, il existe une carte scolaire contraignante strictement géographique, élaborée par les services de la Ville. Le système fonctionne bien et permet de gérer correctement les cohortes scolaires. La carte scolaire est publique, disponible facilement sur le site internet de la Mairie. Cependant pour les lycées parisiens, il n’y a pas de carte scolaire et c’est un cas unique en France. De plus, l’implantation des lycées est héritée des équilibres démographiques de la fin du XIXe siècle. Ainsi le IVe arrondissement, arrondissement central et désormais très bourgeois qui compte 25000 habitants, possède deux lycées généraux publics tandis que le XXe arrondissement, populaire et périphérique, qui compte 200 000 habitants, n’a lui aussi que deux lycées. Cela est révélateur du fait qu’encore aujourd’hui le lycée est conçu à Paris comme un espace de distinction sociale. Venons-en au système d’affectation. Tout le processus est sous le contrôle du rectorat. La ville a été découpée en 4 secteurs dans lesquels les enfants sortants de 3e sont affectés à l’aide d’un logiciel, nommé Affelnet, dont l’algorithme est élaboré par les services du Rectorat et n’est pas communiqué. L’expérience prouve que le Rectorat affecte les élèves en prenant pour critère premier les résultats scolaires. Il y a ainsi des « bons » et des « mauvais » lycées dans la capitale selon une hiérarchie connue de tous, liée entièrement au système d’affectation officiel. Le rectorat crée donc des lycées hétérogènes comme certains chefs d’établissement s’amusent encore aujourd’hui à créer des classes hétérogènes. Pour rajouter à l’horreur du système, les familles font des vœux, les enseignants mettent la pression à leurs élèves sur la nécessité de bien travailler pour avoir un « bon » lycée et tout cela est mis en scène : fin juin, quand les élèves achèvent leur dernière épreuve du DNB, on leur remet une enveloppe précisant leur affectation, avec des heureux et des désespérés…
“ La sélection par le refus de la mixité scolaire est plus facile à justifier que la sélection par le refus de la mixité sociale. ”
Ce système d’affectation est profondément injuste. Il n’y a aucune mixité scolaire et les hiérarchies locales se complaisent dans ce fonctionnement indigne. Ainsi, il n’est pas rare qu’en fin de seconde, des élèves pourtant admis en classe supérieure par le conseil de classe soient réorientés vers des établissements « qui correspondent mieux à leur niveau » par des chefs d’établissement dont on sait la capacité de certain.e.s, choisi.e.s pour cela, à faire vivre le pire de l’Éducation nationale. Pourquoi en est-on arrivé là ? La bourgeoisie parisienne, y compris dans sa partie dite « progressiste », a considéré que l’élitisme scolaire était un bon moyen d’échapper aux désagréments de la massification scolaire. La sélection par le refus de la mixité scolaire est plus facile à justifier que la sélection par le refus de la mixité sociale. La chance, c’est que les deux se recoupent en partie car on sait à quel point le système est globalement inégalitaire. Et puis un pauvre avec 17 de moyenne, c’est supportable et il n’y en a pas beaucoup.
Un argument fréquemment utilisé pour justifier un système aussi contraire aux valeurs républicaines est la concurrence avec le privé : « il faut retenir les familles qui pourraient mettre leur enfant dans le privé ». À Paris, la pression du privé est effeÉctivement importante puisque 40% des élèves du secondaire sont scolarisés dans le privé. Ce taux est quasiment au même niveau que celui des académies de Rennes ou de Nantes, bastions du catholicisme scolaire. Mais le mot important là-dedans est celui de concurrence car ce qui se joue a moins à voir avec la vieille bataille scolaire qu’avec la création d’un véritable marché de l’éducation pour générer à terme du profit dans un secteur qui n’était pas marchand jusqu’à présent. Le privé à Paris offre non pas de meilleures conditions d’enseignement mais l’absence de mixité. Et il s’agit d’abord non pas d’une absence de mixité sociale car les prix du privé ne sont pas encore prohibitifs mais d’une absence de mixité scolaire car il est évident que les établissements privés ont ce privilège de pouvoir refuser les élèves aux résultats médiocres ou au comportement inadéquat. La concurrence agit aussi comme une injonction pour les établissements publics : face au privé, il faut rendre les établissements plus attractifs, avec un projet innovant et une image dynamique… Le journal Libération collectionne les articles sur ces familles de gauche, actrices de la gentrification des quartiers populaires (et donc pas seulement « de gauche » mais aussi bourgeoises) qui ont peur de sacrifier leurs enfants, selon leurs mots, en les mettant dans le public ou de renoncer à leurs valeurs en les mettant dans le privé. Ce discours, en plus de véhiculer des préjugés racistes, montre à quel point la création d’un marché scolaire est aliénant pour de très larges secteurs de la société.
Que fait la Ville ? Avec le rectorat, elle tente depuis un an la mise en place de secteurs multi-collèges. Il s’agit de regrouper deux collèges proches géographiquement mais aux populations différentes en mélangeant les enfants : chaque établissement accueillant deux niveaux. L’expérience est trop fraîche pour avoir le moindre recul mais dès l’origine le SNES l’avait dénoncée car les personnels avaient été écartés de toute concertation préalable et les secteurs choisis semblaient peu cohérents avec le but recherché. Surtout, cela repose encore une fois sur l’injonction faite au public de s’adapter au marché car le privé n’est pas concerné et son principal avantage comparatif (le droit de refuser les élèves) n’est même pas mis en cause. Sur un autre thème, les élu-e-es socialistes parisien-ne-s, en responsabilité sur les questions scolaires à Paris, montrent que leur grille de lecture est dépassée. En effet, lors d’un récent conseil d’arrondissement, j’ai proposé que la Ville étudie la possibilité d’une carte scolaire pour les lycées parisiens et il m’a été répondu qu’Affelnet fonctionnait très bien et qu’il fallait renforcer la mixité sociale. Or, je m’étais bien gardé d’utiliser la notion de mixité sociale et j’avais, en revanche, montré que le rectorat affectait d’abord les collégiens en fonction de leurs résultats scolaires. Cela illustre le fait que les élu-e-es socialistes confondent mixité scolaire et mixité sociale alors que les deux ne se recoupent pas complètement et il y a là comme un vieux mépris de classe. La boussole de l’égalité semble avoir été oubliée.
“ En effet, une mesure aussi simple que d’imposer la carte scolaire aux établissements privés peut mobiliser les familles, les élus et se faire sans attendre la Révolution. ”
Comme pour d’autres sujets, le projet communiste de l’Ecole pour toutes et tous est à la fois le plus en phase avec les aspirations populaires et le plus apte à animer les luttes immédiates. En effet, une mesure aussi simple que d’imposer la carte scolaire aux établissements privés peut mobiliser les familles, les élus et se faire sans attendre la Révolution. Mais il faudra bien la faire car le projet émancipateur d’une école de l’égalité ne s’accomplira que dans une société sans classe.
Adrien Tiberti
Enseignant
Conseiller municipal du XIème arrondissement de Paris