Abécédaire critique de la “novlangue” dans le champ éducatif,  Numéro 20,  Paul Devin

Exemplarité

L’exemplarité enseignante a souvent été définie comme une exigence à finalité éducative. Ce fut parfois pour codifier les comportements en exigeant une conformité morale exemplaire qui outrepassait largement les exigences légales. Mais plus généralement, l’exemplarité fut l’argument d’affirmation d’une nécessaire conformité entre les discours et les actes. Freinet assurait dans son Essai de psychologie sensible que la parole n’a de poids que dans la mesure où elle s’harmonise avec l’exemple.

Pour quelles raisons, Jean-Michel Blanquer voulut-il faire de ce principe éducatif une obligation légale pour les enseignants ?

Les écrits, notamment l’étude d’impact, qui accompagnèrent son projet de loi répondent sans ambiguïté : il s’agit de donner une assise plus forte, par la prescription légale, à l’obligation de réserve, jusque-là très peu utilisée contre des enseignants par la jurisprudence. Cette obligation de réserve est l’interdiction faite au fonctionnaire d’évoquer son institution ou sa hiérarchie par l’injure ou le dénigrement mais elle est de plus en plus fréquemment évoquée pour interdire toute critique quelle que soit sa forme.

Ce n’est donc pas une finalité éducative directement destinée à protéger les élèves et leurs familles que l’article 1 de la loi Blanquer poursuit mais le renforcement des contraintes faites aux fonctionnaires enseignants. Les doutes du Conseil d’État sur la portée normative de cette notion d’exemplarité, du fait d’une grande difficulté à la caractériser juridiquement, n’ont pas suffi : c’est probablement que l’affirmation légale de l’exemplarité n’est pas tant recherchée pour ses effets juridiques directs que pour légitimer, dans les pratiques institutionnelles, y compris sous la forme de procédures disciplinaires, l’usage de pressions sur des comportements qui seraient considérés par la hiérarchie comme n’étant pas exemplaires. L’étude d’impact qui accompagnait le projet de loi incitait d’ailleurs à un usage disciplinaire de la notion.

L’exigence d’exemplarité prescrite par la loi du 28 juillet 2019 n’est donc pas tant une obligation nouvelle du fonctionnaire enseignant visant la protection des élèves, que la possibilité, pour sa hiérarchie, de recourir à une notion suffisamment floue pour qu’on puisse, dans les usages institutionnels quotidiens, offrir une légitimation à la restriction des droits. Ainsi, a-t-on vu, depuis le vote de la loi, faire recours à l’exemplarité pour restreindre l’expression des agents, notamment sur les réseaux sociaux.

Il en est souvent ainsi dans les pratiques lexicales libérales : c’est au nom de principes éthiques argumentés par l’intérêt des usagers que sont prises des mesures qui veulent en réalité permettre à l’institution d’incarner le rappel à l’ordre symbolique dont Bourdieu et Boltanski ont montré les formes néolibérales singulières.

Paul Devin
Inspecteur de l’Éducation nationale,
Secrétaire général du SNPI-FSU,
Président de l’Institut de recherches de la FSU

Ressource

Devin P., Des finalités ambiguës de l’exemplarité dans l’article 1 de la loi Blanquer, Carnets Rouges n°17, octobre 2019, p.31-33.