Numéro 10,  Propositions de lecture

Au cœur des malaises enseignants

Au cœur des malaises enseignants,
Anne Barrère, Armand Colin, 2017.

Note de lecture proposée par Catherine Sceaux

Le propos de ce livre est d’apporter des outils de compréhension aux enseignants face à leurs difficultés en les informant des analyses fournies par les sciences sociales.

Une analyse globale du travail enseignant désamorce une approche trop institutionnelle

Les enseignants vivent une dissociation fréquente entre leur statut et leur métier. Le confort statutaire ne leur apparaît plus comme une contrepartie suffisante.

La massification des publics change la finalité des études et le travail enseignant. La mise en activité des élèves en classe est différente selon leur nombre et leur hétérogénéité. La participation orale souhaitée n’est pas forcément efficace en termes d’apprentissages car elle peut découler plus de la motivation des élèves que d’un moment d’apprentissage.

La description du métier permet de comprendre ce qui différencie les individus face aux mêmes difficultés. 1) Dans la préparation des cours, les enseignants peuvent connaître une forme d’ennui ou d’atrophie intellectuelle, face à la routine ou aux écarts entre ce qui fait sens pour l’enseignant et pour les élèves. 2) La cyclothymie de la relation est liée à la gestion de la classe et à la dimension intime des problèmes d’autorité quotidiens. 3) La correction ou l’évaluation peuvent aboutir à un sentiment d’impuissance, en déplaçant son jugement vers des considérations morales pour ne pas démotiver les élèves (mentir à des élèves dont on sait qu’ils ne réussiront pas). 4) Le milieu enseignant éprouve un déficit de reconnaissance par rapport à la société entière.

La massification des années 70 s’est accompagnée d’une fausse démocratisation

Les enseignants ont été accusés d’être au service d’une institution inégalitaire. La nature des savoirs, la pédagogie, la culture scolaire proche de la culture des classes supérieures sont porteuses de domination et d’inégalités. Les implicites sont les principaux vecteurs pédagogiques des inégalités. Par exemple, les enseignants s’adressent aux élèves en considérant qu’ils ont un niveau linguistique suffisant pour comprendre leur cours. S’ils ne l’ont pas, ils pensent qu’ils ont des lacunes scolaires mais c’est surtout la manière de parler qui est inadéquate. La pédagogie de l’explicite ne doit juger que les acquis scolaires selon des critères objectifs connus de tous.

Certains courants pédagogiques novateurs sont en phase avec les familles des classes moyennes très centrées sur l’épanouissement de l’enfant et valorisent des compétences acquises en dehors de l’école, comme par exemple, le jeu qui n’est pas reconnu dans toutes les familles. Mais, ce n’est pas parce que les limites des pédagogies actives sont mises à jour que les pédagogies traditionnelles sont plus égalitaires.

Plus les modes de transmission sont visibles, plus les élèves identifient les attendus scolaires. . . Les lycéens des milieux populaires sont demandeurs de plus d‘encadrement pédagogique et de vérification de leur travail personnel. Beaucoup se sentent injustement traités au vu des efforts accomplis.

Le souci d’efficacité est une préoccupation majeure des enseignants

Dans des établissements marqués par la difficulté scolaire, les enseignants peuvent se sentir inefficaces face aux mauvais résultats mais aussi utiles en termes de socialisation et de travail éducatif. Il y a alors un dilemme entre maintenir des exigences scolaires et empêcher que les mauvaises notes ne détruisent la motivation. Un enseignant va se sentir efficace si son cours a bien marché or cela peut tenir plus au bon climat de la classe qu’à l’appropriation des savoirs.

L’efficacité peut se mesurer à l’aune de l’effet-établissement et de l’effet-classe. C’est le temps consacrés aux apprentissages qui est le plus corrélé aux résultats, ce qui questionne l’efficacité de projets trop éloignés du scolaire. La principale source d’efficacité d’un établissement est la nature de son public. La mise en concurrence des établissements fait décroître l’efficacité globale. Alors que la gestion de l’hétérogénéité est considérée comme une des plus grandes difficultés du métier, les élèves qui rencontrent des difficultés progressent davantage dans une classe hétérogène qui favorise une forme d’équité. Les regroupements d’élèves en échec ont toutes les chances d’échouer.

Dans les contextes d’échec scolaire, les enseignants ont tendance à adapter le programme vers le bas en étant moins exigeants que dans les bonnes classes.

La gestion de la complexité des différents événements de la classe

Le choc d’entrée dans le métier, accentué, parque ce sont les enseignants les plus inexpérimentés qui sont nommés dans les établissements les plus difficiles, est dû au décalage entre attentes et représentations. Ils interprètent les comportements agressifs comme une défiance personnelle alors que les plus expérimentés se sentent beaucoup moins remis en cause. Lorsque les difficultés scolaires durent, l’élève peut se sentir stigmatisé. Les enseignants peuvent être plus ou moins producteurs de déviance scolaire, selon leur adaptation au contexte des relations dans la classe, en niant l’importance de leurs jugements, en finissant par penser que les élèves sont indifférents à leur jugement.

Ce que signalent les résistances aux réformes, la passivité ou l’inertie, c’est l’absence de construction et de réflexion communes du problème. L’individualisme enseignant est avant tout une création de l’organisation scolaire et non pas la spécificité d’un groupe. Il est essentiel de comprendre pourquoi les enseignants ont intérêt à sortir de l’individualisme organisationnel. Le travail en équipe est-il une solution ? Les enseignants s’investissant dans des projets collectifs et le travail en équipe, disent que cela améliore le climat de classe mais ce résultat peut-il être promu comme seul objectif officiel ?

Des dispositifs de soutien plus ou moins individualisés sont mis en place. Mais, selon le rapport d’inspection de 2010 (n° 114 de l’IGEN-GAENR), les conséquences des aides et soutiens dépendent largement des configurations locales. Les petits groupes d’élèves ne sont pas toujours une solution à certains problèmes d’apprentissage.