Numéro 10,  Propositions de lecture

Valoriser l’enseignement professionnel

Valoriser l’enseignement
professionnel.
Une exigence sociale
,
Collectif, Institut de recherche de la FSU & Syllepse, Col. Comprendre et agir, 2017, 135 p.

Note de lecture proposée par Erwan Lehoux

Regroupant des contributions a priori hétéroclites, le présent ouvrage met à profit la diversité des points de vue et des approches adoptés pour mieux appréhender la problématique générale. Faute de propositions concrètes, l’ouvrage pourra laisser le lecteur sur sa faim, l’amenant à s’interroger plus qu’il n’apporte de réponses. La qualité des contributions n’en est pas moins grande, bien au contraire. L’ouvrage permet en effet de saisir les enjeux et les contradictions qui entourent ce mot d’ordre consensuel : celui de revaloriser l’enseignement professionnel. En peignant l’histoire de l’enseignement professionnel depuis la fin du XIXe siècle, le premier chapitre est sans aucun doute celui qui donne à la problématique le plus de profondeur. (On notera au passage combien cette histoire constitue un pan délaissé de l’histoire de l’éducation…). Il permet non seulement d’élargir le regard du lecteur, trop souvent concentré sur le seul baccalauréat professionnel, mais aussi et surtout de se rappeler que les problématiques qui sont les nôtres aujourd’hui ne datent pas d’hier. Ainsi, dès son origine, l’enseignement professionnel fait l’objet de tensions : tandis que le patronat souhaite que soient formés des travailleurs capables de répondre aux besoins immédiats des entreprises, tout en laissant les pouvoirs publics en supporter une partie des coûts, les enseignants, quant à eux, entendent mettre l’accent sur des savoirs plus scolaires afin de former le travailleur, mais aussi l’homme et le citoyen. Quant aux syndicats professionnels, plus proches de la conception défendue par les enseignants, ils sont avant tout attachés à ce que les diplômes constituent une garantie pour les salariés en matière de salaire notamment, grâce à leur reconnaissance dans les conventions collectives. En somme, la formation professionnelle a toujours été au cœur de la lutte des classes et ce plus frontalement que les filières générales. Il convient de lire les évolutions de la formation professionnelle depuis les années 1970 dans ce cadre, compte tenu d’un chômage de plus en plus important et d’un rapport de force de plus en plus favorable au patronat. C’est également à partir de cette période, celle de la création du baccalauréat professionnel, que se pose la question de la dévalorisation relative de l’enseignement professionnel, en cela même que c’est le baccalauréat qui est pris comme référence. Cette histoire longue de l’enseignement professionnel est complétée par un deuxième chapitre qui se concentre pour sa part sur les récentes évolutions du baccalauréat professionnel. Un focus qui permet non seulement de mieux les comprendre mais aussi de voir en quoi elles peuvent préfigurer des réformes qui pourraient s’appliquer dans le champ éducatif en général. Paradoxalement, alors que la création du baccalauréat professionnel pouvait apparaître comme une affirmation du caractère scolaire de l’enseignement professionnel, témoignant ainsi d’une certaine autonomie vis-à-vis du patronat, un certain nombre de dispositions en faisaient déjà un levier permettant au patronat d’imposer certaines de ses exigences. C’est tout particulièrement le cas de l’évaluation par compétence, qui est d’ailleurs l’objet du dernier chapitre du livre. Quant aux autres contributions, elles mettent l’accent sur la reproduction des inégalités dans le cadre de l’enseignement professionnel. La problématique est particulière dans la mesure où, aux explications classiques du phénomène, bien connues de la sociologie de l’éducation, s’ajoutent des causes propres à l’enseignement professionnel. En effet, le lien ténu que ce dernier entretient avec le monde du travail et l’importance décisive accordée à l’insertion des élèves dans l’emploi génèrent une reproduction d’autant plus forte des inégalités, qu’elles soient sociales, de genre ou ethniques. En définitive, malgré leur diversité, toutes les contributions montrent combien l’enseignement professionnel est, bien plus que l’enseignement général, aux prises avec le capitalisme. La lecture du livre permet ainsi de mieux se saisir des problématiques que connaît l’enseignement professionnel, de manière à affiner nos revendications et nos positions à son sujet et à les appréhender dans une visée politique plus large, sans rester enfermé dans le seul champ éducatif. Une lecture enrichissante, tout autant pour ceux qui s’intéressent de près à l’enseignement professionnel que pour ceux qui s’intéressent de manière plus générale à l’éducation… et qui voudraient comprendre à quelle sauce cette dernière pourrait être mangée !