Édito | L’incitation à l’ouverture de l’école n’est pas sans paradoxes
Un discours récurrent prône l’ouverture de l’école par le renforcement de ses liens avec la réalité sociale, économique et culturelle du monde grâce à des intervenants extérieurs ou des partenaires. Cette aspiration réunit des finalités des plus contradictoires où se mêlent les volontés de facilitation d’accès à la culture, la réduction de l’ambition éducative à des finalités comportementales, la légitimation d’une délégation du service public au secteur privé et les perspectives marchandes qu’elle offre. Parfois, elle se suffit des seules visées budgétaires d’une réduction des coûts publics.
Dans le contexte actuel, cette incitation à l’ouverture de l’école sur des partenaires extérieurs n’est pas sans paradoxes. Elle invoque la liberté alors que les injonctions autoritaristes et les pressions idéologiques se multiplient. Elle appelle à la diversité des apprentissages culturels alors que l’obsession des « fondamentaux » réduit le champ des enseignements. Elle invoque l’innovation, l’initiative et le projet alors que les diktats méthodologiques ne cessent de réduire la liberté pédagogique des enseignantes et enseignants. Elle se nourrit des visions positives d’une coopération qui prétend se fonder sur le partage des finalités alors qu’elle se limite bien souvent à des compromis d’intérêt.
Pourtant nul doute que l’école doit être ouverte… Nous n’avons pas l’intention de défendre une séparation d’avec le monde que d’aucuns réclameraient pour préserver l’entre-soi des meilleurs élèves, pour entretenir la nostalgie de l’exercice scolaire formel, par crainte intrinsèque de l’intervention d’autres acteurs sociaux et culturels ou par refus de la prise en compte de champs nouveaux de connaissance. Il ne s’agit pas de hiérarchiser les différents milieux d’acculturation et de mépriser ceux qui permettent aux enfants et adolescents d’apprendre ailleurs qu’à l’école. Mais il faut prendre garde que les finalités spécifiques de l’école ne se diluent pas dans des enjeux asservis à des demandes sociales ou politiques qui seraient, in fine, guidées par les enthousiasmes fugaces des modes passagères ou les intérêts particuliers des classes dominantes. Par influence des présupposés de notre société, ce serait risquer de voir privilégier l’épanouissement individuel par la concurrence aux dépens d’une émancipation collective par la coopération. Et nous voyons déjà comment se développent des interventions qui inculquent des comportements plutôt que de développer savoirs et pensée critique dans les ambitions d’une éducation démocratique qui ne forge pas un citoyen modèle mais lui donne la capacité d’exercer sa liberté par la culture commune et la raison.
Une porosité insuffisamment réfléchie entre culture scolaire et culture non scolaire laisse croire à la similitude des objectifs de l’école, du loisir éducatif ou de l’éducation populaire, risquant de faire perde aux uns comme aux autres leur nécessité spécifique. Les visées propres de l’école ne peuvent prétendre modéliser l’ensemble des expériences éducatives d’un enfant : elles ne peuvent s’imposer à la famille, à la maison de quartier, au service éducatif du musée ou à la colonie de vacances qui ont d’autres singularités éducatives à développer. Il faut les affirmer, les soutenir, les financer plutôt que de vouloir les soumettre à n’être que des temps de soutien des apprentissages scolaires. Quel paradoxe que nous voulions imposer des « vacances apprenantes » à l’extérieur de l’école quand, par ailleurs, nous négligeons les enjeux égalitaires de ces apprentissages en son sein même ! Et seules des visions superficielles peuvent défendre qu’une meilleure prise en compte de la globalité de la personne supposerait l’unicité des actions éducatives. La prescription de continuité, de cohérence de parcours, d’harmonisations de tous genres obéit davantage à des mirages institutionnels qu’à une volonté politique déterminée de démocratisation de l’accès à la culture commune.
Ce numéro de Carnets rouges a pour objet d’explorer comment et à quelles conditions les relations entre le « dedans » et le « dehors » peuvent affirmer la volonté d’une éducation en prise sur la réalité sociale et culturelle du monde tout en se gardant des risques d’une ouverture irréfléchie et mal maîtrisée dont nous devrions constater qu’elle produirait davantage d’inégalités au contraire des prétentions de ses discours fondateurs. La fonction spécifique de l’école s’avère toujours plus nécessaire pour que la démocratie et ses valeurs de liberté et d’égalité perdurent, non pas comme des objets d’adhésion et de croyance mais comme les choix responsables et éclairés de citoyennes et de citoyens émancipés.
Paul Devin & Christine Passerieux
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