Christian Foiret,  Entretiens,  Numéro 25

Entretien avec Christian Foiret

Christian Foiret est militant du Parti communiste français (PCF), ancien militant des Francas et ancien élu municipal.

Ton parcours est assez spécifique en ce qu’il est au croisement d’engagements pluriels. Quels effets sur les pratiques et le regard que l’on porte ?

Je sors de l’École Normale en 74 et en même temps je suis dans un mouvement d’éducation populaire, les Francs et Franches Camarades, les Francas, où je milite de 71 à 85. Les Francas défendaient à l’époque une conception d’éducation globale de l’enfant avec un concept « d’école ouverte aux co-éducateurs » associant des espaces spécifiques et des espaces partagés entre l’école, un centre de loisirs éducatifs, une maison de l’enfance. En 82, j’adhère au Groupe Français d’Éducation Nouvelle, le GFEN, qui m’accompagnera jusqu’à ma retraite avec un passage à la direction d’école et à l’animation d’une réflexion pédagogique en éducation prioritaire. Je serai par ailleurs élu municipal en 89 et pendant 4 mandats d’une ville de banlieue populaire.

Ça me permet de dire que l’éducation de l’enfant est à une intersection entre l’institution scolaire, des services municipaux, l’éducation populaire et les associations qui organisent l’accueil des jeunes dans le domaine des loisirs, du sport, de la culture, les comités d’entreprises pour lesquels la vocation éducation s’est bien amoindrie, les ressources numériques et bien sûr le milieu familial au sens large. C’est dans les interactions de ces milieux que se construit l’éducation, la formation initiale des enfants. Entre eux, il s’agissait de complémentarité et non de concurrence. Cette approche-là se concevait dans un modèle de partenariat sur un projet collectif.

Il me semble que ce qui m’a profondément aidé dans ma pratique d’enseignant, c’est l’idée d’un projet global d’éducation, appuyé sur une visée émancipatrice de la formation des jeunes dans le but de leur donner les moyens de penser le monde et de construire les moyens d’agir sur sa marche.

Les mouvements d’éducation populaires comme les Francas et les mouvements pédagogiques comme le GFEN ont eu un rôle politique essentiel. Mais la donne a changé.

Ces mouvements existent toujours. En quoi la donne a-t-elle changé ? Qu’est-ce qui a provoqué ce changement ?

Les politiques autoritaires prônant l’austérité, le dogme de la réduction de la dépense publique, la pression du marché, ont contraint les mouvements progressistes à se réorienter. L’affaiblissement, voire la disparition des moyens nationaux (par exemple les mises à disposition par l’éducation nationale dans les années 80), les subventions coupées ont réduit leur influence. Pour continuer d’exister ils ont dû s’adapter aux dispositifs gouvernementaux de formation. On est passé, dans les années 80 et 90, à un subventionnement de projets individuels, des « projets jeunes », axés sur l’individu, flattant l’air du temps, des hobbys en sport, en musique, voyages… Une visée de société bien marquée qui se poursuit d’ailleurs. L’individu est poussé dans ses désirs du moment. Un des effets de ces orientations – consuméristes – est l’affaiblissement des corps intermédiaires, l’individualisme poussé au dépend du collectif. Il n’y a pas eu d’évaluation sur ce qu’apportaient ces dispositifs à la jeunesse et pour cause !

En même temps, la sous traitance de missions de l’éducation nationale prend le pas sur la complémentarité de même que la concurrence s’est glissée dans l’intersection entre les différentes structures passant d’une logique de projets éducatifs à une logique de marchés.

Les structures d’accueil de loisirs, quand elles existent encore, ont abandonné le mot « éducatif » et se spécialisent avec une surenchère d’offres de consommation où le projet est à peine réduit à un thème.

Si la loi de 1984 stipulait que « les centres de loisirs sans hébergement sont des entités éducatives… », réactualisant ainsi la loi de 1970 et ouvrant la voie à la professionnalisation des animateurs les décisions politiques des années suivantes se sont opposées à cette orientation.

Il n’y a plus de cohérence entre les objectifs de construction d’une citoyenneté, de construction d’apprentissages, de sensibilisation au monde en complémentarité des savoirs scolaires (et aussi grâce à eux).

Les projets éducatifs locaux sont maintenant quasi totalement sous l’influence des décideurs politiques locaux et de leurs propres choix voire de leur ignorance sur le sujet.

Tu parlais de cohérence positive d’objectifs entre les différentes institutions préoccupées d’éducation. Quelles incidences observes-tu sur l’égalité de traitement des enfants, sur la qualité des propositions qui leur sont faites, alors que cette cohérence est perdue ?

La dénationalisation du service public d’éducation est en marche depuis 3 décennies. Avec une accélération conséquente ces dernières années. Cela va des programmes bousculés avec l’injonction d’une méthode de lecture ministérielle à la sous traitance de missions de l’école vers les familles, le privé (associatif ou entreprises), les structures de loisirs. La législation de 1970, confortée en 1984, sur le rôle et les prérogatives des structures de loisirs éducatifs a été modifiée plusieurs fois. Le but étant d’imposer aux collectivités locales, ce que l’école n’a plus le temps de faire parce que ses missions changent, et pour laisser au marché du champ libre.

Dans les accueils de loisirs, les rapports d’encadrement des enfants sont passés de 1 encadrant pour 8 jeunes de moins de 8 ans et 1 pour 12 pour les plus grands, à 1 pour 12 et même 1 pour 14 puis 1 pour 18 au périscolaire avec la modification des rythmes scolaires. Économie de dépenses mais surtout transformations des objectifs éducatifs. Choix politique encore.

En perdant l’adjectif : « éducatif », idéologiquement, un combat s’est mené pour dire que les loisirs ça n’est pas l’école et que donc les loisirs c’est le plaisir avant tout. Or à l’école et dans les loisirs, éducation et construction de soi vont de pair avec plaisir et jubilation à condition que les pratiques soient appropriées. Ce qui amène à être exigeant sur la formation au sens politique de l’éducation et à l’exercice des professions.

Quels changements sont souhaitables ?

Je partage l’avis que les apprentissages scolaires doivent avoir lieu dans le cadre du service public d’éducation. Et que donc l’école doit se faire entièrement à l’école sans sous traitance ni aux familles, ni aux collectivités, ni aux associations et au privé. Les savoirs scolaires sont l’objet des programmes et donnent aux jeunes des clés pour appréhender de nouvelles relations à la culture, aux activités sportives, à la découverte du monde, à la vie sociale et citoyenne.

L’école croule depuis quelques années sous l’affluence de nouveaux domaines à enseigner qui brouillent les pistes (« l’éducation à … la route, aux gestes de secours, à réagir aux situations violentes, etc. avec des certification à obtenir).

Il s’agirait à mon avis de redéfinir de nouvelles articulations et interconnexions entre l’institution scolaire et le secteur des loisirs éducatifs au sens large : activités physiques, sports, pratiques culturelles, vie en commun, jeux, lectures, activités scientifiques, exercice de la citoyenneté y compris dans les activités citées, etc. Il faudrait revisiter des activités que je considère comme de fausses pistes éducatives. Je pense entre autres, aux « conseils municipaux d’enfants » où les jeunes n’apprennent rien de la vie démocratique déjà confisquée par seulement quelques-uns des élus d’une collectivité. C’est un leurre puisque les jeunes sont plutôt sollicités, par exemple, sur des sujets comme le ramassage des déchets plutôt que sur l’aménagement d’une zone à urbaniser ! Je pense aux dispositifs d’accueil après classe après la réduction du temps scolaire, qui fonctionnent sur une ambiguïté de contenus, une précarité de l’encadrement, une course au temps et s’avèrent contre productifs au plan des apprentissages. Je pense aussi à la spécialisation à outrance des séjours de vacances avec une course au spectaculaire au détriment d’une réflexion sur l’apport éducatif, sur la construction de l’individu et du collectif. Il y a sans doute d’autres exemples.

Je suis donc pour la création d’un service public des loisirs éducatifs qui fonctionnerait de manière déconcentrée. Il faudra redonner aux associations d’éducation populaire des moyens financiers et humains. Recréer des passerelles, rendre accessibles les séjours de vacances à toutes les familles. Les collectivités locales seraient incitées et aidées financièrement pour organiser la complémentarité. Des lieux d’accueil partagés et aussi spécifiques sont à encourager.

Un exemple. L’éducation musicale est un domaine d’apprentissage à l’école. Mais la pratique instrumentale en école de musique reste un domaine auquel ne peuvent accéder tous les jeunes qui le souhaitent. Ce devrait être un droit et donc une possibilité pour tous. Les écoles de musique devraient avoir un projet et une réflexion pédagogique des professeurs, visant à ce que tous les élèves accèdent à la pratique. Cela demande formation, projet, concertation, aides financières, volonté politique.

Je parle de droit aux loisirs éducatifs comme on parle de droit à l’éducation, à la santé, bref la mise en œuvre de la convention internationale des Droits de l’Enfant de 1989 bien oubliée, même tous les 20 novembre !