Anne-Claudine Oller,  Clément Pin,  Erwan Lehoux,  Numéro 30,  Orienter ou désorienter ?,  Paul Lehner

Les professeurs 
principaux, nouvelle cheville ouvrière de l’accompagnement à l’orientation

En 2018, le ministère de l’Éducation nationale a redéfini les missions du professeur principal, en élargissant son rôle en matière d’orientation. En synthétisant les résultats d’une étude menée dans quatre lycées de la région parisienne, cet article montre que les enseignants se sont appropriés et ont mis en œuvre ce nouveau mandat de manière différenciée, avant d’interroger les effets possibles pour les élèves.

En 2018, le ministère de l’Éducation nationale a redéfini les missions du professeur principal, en élargissant son rôle en matière d’orientation1. En premier lieu, « il contribue à la mise en œuvre des procédures d’orientation, d’affectation et d’admission ». À ce titre, en terminale, « il porte une appréciation après concertation avec l’équipe pédagogique sur les éléments caractérisant le profil de l’élève sur les fiches Avenir ». Ces dernières, versées dans le dossier Parcoursup de chaque élève, concernent non seulement son travail effectif, ses résultats scolaires, mais aussi ses compétences.

En second lieu, « il contribue à la mise en œuvre des actions d’information organisées par l’établissement » et « [il] assure l’accompagnement des élèves dans l’élaboration et la consolidation de leur parcours en collaboration avec le psychologue de l’éducation nationale ». Dans cette optique, au lycée, un volume horaire dédié est précisé à titre indicatif : 54 heures annuelles dans les voies générale et technologique et 256 heures sur trois ans dans la voie professionnelle2.

Si les professeurs principaux se trouvent dorénavant au cœur de l’accompagnement des élèves dans l’élaboration de leurs projets d’orientation, les conceptions et les pratiques de cette mission recouvrent des réalités différentes en raison des politiques d’établissements, mais aussi en raison de l’absence de référentiel clair et d’un ensemble de savoirs partagés en la matière.

Quatre postures d’accompagnement

Quatre postures d’accompagnement ont été identifiées chez les professeurs principaux des classes de terminale. Ces postures se distinguent d’un point de vue à la fois quantitatif (temps consacré à l’orientation et le volume de ressources présentées aux élèves) et qualitatif (manière de s’engager dans le mandat, conception de l’orientation).

La posture de l’empêché

Faute de temps notamment, une partie des professeurs principaux assurent un accompagnement minimal aux élèves, qui vise surtout à les responsabiliser. C’est notamment le cas dans des établissements où aucun volume horaire n’est dédié à l’orientation dans l’emploi du temps des élèves, malgré les recommandations réglementaires. Ainsi, ces enseignants priorisent l’achèvement du programme au détriment d’un accompagnement à l’orientation en classe. Une enseignante en arts du spectacle, agrégée de lettres moderne, mentionne le télescopage des épreuves de spécialité théâtre avec Parcoursup. Compte tenu des délais très courts, Parcoursup n’est pas du tout abordé en classe et le suivi des élèves « se fait de manière informelle, par le dialogue après les cours – et c’est quand même fort peu confortable ». Une autre enseignante, en SVT, aborde l’orientation lors de la pré-rentrée, diffuse des informations via Pronote et prend un petit moment en classe après la Toussaint selon l’avancée de sa programmation pour faire le point sur les projets des élèves. Les difficultés scolaires des élèves, lorsqu’elles sont importantes, peuvent également amener les enseignants à se concentrer sur des objectifs à plus court terme. Le professeur principal d’une classe de terminale professionnelle, enseignant en dessin industriel, rappelle que l’un des enjeux pour ses élèves, qui n’ont bien souvent pas choisi d’être là, c’est d’abord qu’ils trouvent un stage puis qu’ils obtiennent le bac. Par conséquent, il ne reste que très peu d’heures pour l’orientation. Outre le manque de temps, un certain nombre d’enseignants évoquent également leur sentiment d’incompétence. Il faut dire qu’ils ne bénéficient qu’exceptionnellement de formations sur le sujet.

La posture du bricoleur-opportuniste

En dépit de difficultés à trouver du temps et/ou d’un faible sentiment de compétences, d’autres professeurs principaux proposent des médiations pour mieux cibler les profils des élèves et cherchent à les engager, via des questionnaires et des cours dialogués, dans un travail de recherche et d’appropriation des informations sur les filières d’enseignement et les débouchés professionnels auxquels ils pourraient candidater. Ils s’appuient principalement sur les informations (prérequis, capacités d’accueil) fournies sur la plateforme Parcoursup elle-même et par l’ONISEP pour alerter les élèves du caractère plus ou moins incertain d’obtenir satisfaction dans la filière visée et les inciter à construire plusieurs scénarios. Lorsqu’on l’interroge sur le contenu des heures dédiées à l’orientation, un enseignant en génie mécanique, professeur principal en classe de Terminale STI2D3, précise qu’il en « fait sans trop en faire » en raison de l’absence d’heures d’accompagnement personnalisé (AP). Toutefois, il organise plusieurs temps dans l’année au cours desquels il présente les parcours possibles après un bac STI2D, mène des entretiens avec les élèves et leur demande d’effectuer un travail de recherche à partir du site de l’ONISEP sur leurs projets de formation. Les enseignants qui adoptent cette posture se concentrent en général sur le volet administratif et technique de l’orientation, sans accompagner véritablement les élèves dans la découverte de leurs aspirations et dans l’élaboration de leur projet. À ce sujet, une agrégée d’anglais se déclare « très très impuissante » : « essayer de cerner la personnalité [des élèves], ce n’est pas mon job pour le coup ».

La posture de l’expert-conseil

Une partie des professeurs principaux propose un accompagnement plus personnalisé, ce qui suppose d’y consacrer du temps, non seulement dans des cadres formels (séances collectives dédiées, visites de salons, rendez-vous individuels, parfois répétés, avec chaque élève, accompagné ou non de ses parents), mais aussi, plus informellement, en se rendant disponible pour les élèves et pour leurs parents, notamment via les moyens numériques voire par téléphone. C’est le cas des enseignants qui adoptent la posture de l’expert-conseil et s’appuient sur leurs connaissances plus ou moins fines de l’enseignement supérieur pour conseiller leurs élèves dans la construction de leurs parcours, en fonction de leur profil scolaire. Ils recourent à des entretiens individuels pour guider le travail de recherche des élèves sur certaines ressources disponibles, notamment sur le site de l’ONISEP. Ils prodiguent en outre des conseils ciblés pour alerter leurs élèves sur ce qu’il estime être, par expérience, leurs faiblesses et les risques qu’ils prennent en formulant tel ou tel vœu. Une enseignante agrégée de SES nous dit tenir compte des aspirations des élèves, mais au moment de la formulation des vœux, les inciter à être réalistes en estimant leurs chances à la fois d’accéder aux formations demandées et d’y réussir. « En tout début d’année, non [je ne leur dis pas de se projeter en fonction de leurs notes]. En tout début d’année, c’est vraiment juste eux, comment ils se sentent. Et le truc des notes, ça vient après, au moment de la formulation des vœux. Alors je leur conseille de regarder […] le taux d’accès des filières [et] je leur conseille de comparer… [pour] essayer d’être réalistes ».

La posture du coach

Les professeurs principaux qui adoptent la posture du coach proposent également des pratiques d’accompagnement plus personnalisées. À cette fin, ils se rendent aussi particulièrement disponibles et développent une relation de confiance avec les élèves et leurs parents. Ils se distinguent néanmoins des enseignants précédents du point de vue des savoirs mobilisés et de la finalité assignée à leur mission d’accompagnement. Pour eux, l’accompagnement à l’orientation a pour fonction l’éveil et l’épanouissement personnel des élèves indépendamment parfois de leurs résultats scolaires. Il vise à les aider à mieux connaître leur personnalité pour leur permettre de faire des choix. Une professeure-documentaliste, qui assure le rôle de professeur principal d’une classe de terminale, nous expose au cours d’un entretien que le but de l’orientation c’est d’éviter que les élèves fassent des choix par défaut, dictés par leurs notes. Dans la même idée, une enseignante en SES accorde une très grande importance aux goûts des élèves, facteurs selon elle de persévérance : « il faut leur montrer ce qu’ils peuvent faire et ils doivent tenter s’ils ont envie de le faire ». C’est également en fonction de leurs personnalités et de leurs préférences que les élèves hiérarchisent leurs vœux et non en fonction de leurs chances objectives d’être admis. L’accompagnement à l’orientation passe alors par la multiplication d’activités censées favoriser chez les élèves une démarche introspective (questionnaires sur soi, arbre de la connaissance de soi, exercices de présentation de soi, etc.) et par des échanges interindividuels tout au long de l’année.

Le sens du métier et le sens de l’orientation en question

Pour les élèves bénéficiant d’un accompagnement à l’orientation par un professeur principal proche de la posture de « l’empêché » ou du « bricoleur-opportuniste », l’orientation consiste avant tout en la mise à disposition d’outils et de ressources, notamment numériques, et d’informations d’ordre technique, sur la procédure elle-même (calendrier, fonctionnement de la plateforme, etc.), ou d’ordre plus général, sur l’organisation de l’enseignement supérieur. Si un suivi minimum des élèves est assuré, il s’agit avant tout de s’assurer qu’ils répondent formellement aux exigences de la procédure : ont-ils bien formulé leurs vœux dans les temps, ont-ils formulé au moins un vœu dans une formation non sélective, ont-ils complété leur dossier ? En revanche, les élèves ne sont accompagnés ni pour s’approprier les outils, ressources et informations mis à disposition, ni dans l’élaboration de leur projet. Les élèves en difficulté, n’ayant pas trop d’idées d’orientation, sont identifiés et dirigés vers d’autres interlocuteurs, en particulier les CPE, les psychologues de l’Éducation nationale et parfois les personnels de direction.

Le premier constat est donc celui d’une inégalité de traitement entre ces élèves et ceux bénéficiant d’un accompagnement plus poussé, mais aussi entre ces derniers. Les postures du coach et de l’expert-conseil s’opposent dans leur conception du rôle de l’enseignant. Si la première peut sembler plus prévenante, soucieuse de considérer chaque élève dans sa singularité, l’apport des activités proposées pour les élèves peut interroger. Cette posture ne participe-t-elle pas finalement à renforcer une infinie quête de soi, qui préoccupe déjà beaucoup les adolescents, sans nécessairement leur apporter des réponses, d’autant plus que les enseignants sont rarement formés à ce travail qui relèverait davantage du psychologue ?
En outre, il n’est pas évident que les élèves soient en capacité de tirer parti d’une meilleure connaissance d’eux-mêmes pour construire un projet d’orientation et, in fine, formuler des vœux plus opportuns. À l’inverse, la posture de l’expert-conseil peut sembler plus froide. En quelque sorte, n’invite-t-elle pas les élèves à envisager leurs choix d’orientation comme le résultat d’un calcul rationnel ? Une partie des enseignants concernés le reconnaît d’ailleurs volontiers. Cependant, bien qu’ils condamnent cette conception instrumentale de l’éducation, ils considèrent qu’il s’agit d’une manière de rétablir un peu d’égalité face à l’orientation, en aidant les élèves qui n’en ont pas toujours les moyens à décrypter les attentes implicites de Parcoursup et de l’enseignement supérieur, pour maximiser leurs chances d’être acceptés dans l’enseignement supérieur et d’y réussir.

Collectif ORIREG4

Erwan Lehoux
Doctorant en sciences de l’éducation
Université Paris 8, CIRCEFT-ESCOL
Membre de l’institut de recherches de la FSU

Paul Lehner
Maître de conférences en sciences de l’éducation et de la formation. Laboratoire CIREL-RECIFES, 
Université de Lille
Chercheur associé aux laboratoire EMA, CY Paris Université et laboratoire LIEPP, Sciences Po, Paris.

Anne-Claudine Oller
Maître de conférences à l’Université Paris-Est Créteil Val-de-Marne (UPEC).

Clément Pin
Maître de conférenceen sociologie (INSHEA, GRHAPES
Chercheur associé au LIEPP (Sciences Po) et au laboratoire EMA (CY Cergy Paris Université)

Bibliographie

Carole Daverne-Bailly, L’accompagnement à l’orientation en lycée : entre engagement des acteurs et inégalités. Éducation et sociétés, 2023, 49, 167-183. https://doi.org/10.3917/es.049.0167

Paul Lehner, P., Claudine Oller, Anne Claudine & Clément Pin, 2023). Les plateformes numériques d’orientation : des outils pour la socialisation des élèves aux règles du marché. L’Orientation scolaire et professionnelle, 2023, 52(3)

Paul Lehner & Clément Pin, (à paraître). L’accompagnement à l’orientation par les professeurs principaux de Terminale. Enquête sur un mandat ambigu dans un lycée polyvalent d’Ile-de-France. Éducation et socialisation.

Notes

  1. Arrêté du 16-7-2018 – J.O. du 17-7-2018 relatif à l’organisation et les volumes horaires des enseignements du cycle terminal. ↩︎
  2. Arrêté du 16-7-2018 – J.O. du 17-7-2018 relatif à l’organisation et les volumes horaires des enseignements du cycle terminal. ↩︎
  3. STI2D : Sciences et technologies de l’industrie. et du développement durable. ↩︎
  4. Le projet ORIREG, porté par le Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques (LIEPP, Sciences Po), vise notamment à analyser les objectifs poursuivis par les politiques régionales d’orientation et à examiner leur mise en œuvre, leur réception et leurs effets au regard de la diversité des contextes et des bénéficiaires. L’étude qualitative menée dans quatre lycées en Île-de-France a également permis d’interroger le rôle des différents personnels en matière d’orientation. L’équipe de recherche est composée de Paul Lehner, Erwan Lehoux, Anne-Claudine Oller, Clément Pin, Agnès van Zanten. Pour en savoir plus : https://www.sciencespo.fr/liepp/fr/content/les-politiques-regionales-dorientation-un-vecteur-de-socialisation-des-jeunes-aux-regles-du-.html ↩︎