Le plan Langevin-Wallon, une ambition pour l’école
De novembre 1944 à juin 1947, la Commission pour un « plan de réforme de l’enseignement » (titre du rapport définitif) se tient à Paris sous une forme qui n’a ni de précédent ni de reprise. Directement issue de la Résistance, elle compte 17 personnes, dont 7 sont communistes, en particulier Langevin, puis Wallon qui lui succède : 5 professeurs au Collège de France, 5 syndicalistes, 7 membres venus de l’administration centrale du ministère de l’éducation nationale, et 3 femmes… Sa règle étant l’unanimité, les points délicats étaient renvoyés en commission, jusqu’à trouver un point de convergence, d’où la longueur des débats.[1]Le titre de cet article reprend volontairement celui du livre d’Etya Sorel, Une ambition pour l’école. Le plan Langevin-Wallon, Editions sociales, 1997
Le régime de Vichy avait mis l’accent sur la jeunesse, exaltant le modèle militaire et le culte du chef, favorisant les relations avec l’Eglise catholique. Après un premier temps où les instituteurs, souvent favorables au Front Populaire, sont désignés comme les responsables de la défaite, la politique de collaboration va à la recherche de nouveaux soutiens, d’où le retour en grâce de certains syndicalistes y compris francs-maçons, les communistes, déjà pourchassés avant la défaite de juin 1940, et les gaullistes étant les seuls exclus.
“ La perspective d’une promotion de tous va l’emporter sur la seule préoccupation d’une sélection des élites. ”
Avec la Libération il s’agissait de choisir entre le simple retour au passé d’avant la Guerre, ou de refonder l’ensemble du système éducatif, pour sortir de la tradition de la IIIème République, dénoncée comme socialement très injuste. Il s’agissait aussi de prendre en compte plusieurs projets issus de la Résistance, dont celui du PCF présenté en 1943 par Georges Cogniot (Esquisse d’une politique française de l’enseignement). La commission est loin de travailler en vase clos : plus de 100 auditions, des correspondants régionaux impulsant des débats locaux, une abondante correspondance nationale et internationale, des tournées dans au moins 7 académies…
La perspective d’une promotion de tous va l’emporter sur la seule préoccupation d’une sélection des élites : refus d’un enseignement ménager réservé aux filles ; choix prioritaire d’une culture commune pour tous les élèves : second cycle pour tous (donc une prolongation généralisée de l’obligation scolaire portée à 18 ans). L’unanimité enfin se fait sur la formation des maîtres au terme d’un débat parfois tendu : les écoles normales départementales sont maintenues pour le primaire, mais ne sont qu’un passage avant une formation généralisée à l’université pour tous les maîtres, aussi bien ceux des matières spécifiques que ceux des matières communes.
La modernité impose de ne pas revenir au passé, d’autant que les comparaisons des niveaux d’étude et des investissements en matière d’éducation par rapport à d’autres pays ne sont pas favorables à la France. Le système antérieur a permis la trahison des élites fondées sur le recrutement trop étroit de la bourgeoisie : secondaire, supérieur, grandes écoles sont sur la sellette. Le principe de justice sociale est dans ces conditions un souci dominant, l’égalité étant conçue à travers la diversité des parcours.
La conception de la culture générale est ouverte sur le monde, la culture scientifique et technique mise en avant, « les humanités » classiques sont mises en question, comme seule référence possible. De grandes ambitions sont affirmées pour élever le niveau des connaissances de l’ensemble de la nation, et réduire son retard. Il ne s’agit donc pas d’élargir seulement la base de recrutement des élites, mais de promouvoir l’ensemble de la nation. Cette perspective inclut le recul du moment de l’orientation pour les élèves.
L’originalité du Plan tient certes à son ambition de porter la scolarité obligatoire de 14 à 18 ans (qui reste toujours d’actualité), mais aussi à une conception de la culture qui reprend une formule de Langevin lui-même, ouvrant sur les sciences et les techniques : une initiation aux diverses formes de l’activité humaine, non seulement pour déterminer les aptitudes de l’individu, lui permettre de choisir à bon escient avant de s’engager dans une profession, mais aussi pour lui permettre de rester en liaison avec les autres hommes, de comprendre l’intérêt d’apprécier les résultats d’activités autres que la sienne propre, de bien situer celle-ci par rapport à l’ensemble.
La structure de l’enseignement se décline ainsi, avec des étiquettes démontrant la volonté d’une élévation générale du niveau des connaissances pour toute la nation, dont les comparaisons internationales (déjà !) ne sont pas favorables à la France :
Premier degré :
- Ecole maternelle de 3 à 7 ans
- Ecole primaire de 7 à 11 ans (premier cycle)
- Ecole secondaire de 11 à 15 ans (deuxième cycle d’orientation) : matières de base et matières d’options en assez grand nombre, avec recul de l’orientation à la fin du cycle
- Secondaire de 15 à 18 ans (troisième cycle de détermination » : sections pratiques, professionnelles, théoriques, avec examen final)
Enseignement du second degré :
- Propédeutique (ou pré-universitaire) : 2 ans
- Enseignement supérieur comportant une fusion des universités et des grandes écoles, combinant enseignements professionnels et culture générale, en liaison avec la recherche
Globalement, cela suppose un effort financier en rupture avec les faibles moyens du temps, pour la création de locaux et l’accroissement du nombre des maîtres (avec 25 élèves par classe, et tous passant par l’université). D’autant qu’est souligné le recours aux méthodes actives et aux travaux manuels qui accroîtra encore les coûts.
Quant à la pérennité du Plan, elle est tributaire de l’actualité politique, puisqu’il est déposé après l’éviction des ministres communistes (mai 1947). Dès lors dénoncé comme communiste, il suscite les réactions de l’ensemble de la droite, et à gauche des radicaux. Et les 8 radicaux et les 5 socialistes qui se succèdent comme ministres à l’éducation nationale jusqu’en 1958 ne vont guère chercher à le mettre en œuvre. Les communistes déposeront sans succès 5 projets de loi qui s’en inspirent jusqu’en 1970, après avoir mis au point en 1967, sous la direction de Pierre Juquin, un plan d’école fondamentale.
Tant les besoins économiques que les luttes contre l’injustice n’ont pas été sans effet. Pour mesurer la différence avec notre époque, il y avait en 1947 en France, 100 000 étudiants, 500 000 élèves dans le secondaire pour quelque 40 millions d’habitants, avec 40 % de population rurale, contre moins de 10 % aujourd’hui… Alors que nous avons maintenant 2, 3 millions d’étudiants, plus de 6 millions d’élèves du secondaire, pour une population supérieure d’un tiers…
“ Un certain nombre de principes avancés par le Plan sont toujours vivants : l’ambition, le rapport entre quantitatif (crédits nouveaux) et qualitatif (une conception moderne de la culture, prenant en compte les avancées des connaissances humaines). ”
Aujourd’hui, la question est certes encore de sortir du gâchis de la ségrégation sociale et de la pénurie, mais dans des conditions nouvelles.
Un certain nombre de principes avancés par le Plan sont toujours vivants : l’ambition, le rapport entre quantitatif (crédits nouveaux) et qualitatif (une conception moderne de la culture, prenant en compte les avancées des connaissances humaines). C’est sans doute ici qu’il faut réfléchir à une des questions difficiles : c’est forcément avec les personnes impliquées d’aujourd’hui (parents, élèves, enseignants…) que l’on fera des changements. Donc pour les convaincre, il faut qu’ils aient le sentiment qu’ils sont gagnants, que ce soit économiquement (rémunérations, conditions de travail…), ou pour des raisons de prestige social (les deux pouvant être liées). Ce qui, bien sûr, empêche de détacher changement dans l’école et changement dans la société.
Pierre Boutan
FDE Université de Montpellier
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