Édito | Sciences et éducation
L’heure serait au pragmatisme, à la preuve par l’expérimentation, à la vérité de l’évaluation, ou encore à la neutralité de la science… Rhétorique récurrente du libéralisme pour masquer au nom de la modernité, une idéologie qui ne dit pas son nom. En occupant une place hégémonique les neurosciences en sont l’instrument, dans tous les champs, et en particulier celui de l’éducation. Médias et ministère en sont les premiers serviteurs et se trouve désormais imposée une véritable science d’état censée légitimer les prescriptions autoritaires du ministère.
Mais la science est bien malmenée, quand elle est assignée à dire LA vérité, alors même que son instrumentalisation ne cesse de bafouer tout ce qui fait scientifiquement consensus dans le domaine de l’éducation (voire à ce sujet le retour de la syllabique ou du redoublement). Que reste-t-il de la science quand sa seule utilité consiste à justifier une politique, quand elle se trouve réduite à un instrument pour trier, sélectionner, empêcher la construction d’une pensée critique ? Que devient la science quand elle n’est plus qu’une, officielle, dans le rejet de toutes les autres, destinée à servir une politique d’éclatement du service public d’éducation, de retour aux talents et à la naturalisation des différences, de conception utilitaire et techniciste des savoirs dits « fondamentaux » destinés aux classes populaires alors que les héritiers pourront accéder à la culture dans toutes ses dimensions ? Que devient la science quand elle a pour fonction politique de réduire le métier d’enseignant à un métier d’exécution, dans une dichotomie entre théorie et pratique ?
C’est bien parce que les élèves et les enseignants ne sont pas seulement des êtres biologiques, que les uns et les autres se sont construits dans des histoires sociales, culturelles, singulières, qu’il ne peut y avoir de « bonnes pratiques » reproductibles et que l’on ne peut transférer dans la classe ce qui s’invente dans le laboratoire. Car dans le couple enseignement/apprentissage interfèrent à chaque instant des valeurs, des théories et des pratiques, indissociables, qu’elles soient ou non conscientisées par les différents acteurs. Mais aussi de l’imprévu dans la rencontre des subjectivités. La classe, donc, n’est pas le laboratoire. L’activité de l’enseignant consiste à prendre en compte conjointement les connaissances et les conditions de leur mise en oeuvre, en particulier le rapport au savoir des élèves. C’est donc bien dans la coopération, et non la domination que doivent s’inventer les relations enseignant/chercheur, à partir de l’expertise de chacun. A moins bien sûr que les choix politiques ne visent à faire de la classe un laboratoire pour un nouvel ordre social (dans le cadre de l’économie de la connaissance) et à vider le métier de son sens dans un processus de prolétarisation. Cela ne relève pas de la science fiction, alors que le new management libéral s’implante dans le système éducatif.
Dans ce contexte l’école joue un rôle fondamental dans l’accès de tous à une culture scientifique. C’est un enjeu majeur, celui de la démocratie, qui s’il doit être porté par les professionnels de l’éducation, concerne l’ensemble du corps social.
Christine Passerieux
Membre du comité de rédaction de Carnets rouges
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