Fondamentaux
« Lire, écrire, compter, respecter autrui » répète ad libitum Monsieur Blanquer, comme l’ont répété messieurs Guizot et Falloux au XIXème siècle pour résumer les finalités de l’école primaire. Non, le « lire, écrire, compter » n’est pas de l’invention de Jules Ferry ; il en a même fait une des principales cibles de son combat pour l’école publique, gratuite et obligatoire : « Les leçons de choses, l’enseignement du dessin, les notions d’histoire naturelle, les musées scolaires, la gymnastique, les promenades scolaires, le travail manuel de l’atelier placé à côté de l’école, le chant, la musique chorale.
Pourquoi tous ces accessoires ? Parce qu’ils sont à nos yeux la chose principale, parce que ces accessoires feront de l’école primaire une école d’éducation libérale. Telle est la grande distinction, la grande ligne de séparation entre l’ancien régime, le régime traditionnel, et le nouveau ». (Jules Ferry, au congrès pédagogique des instituteurs de France du 19 avril 1881). Ferdinand Buisson rappelle dans le Dictionnaire de pédagogie de 1887 ce choix essentiel des débuts de la IIIème République : « L’instruction primaire, telle que la définit la loi du 28 mars 1882, n’est plus cet enseignement rudimentaire de la lecture, de l’écriture et du calcul que la charité des classes privilégiées offrait aux classes déshéritées : c’est une instruction nationale embrassant l’ensemble des connaissances humaines, l’éducation tout entière, physique, morale et intellectuelle ; c’est le fondement sur lequel reposera désormais l’édifice tout entier de la culture humaine ».
Les termes d’un débat qui a traversé tout le XXème siècle et le début du suivant sont fixés. Se contente-t-on d’un enseignement rudimentaire pour les classes populaires ou cherche-t-on à fournir une éducation complète, en prise sur son époque, ouverte à la diversité des élèves permettant l’accès de tous à la culture humaine ? Ce choix du minimum pour l’enseignement primaire s’est ensuite étendu à l’ensemble de la scolarité obligatoire. Le président Giscard d’Estaing en avait résumé les termes en appelant à la création d’un « SMIC culturel ». Roger Fauroux à qui le président Chirac avait commandé un rapport en 1996 prêchait pour des « savoirs primordiaux » ; le grand débat sur l’école de 2004 reprenait l’idée sous la forme d’un « socle des indispensables » plus réduit encore que celui de la commission Fauroux. Le « socle commun » de 2005 fut moins squelettique mais hiérarchisait fortement les savoirs entre des « piliers » bien identifiés à des disciplines, d’autres beaucoup plus succincts et syncrétiques (la « culture humaniste ») et d’autres enfin presque à peine évoqués (les arts, l’EPS ; les technologies), parallèlement à des programmes traditionnels au contenu et aux exigences de niveau plus élevé.
Le socle de 2015 a tenté de reformuler et rééquilibrer les grands domaines de la formation et de l’éducation. Il n’a pas été contesté mais sa mise en œuvre s’est heurtée à des réformes structurelles (cycles et collège), au maintien en parallèle d’un diplôme du Brevet qui lui a fait perdre sa visibilité et son efficacité. Les logiciels d’évaluation ont déformé par un découpage arbitraire l’unité du nouveau socle. Les révisions des programmes liés à ce socle par M. Blanquer ont contribué à brouiller son sens.
L’incapacité et l’absence de volonté politique pour penser un curriculum d’un type nouveau accessible et riche pour la totalité des élèves reste un des principaux facteurs des inégalités scolaires.
Denis Paget
Professeur de français.
Ancien membre du CSP,
Expert associé auprès du CIEP
(France-Éducation-International)
Ressource
Paget, D., Le partage des savoirs, Syllepse, 2013.