Claire Pontais,  L'école et son dehors,  Numéro 25

EPS et culture : un sport de combat !

Pour l’Éducation Physique et Sportive (EPS), la question du rapport entre EPS et sport n’est pas nouvelle. Elle a toujours suscité des débats professionnels, souvent percutés par des politiques qui entretiennent sciemment la confusion entre les missions de l’école et du hors-école. Les politiques actuelles réactivent l’idée d’une EPS coupée de la culture pour éviter une externalisation. Pour nous, ce serait une impasse, tant pour les élèves que pour la discipline.

L’intérêt de faire référence aux pratiques sociales

L’EPS, discipline obligatoire dans le système scolaire dès le XIXe siècle, a longtemps répondu à des préoccupations militaires (formation du soldat) et/ou hygiénistes (développement de la santé) exprimés dans ses contenus et ses formes. Depuis les années 60, elle fait référence au sport, auxquelles se sont ajoutées les pratiques corporelles artistiques, de façon à répondre de manière concomitante à des enjeux de santé liés à l’évolution des modes de vie (sédentarité), de développement des enfants et d’accès à la culture. L’UNESCO affirme que le sport est un droit pour tous les enfants ; nous en sommes encore loin pour un grand nombre d’enfants. L’école, parce qu’elle a la spécificité d’instruire tous les enfants, a donc un rôle primordial à jouer dans la réduction des inégalités sociales, territoriales, entre garçons et filles, valides et non valides. L’enjeu est que chaque enfant, devenu adulte, doit pouvoir pratiquer une activité physique régulière, réfléchie, adaptée à ses possibilités, pouvoir faire de réels choix lui permettant d’avoir des loisirs actifs, d’être acteur du monde associatif, d’être un spectateur averti et critique, d’échapper aux stéréotypes sociaux ou sexués, de ne pas subir l’aliénation liée à la marchandisation du sport et à la normalisation des corps et, enfin, d’être un parent qui sait jouer avec ses enfants et faire des choix éducatifs dans ce domaine…

Cette ambition, immense mais déterminante pour l’avenir, implique d’avoir une conception vivante et ouverte de la culture et des savoirs à transmettre, une conception émancipatrice de la citoyenneté (et pas seulement l’obéissance et le respect des règles, comme c’est souvent le cas) et une conception positive et créatrice de la santé.

Cette ambition implique de bien identifier le rôle de l’école. Les activités physiques sportives et artistiques (APSA) ne peuvent pas être importées telles quelles dans l’école, elles doivent être passées au filtre de ses objectifs et de ses modes de fonctionnement. A l’école, il ne s’agit pas seulement de « découvrir des activités », de « s’initier à un sport » ou d’atteindre son plus haut niveau dans un seul sport donné, ni évidemment de « Bouger 30 minutes » (Blanquer) pour être disponible pour le travail scolaire, mais de faire accéder tous les élèves, de manière critique, à une culture physique, sportive ou artistique qui puisse être un outil de connaissance de soi, des autres et du monde.

Cette ambition suppose une approche didactique qui tienne compte des contraintes de l’école (l’obligation scolaire, 25 élèves par classe, un temps d’apprentissage limité, des espaces contraints) et qui justifie ses choix pour passer de pratiques sportives à des savoirs construits et réfléchis : quelle culture commune pour les élèves ? Quels apprentissages et quelles acquisitions visées dans le temps scolaire ? Comment traiter les APSA pour faire réussir tous les élèves, y compris celles et ceux qui n’adhèrent pas spontanément ? Quelles démarches d’apprentissages pour que les élèves agissent, se posent des questions sur leurs façons de faire et se transforment dans une perspective d’émancipation ?

La référence aux pratiques sociales en EPS a toujours fait débat. Il y a notamment un débat sur le degré de scolarisation de l’EPS. En effet, si l’EPS n’est qu’une pratique sportive, il n’y a pas besoin d’école, et à l’opposé si l’EPS n’est qu’une somme d’exercices, ou qu’une intellectualisation des pratiques, elle ne joue pas son rôle et court le risque de n’avoir aucun sens pour les élèves[1]Stéphane Bonnéry, Priorité à l’école primaire : pour faire quoi ? Contre Pied n°14, janvier 2016. URL : http://epsetsociete.fr/IMG/pdf/-61.pdf.. La formation doit donc être exigeante à la fois sur les contenus et sur les processus d’apprentissage. Grâce à une formation initiale et continue assez développée (atypique dans le système scolaire), et grâce à des réflexions didactiques impulsées par le syndicat des professeurs d’EPS (SNEP-FSU) et le Centre EPS & Société, la profession a pu avancer sur des sujets tels que l’évaluation (l’EPS a été la première discipline à revoir ses modalités et contenus d’évaluation en inventant l’idée d’une « performance scolaire »), à s’intéresser à l’échec en EPS et aux « éternels débutants », et aussi à la mixité et à la réussite des filles en EPS.

Aujourd’hui cependant, la formation des enseignant.es s’est dégradée et l’institution et les programmes – notamment ceux du second degré – tendent à minimiser la référence culturelle en dévalorisant les savoirs pratiques et techniques au profit de savoirs déclaratifs. Le SNEP-FSU combat cette approche qui renforce les inégalités sociales.

On peut par ailleurs constater que toute la société s’est scolarisée, y compris le monde du sport. Les fédérations sportives, qui ont sur leur champ propre un rôle social indéniable, ont la tentation, pour des raisons existentielles, d’investir l’école (assurer leur propre développement, concurrences entre elles). Elles produisent des contenus à vocation scolaire qui brouillent les cartes. Pour éviter cela, il serait nécessaire de mieux réfléchir ensemble aux objectifs des différents espaces et temps où les enfants pratiquent le sport, ainsi qu’aux différentes formes et contenus spécifiques à chacun des champs d’intervention. Les enfants ont besoin d’école, mais aussi de loisirs pour se détendre et se dépasser ; ne pas confondre les différents champs où ce sport se pratique permettrait de penser sereinement des formes de collaboration.

Des politiques qui entretiennent sciemment les confusions école-hors école

Dans l’histoire de l’EPS, depuis 50 ans, chaque fois que les gouvernements ont voulu réduire les dépenses scolaires, ils l’ont fait en délégant une partie des responsabilités de l’école à des « partenaires » extérieurs. Dans ce schéma, l’EPS a été la première concernée, rattrapée ensuite par les disciplines artistiques. Aujourd’hui, toutes les disciplines en sont menacées.

Pour l’EPS, ce fut le plan Soisson en 1978. Suite à la loi Haby (1975), pour faire face à l’arrivée massive des élèves dans les collèges, le gouvernement se devait d’investir. Il choisit au contraire de baisser les horaires d’EPS (on passe alors de 5h d’EPS officielles à 3h en collège, 2 h en lycée), et tente d’externaliser l’EPS, en faisant intervenir des éducateurs des clubs moins qualifiés que les professeurs d’EPS dans des centres d’animation sportives. Une longue lutte syndicale menée par le SNEP permettra qu’en 1981, l’EPS soit non seulement réintégrée à l’Éducation Nationale, qu’un cursus universitaire STAPS soit développé, mais aussi qu’elle bénéficie, comme toutes les autres disciplines, d’une dynamique de formation continue, aussi bien à l’école primaire que dans le second degré.

Ensuite, la quasi-totalité des gouvernements ont proposé – pour l’école primaire seulement – des dispositifs à cheval sur le scolaire et le périscolaire au nom de la « complémentarité » entre école et hors-école (Contrats bleus, Aménagement du temps de l’enfant, Projet éducatif local…) sous la responsabilité des collectivités territoriales et/ou grâce à des conventions avec les fédérations sportives. Dans tous les cas, il s’agissait d’introduire dans l’école des « partenaires », officiellement sous la responsabilité des enseignant.es, mais dans la réalité, cela s’est traduit souvent par de la substitution (Odile Devos-Prieur et Christine Amans-Passaga, 2010 et 2011 ; P. Garnier, 2015). Aujourd’hui, dans nombre d’écoles primaires, l’EPS n’est pas assurée par les enseignant.es. Cela pose plusieurs problèmes : d’une part, une forme de municipalisation de l’école qui aggrave les inégalités territoriales, et d’autre part, la présence d’intervenant.es n’augmente pas la quantité d’EPS[2]Cour des comptes, L’école et le sport : une ambition à concrétiser, 2019. URL : https://www.ccomptes.fr/fr/publications/lecole-et-le-sport-une-ambition-concretiser ; Rapport de l’Inspection Générale, 2021.. Sur le plan professionnel, déléguer l’EPS à des non-enseignant.es la marginalise encore plus et entérine la hiérarchie des disciplines, cela renforce également un sentiment d’incompétence chez les professeurs d’école, parfois non justifié. Enfin, la confusion est aussi entretenue dans la tête des élèves qui sont confrontés à des propositions scolarisées – de manière très souvent formelle[3]Stéphane Bonnéry, op. cit. – qui ne peuvent réduire les inégalités. En l’absence d’investissement pour l’école (équipements, formation), une enquête du SNEP et du SNUipp (FSU) sur les « Écoles vitaminées à l’EPS »[4]SNEP & SNUipp (FSU), Les écoles vitaminées à l’EPS, ça existe ! pourquoi pas partout ? Rapport d’enquête, 2022. URL : https://www.snuipp.fr/system/resources/W1siZiIsIjIwMjIvMDMvMTAvMnFvNDI1eGllM19yYXBwb3J0X2NvbGVfdml0YW1pbl9lc19TTlVpcHBfRlNVX1NORVBfRlNVLnBkZiJdXQ/rapport%20%C3%A9cole%20vitamin%C3%A9es%20SNUipp-FSU%20SNEP-FSU.pdf montre que pour résister à ces partenariats de substitution, il faut être militant.e de l’École.

Blanquer : une centration sur les fondamentaux pour mieux privatiser tout ce qui peut l’être

Le ministère Blanquer a franchi un pas supplémentaire. Tout au long du quinquennat, il s’est attaché à rendre exsangue la formation initiale et continue, à supprimer les conseillers pédagogiques EPS du primaire, à diminuer le nombre de postes au CAPEPS, à dégrader le sport scolaire, organiser la concurrence pour l’USEP… bref, alors même que les besoins sociaux en matière de santé et d’accès à la culture sont reconnus par tous, il a ouvert grand la voie à une externalisation ou privatisation de la discipline hors l’école.

Sa mesure phare – qui n’a heureusement pas abouti grâce à la contestation – a été le dispositif 2S2C (« Sport, Santé, Culture, Civisme ») en mai 2019 à la sortie du premier confinement lié à l’épidémie de la Covid-19. Blanquer a qualifié ce dispositif « d’avenir de l’école ». Il consistait pour l’EPS à ce que les clubs sportifs interviennent sur le temps scolaire, et élargissait cela à tout ce qui a trait à la santé, la culture et le civisme ! Ne restait aux enseignant.es que le lire-écrire-compter ! Le ministre Allègre avait en 2008 tenté la même chose avec la Chartre « pour bâtir l’École du XXIème siècle » (le professeur des écoles devenait un coordonnateur d’intervenants). La droite, elle aussi avec « Cours le matin, sport l’après-midi » (Chatel, 2010).

Dans la logique des fondamentaux, Blanquer a également introduit le « Bouger 30 minutes par jour », entrainant une confusion entre une activité physique hygiéniste dénuée de contenus et la discipline scolaire EPS, là aussi avec la possibilité de partenariats. Il a créé deux labels, le savoir-rouler et l’aisance aquatique, en les adossant à des partenariats alors même que ces apprentissages font partie intégrante des programmes scolaires depuis des décennies. Au passage, il a remercié les professeurs d’EPS d’avoir permis l’obtention de médailles en sports collectifs aux Jeux Olympiques… entrainant une levée de boucliers sur la confusion entre l’EPS et le sport (à moins de remercier l’école chaque fois qu’un écrivain ou une scientifique obtient un prix Nobel !).

La politique de J.M. Blanquer a donc non seulement dégradé la situation de l’école et de l’EPS, mais aussi développé des confusions sur le statut de l’EPS dans le primaire et déclenché des réactions de repli sur soi dans le secondaire. Certain.es pensent que pour sauver l’EPS, il faudrait la couper des pratiques sociales et renforcer son côté intellectualiste, formaliste pour assurer sa scolarisation. Nous pensons au contraire que cette approche serait meurtrière. Enlever son côté culturel à l’EPS serait un bon argument pour ouvrir l’école à tous les partenaires qui ne demandent qu’à y entrer, tout simplement parce qu’elle représente un marché pour eux. Cette réflexion n’est pas spécifique à l’EPS, recentrer l’école sur des fondamentaux coupés de la culture appauvrit ses enjeux et ses contenus et la fragilise considérablement. A l’inverse, ouvrir l’école à tous vents brouille son rôle.

Il y a donc deux batailles simultanées à mener. Celle pour améliorer les conditions de l’école : augmenter le temps scolaire, former les enseignant.es, offrir des conditions d’étude qui permettent à tous et toutes d’apprendre (moins d’élèves par classe, des équipements adaptés dans l’école…). Et celle pour améliorer les conditions d’existence des clubs sportifs et le secteur de l’animation. L’enjeu est que chacun dans son rôle, poursuive ses objectifs et puisse concourir à développer le projet d’éducation/émancipation /démocratisation libéré des concurrences dans lesquelles le système libéral nous enferme.

Claire Pontais
Syndicaliste FSU

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