Entretien avec Frédérique Rolet
Frédérique Rolet est Secrétaire générale du SNES-FSU.
Carnets Rouges : Votre organisation est favorable à une scolarisation de 3 à 18 ans. Pourquoi, alors qu’il est beaucoup question de l’ennui de certains élèves à l’école et également du choix que chacun devrait pouvoir faire d’opter au plus tôt pour le monde du travail ?
Frédérique Rolet : Lors de la période précédant les élections présidentielles, le SNES FSU a rappelé sa demande de porter la scolarité obligatoire à 18 ans, une scolarité bloquée depuis 1959 à 16 ans ; cette proposition a été élaborée très tôt par le SNES pour des raisons procédant d’une vision de ce que devrait être la justice scolaire. Elle fut adoptée dès le Congrès de 1950 dans le cadre d’une réflexion sur une réorganisation totale du système scolaire, inspirée des principes du plan Langevin-Wallon. Elle prend aujourd’hui une acuité et une urgence particulières : pour quelles raisons ?
Notons d’abord ce qu’il en est des faits : aujourd’hui, à 17 ans, près de 97 % des jeunes sont encore scolarisés, les taux de scolarisation par âge constatés en 2015-2016 permettent d’espérer, pour un jeune âgé de 15 ans, encore 6,3 années de scolarisation (chiffres DEPP 2017). La tendance de fond est sans conteste à l’allongement de la durée des études et la demande sociale de poursuite d’études s’accroît. Plus de 95 % des parents souhaitent que leur enfant poursuive ses études au moins jusqu’au bac. Le devenir du bac professionnel, créé en 1985, le montre : initialement conçu pour déboucher sur l’insertion professionnelle, il est confronté désormais à une demande d’orientation dans le post baccalauréat. Notre société a besoin de plus de diplômés, les entreprises de salariés disposant des capacités à s’approprier les organisations de leur travail. Dans un pays comme l’Allemagne, où l’apprentissage est fortement implanté, la tendance est à l’augmentation de l’âge des apprentis due à la volonté d’acquérir une formation générale solide avant toute spécialisation professionnelle.
Les jeunes et les familles sont conscients du rôle que joue le diplôme dans la protection contre le chômage, des besoins d’un niveau de connaissances élevé pour évoluer dans un monde du travail complexe et marqué par la mobilité professionnelle. Le sort réservé aux “décrocheurs” est significatif : confrontés à la difficulté de trouver un emploi après la sortie précoce du système scolaire, ils se retrouvent souvent en manque de ressources pour trouver une solution de formation. Des efforts ont été faits et le nombre de “décrocheurs” a sensiblement diminué mais, même si le droit au retour en formation existe désormais, il est moins difficile de maintenir des élèves dans le système scolaire que de les y faire revenir après leur sortie. Si l’État était contraint d’assurer à tous un droit à une scolarité jusqu’à 18 ans, le parcours scolaire de ces jeunes aurait pu être autre. C’est aux jeunes des catégories populaires que l’on demande le plus souvent d’opérer des choix définitifs de manière trop précoce. Porter la scolarité obligatoire à 18 ans permettrait de penser autrement le parcours scolaire, les contenus des programmes d’enseignement, d’organiser l’accès à la culture commune sur un temps plus long, de desserrer le poids des décisions d’orientation, d’offrir des possibilités de passerelles, de passage dans les différentes voies de formation en cas de souhait de réorientation.
Les contempteurs de cette revendication le sont souvent pour des raisons idéologiques plus ou moins masquées, sous jacentes à plusieurs grandes étapes de l’histoire du système éducatif : la nécessité d’élever le niveau de qualification imposée par le réalisme économique s’est trouvée en tension avec celle de maintenir un clivage entre la formation des élites, essentiellement issues des catégories favorisées et celle des enfants des classes populaires. Le refus d’un projet donnant à tous une culture commune émancipatrice a souvent été masqué par des arguties, théorisant les diverses formes d’intelligence, de talents, l’incapacité de certains jeunes d’accéder à des savoirs complexes et, de ce fait, le besoin de les évincer rapidement du système scolaire. Ce discours fait volontairement l’impasse sur la corrélation entre les trajectoires scolaires et les dimensions sociales et économiques pour renvoyer à des facteurs individuels le destin de chacun. Évidemment, les opposants à la scolarité à 18 ans ne manquent pas de souligner la situation actuelle qui voit, essentiellement dans les lycées professionnels, des jeunes en rupture avec l’école, sujets à un ennui, voire une souffrance, découragés par leurs échecs, dérivant vers des phénomènes d’absentéisme ou de violence. Prolonger les études dans ce cadre ne ferait, argumentent-ils, qu’accentuer le décrochage sans bénéfice pour quiconque et il faut laisser le « choix » d’opter rapidement pour le monde du travail.
CR : Suffit-il d’allonger le temps de la scolarité pour réduire les inégalités ? A quelles conditions pourrait-il y participer ?
Frédérique Rolet : Une telle mesure, particulièrement profitable aux jeunes des catégories populaires, n’a de sens que dans un système éducatif profondément transformé, assurant la scolarisation précoce des enfants, prenant en charge de façon plus efficace l’échec scolaire dès le plus jeune âge et à tous les niveaux, ensuite, de la scolarité, s’appuyant sur des programmes plus aérés, faisant place aux diverses facettes de l’activité humaine sans hiérarchisation, permettant de donner le temps à chacun de construire son parcours, repensant les 3 voies du lycées comme ayant les mêmes objectifs de culture et de qualifications des jeunes en empruntant des chemins différents. Des passerelles entre niveaux et formations devraient permettre d’éviter le coté irréversible de certaines orientations et ouvrir des portes à des jeunes à qui elles sont souvent fermées, faire en sorte que l’obtention du baccalauréat devienne accessible à tous. Tout ne se fera pas par le biais d’une réforme et nécessitera forcément des étapes pour que chaque jeune ait accès à des qualifications reconnues dans le monde professionnel et des outils de pensée permettant d’assurer pleinement sa citoyenneté. Inscrire dans la loi l’âge de 18 ans comme terme minimum de la formation initiale serait un premier pas indispensable. Cela permettrait ensuite de débattre des modalités et des questions que cela pose : celle du statut qui pour le SNES FSU doit être un statut scolaire (la baisse continue du nombre d’apprentis pré-bac conforte cette revendication), celle de la durée du cycle terminal etc.
Travailler dès maintenant à augmenter la mixité sociale et scolaire, à mettre en place une formation des enseignants, initiale et continue, les aidant à mieux cerner les phénomènes cognitifs, approfondir la connaissance de la didactique pour des pratiques plus démocratisantes, disposer dans chaque établissement d’équipes pluri-professionnelles, voilà quelques mesures allant dans le sens de cet objectif. Le coût budgétaire immédiat en serait largement compensé par la diminution du coût social actuel.
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