Édito | En matière scolaire, les projets des droites extrêmes, conservatrices ou libérales s’entrelacent, s’interpénètrent et s’alimentent mutuellement
Il n’est pas dans nos intentions de vouloir mêler et confondre toutes les menaces que les droites font peser aujourd’hui sur l’école publique comme si elles procédaient d’intentions identiques. Nous savons les traits singuliers de l’extrême-droite et la nature particulière du refus qu’il faut opposer à leur vision de l’école. Nous connaissons les multiples divergences qui opposent, parfois au sein même des partis, leurs conceptions de la politique scolaire. Mais nous ne pouvons pas davantage nous satisfaire d’une distinction absolue qui séparerait d’un bord, les attaques conservatrices qui veulent faire de l’école le vecteur idéologique du maintien des valeurs réactionnaires et de l’autre, les volontés ultralibérales qui raisonnent la question scolaire dans les perspectives d’une mise en marché. Les cinq ans d’exercice de pouvoir ministériel de Jean-Michel Blanquer ont tout particulièrement contribué à montrer comment, en matière scolaire, les projets des droites extrêmes, conservatrices ou libérales s’entrelacent, s’interpénètrent, s’alimentent mutuellement en jouant tantôt sur leurs oppositions, tantôt sur leurs opportunités d’alliance.
Le discours sur les « fondamentaux » en offre l’exemple. Pour les uns, il s’agit de recouvrer l’idéalité fantasmée d’une école de l’ordre et de l’autorité… pour les autres, il s’agit davantage de rationaliser l’enseignement vers les seules compétences indispensables à l’employabilité. Nul doute que ce ne sont pas les mêmes visions sociales qui émergent de chacune de ses perspectives mais pour autant, elles permettent le discours commun qui, paré des atours rhétoriques d’une volonté de démocratisation, a nourri la progressive dégradation des réalités égalitaires de notre système scolaire.
Le refus de conceptions dites « pédagogistes », le recours de plus en plus coercitif à la modélisation des pratiques professionnelles, l’orientation professionnelle précoce des élèves et la mainmise du patronat sur la formation professionnelle… bien des sujets permettent de constater qu’au-delà de fondements idéologiques différents, ce sont les mêmes orientations de politique éducative qui sont annoncées. Mêmes convergences quand il s’agit de renforcer l’organisation hiérarchisée de l’école : partisans de l’ordre et technocrates du management en affirment la nécessité. Et quand ils attaquent la sociologie critique ou fustigent « l’islamo-gauchisme » de l’université ou la « complaisance » de l’école avec le « séparatisme » communautariste en se fondant sur une conception dévoyée de l’universalisme ou de la laïcité, ce sont les mêmes accents de haine, de mensonge et de simplification outrancière qu’on entend de bord et d’autre.
Un mépris commun nourrit les discours réactionnaires, conservateurs et libéraux : celui qu’ils portent sur la destinée scolaire des classes populaires. Ils dédaignent l’ambition révolutionnaire d’une égalité réelle, celle dont l’enthousiasme utopique de 1789 voulait qu’elle nourrisse à la fois l’espérance politique, morale et intellectuelle. Ils lui préfèrent les discours hypocrites de « l’égalité des chances » qu’ils ont façonné pour laisser croire qu’une disposition naturelle de l’individu continuait à déterminer son avenir scolaire et qu’on pouvait se satisfaire de célébrer quelques réussites singulières pour innocenter une politique ségrégative. A l’ambition d’une égalité réelle pour toutes et tous, ils ont substitué celle d’une promesse que le discours répète mais que la réalité ignore.
Car s’il y a bien une volonté politique qui doit nous réunir contre cette droitisation des politiques scolaires, quel qu’en soit le fondement idéologique, c’est celle de ne penser l’école qu’aux conditions de sa finalité démocratique, de sa capacité réelle à fonder les droits de la citoyenne et du citoyen par la raison, le sens critique et la culture commune. Et face à la droitisation des politiques scolaires, c’est cette perspective qui doit unir les gauches pour la défense de l’école populaire et démocratique.
Paul Devin
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