Lectures Jeunesse,  Numéro 21

Longtemps j’ai rêvé de mon île | Lauren Wolk

Longtemps j’ai rêvé de mon île | Lauren Wolk
Longtemps j’ai rêvé de mon île,
Lauren Wolk,

Traduction de Marie-Anne de Béru, École des loisirs 2019.

Littérature jeunesse présentée par Françoise Chardin.

Il y a une centaine d’années, au large du Massachussets, dans l’archipel des îles Elisabeth, un vieux rafiot échoue sur un ilot voisin de Cuttyhunk. A son bord, un bébé, des fragments de lettre et une bague. Un artiste misanthrope fuyant la boucherie meurtrière de la guerre de 14, recueille l’enfant. Chacun choisit pour l’autre ce qui devient leur nouvelle identité : Osh pour lui, Corneille pour elle. Une douzaine d’années s’écoulent, entre cabanon, peinture, casier de homards pour vivre de la pêche. Maggie, fermière à Cuttyhunk, complète cet attelage improbable : elle apporte à Corneille livres et enseignement, à Osh, une amitié exigeante et bourrue.

Le récit s’ouvre l’année des douze ans de Corneille : Et puis, une nuit, l’année de mes douze ans, j’ai vu un feu brûler à Penikese, l’île où personne n’allait jamais, et j’ai moi-même décidé qu’il était temps de savoir d’où je venais et pourquoi j’avais été envoyée sur les flots. Pennikese, c’est l’île qui accueille jusqu’en 1921 une léproserie et ne compte plus après son évacuation que quelques lapins, un cimetière, et des oiseaux. Et si c’était de là que venait Corneille, abandonnée à la mer dans le seul espoir de la sauver d’une contamination certaine ? Si c’était parce que les habitants de Cuttyhunk en ont le soupçon qu’ils s’écartent de la fillette et refusent de lui serrer la main ? Oui mais voilà : d’après les informations recueillies par miss Maggie, deux bébés seulement sont nés sur l’île, l’un envoyé vers le continent, l’autre déclaré mort-né et enterré précipitamment sur l’île.

Quête et enquête entraînent Corneille dans des péripéties qui donnent au roman le charme d’un récit d’aventures susceptible d’intéresser des lectrices et lecteurs d’une dizaine d’années. On trouvera tous les ingrédients du genre : des trésors enterrés par les flibustiers, de mystérieux signes de reconnaissance gravés dans la pierre, un déconcertant grimoire, l’indispensable très méchant bandit prêt à tout pour contrecarrer les projets de Corneille, une famille perdue et retrouvée. Une île qui nous fait autant rêver que la fillette et nous interdit de nous fâcher devant quelques rebondissements trop providentiels.

Pour les plus vieux, c’est le passage parfois douloureux de l’adolescente de son identité rêvée à son identité réelle, très finement analysé, qui éveillera l’intérêt. Lauren Wolk l’étudie à travers les tensions que la quête de Corneille fait naître entre son père adoptif et elle, soutenue par Maggie. Lui fuit le passé, elle souhaite connaître le sien pour pouvoir se tourner vers l’avenir, et cela ne va pas sans heurts. Osh rêve de préserver ce qu’il a construit, au risque de l’étouffement, Corneille aspire à de nouvelles découvertes. Il me fallait des réponses à ces trois questions : d’où venais-je ? Qu’étais-je ? Qui étais-je ? Osh, lui n’en avait pas besoin. Quand je l’interrogeais sur les perles ou les marées, il répondait de son mieux, mais si je tentais de regarder plus loin que notre vie sur ces îles, il devenait comme la lune elle-même et me retenait, comme si j’étais faite d’eau de mer et non de sang.

Enfin, cerise sur l’épidémie, le sort réservé aux lépreux il y a un siècle et l’angoisse de la contagion, documentés avec précision dans le roman, apportent un éclairage historique qui fait écho à d’autres années 20…