Gouvernance
ou le gouvernement
très politique de l’école
Officiellement, la gouvernance serait apolitique et axiologiquement neutre. Appliquée à l’éducation elle renverrait simplement aux modalités techniques de régulation, de contrôle et d’évaluation de l’école sans jamais se soucier des buts éducatifs poursuivis et de leur sens. Pour preuve c’est à des principes et des entités accordés aux préconisations de l’Union Européenne que l’état déléguerait ces missions.
Après plusieurs décennies de politique néolibérale, l’usage inflationniste du terme et du concept de gouvernance dans la novlangue éducative et sa mise en pratique révèlent une autre réalité. Étroitement corrélée au Newpublic management, la gouvernance fournit un cadre institutionnel contraignant à une logique entrepreneuriale de management de la performance. Extensible à tous les secteurs, école, santé, police, justice, secteurs sociaux, elle agit par objectifs quantifiés individualisés et contractualisés avec le niveau hiérarchique supérieur, évaluation, récompenses, pilotage par la demande et les résultats, autonomie de gestion, concurrence, transformation des usagers en clients, réduction de la réalité éducative à un tableau de bord.
La gouvernance éducative tient à la mise en place de dispositifs permettant d’assurer une indispensable modernisation de l’école considérée comme sclérosée et sur financée. Pour devenir performante, elle devra se gouverner par les chiffres et le contrôle des écarts (dites « benchmarking » pour n’être pas ringardisée). Elle impliquera une participation active voire enthousiaste des enseignants à l’abandon de leur autonomie professionnelle au profit de la mesure des performances du système éducatif et de leurs propres référés à des objectifs sans rapport avec la progression des apprentissages et la construction des savoirs.
JM Blanquer a fait sien ce modèle de quasi-marché y ajoutant une morgue et une suffisance technocratique des plus détestables. Si l’idée est développée dans « L’école de demain », son livre programme publié en 2016, l’heure est aujourd’hui aux applications.
Il en va ainsi du projet de recrutement des enseignants par les chefs d’établissement. Il faut, dit-il « repenser les mécanismes d’affectation et de mouvement qui constituent l’un des freins majeurs à la transformation du système éducatif ». « Le recrutement sur profil pourrait être généralisé… comme c’est le cas dans l’enseignement privé ». Après le concours (simple « habilitation à enseigner ») les candidats enseignants devraient trouver un poste par eux-mêmes, « le recrutement étant de la responsabilité du chef d’établissement ».
Fini l’égalitarisme qui démobilise. Place à la saine émulation et à l’adhésion au projet de l’établissement. En vrai responsable doté de moyens d’agir le chef d’établissement, flanqué d’une équipe de direction choisie par lui, évaluera les enseignants. Les inspecteurs auront en charge des audits d’établissement. Cette gouvernance décidera de la paye de chaque enseignant composée d’une partie récompensant « le mérite » et l’aptitude à se plier à un service annualisé propre à faciliter les remplacements.
En d’autres temps, une psychométrie réductrice et triomphante assurait que l’intelligence était ce que mesuraient les tests. D’une façon tout aussi réductrice l’école ne serait plus que ce que mesure et impose la gouvernance néolibérale. Préférons-lui le gouvernement démocratique de l’école qui reste à inventer.
Francis Vergne
Chercheur associé
à l’Institut de Recherches de la FSU.
Ressource
Vergne, F., Clément, P., Dreux, G. et Laval, C., La nouvelle école capitaliste, La découverte, 2011.
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