Numéro 21,  Propositions de lecture

Les privatisations de l’éducation | Revue internationale d’éducation de Sèvres

Revue internationale d'éducation de Sèvres : « Les privatisations de l'éducation »
Revue internationale d’éducation n°82
Décembre 2019, Sèvres
« Les privatisations
de l’éducation »
Coordination : Thierry Chevaillier, de l’Université de Bourgogne et Xavier Pons, de l’Université Paris Est Créteil.

Note lecture présentée par Christine Passerieux.

Les processus de privatisation « dans » l’éducation et « de  » l’éducation concernent désormais la plupart des pays du monde. Les treize chercheurs issus de différents pays et de différents continents qui contribuent au dossier, font un constat commun de l’ Angleterre au Chili, de la Côte d’Ivoire aux États-Unis, de la France à l’Inde en passant par la Suède : la privatisation est un phénomène dont la croissance est exponentielle ces dernières années dans les pays concernés par leur recherche. Les « raisons  » invoquées pour justifier les processus de privatisation sont toujours les mêmes : des raisons économiques qui se conjuguent avec l’intention affichée de réduire l’échec scolaire. Les enjeux de cette privatisation évoluent avec la mondialisation et l’internationalisation des systèmes éducatifs et ne sont pas toujours faciles à identifier. D’où l’intérêt de ce dossier qui donne à voir à la fois les caractéristiques des processus de privatisation et leurs déclinaisons en fonction des spécificités locales (par exemple le soutien scolaire défini comme « privatisation par défaut  » en Asie, l’instruction en famille en France, la privatisation par le marché au Chili ou l’influence des entreprises privées sur les politiques éducatives).

Derrière une grande diversité de situations, les auteurs dégagent trois principales formes de privatisation, que Thierry Chevaillier et Xavier Pons caractérisent, dans l’introduction au dossier, comme « non exclusives et clairement liées les unes aux autres  »: « une privatisation par le biais de politiques publiques spécifiques, une privatisation par le marché et une privatisation par une prise en compte croissante d’aspirations et d’intérêts individuels privés  ».

Le constat est également fait qu’il n’est pas toujours besoin de privatiser pour marchandiser, avec des dispositifs qui même s’ils ne sont pas tous réunis, conduisent tous à la concurrence. Ainsi une école peut être privatisée dans son fonctionnement et rester formellement publique, comme au Chili avec entre autres la liberté de choix des écoles par des parents devenus des « consommateurs  ».

« La privatisation individualisée  » se caractérise par une recherche d’écoles dites alternatives, ou innovantes (très en vogue en ce moment en France avec la prolifération d’écoles estampillées Montessori), également par « l’école à la maison  » qui fait l’objet d’un chapitre. L’éducation devient alors « un bien de consommation privée  » sur le marché scolaire. C’est la conception même de l’éducation et de ses finalités qui est transformée. Le bien public d’éducation devient un bien privé, ce qui entraîne une concurrence renforcée entre établissements avec la sélection des « meilleurs  » et donc une forte aggravation d’une sélection ségrégative. De nombreux établissement paupérisés n’accueillent plus que les enfants des familles les plus en difficultés. Les finances sont plus consacrées à des campagnes de marketing (cf États Unis) pour vendre la marchandise « éducation  » qu’à la formation pédagogique des enseignants (Côte d’Ivoire) ou à une réflexion sur des curricula plus pertinents pour promouvoir la réussite de tous. En Espagne les « acteurs privés s’engagent de manière croissante dans la production et la mobilisation de connaissances utiles à des fins politiques  ».

Alors que l’école publique est menacée dans tous les pays les chercheurs font le constat que la privatisation s’accompagne d’une baisse de la qualité de l’enseignement (Inde, États Unis, Suède …), que la démocratisation n’est pas au rendez-vous, avec une constance de résultats faibles, voire en baisse, et une ségrégation qui perdure.

Ce dossier montre également qu’il est d’autant plus difficile d’exercer un contrôle démocratique que la privatisation « prospère aussi dans tous les interstices laissés ouverts par ces politiques, par une législation imprécise ou par l’état d’organisation du système éducatif à un moment donné  ». Avec pour conséquence le risque majeur à terme d’une autonomisation du privé, qui ne peut être que recul de la démocratie et transformation en profondeur de la société.

Une lecture très éclairante d’une problématique trop méconnue.