Édito | Penser la place et le rôle de l’éducation face à l’anthropocène
De rapports du GIEC en conférences internationales, le constat dressé est toujours plus alarmant. La gravité du dérèglement climatique et de ses conséquences est désormais connue et reconnue bien au-delà des scientifiques spécialistes du sujet et de quelques militantes et militants à l’avant-garde du combat écologique. Peu de responsables politiques, même parmi les plus à droite, osent encore nier l’évidence. Pourtant, derrière une volonté affichée d’agir pour la planète, les solutions proposées témoignent souvent de la légèreté avec laquelle les gouvernements conservateurs et libéraux traitent le sujet. Aveuglés par le poids des croyances libérales ou trop occupés à défendre les intérêts des capitalistes, ils ne comptent souvent que sur la somme des petits gestes individuels, incitant ceux qui polluent pourtant le moins à se montrer plus responsables, à faire preuve de sobriété… Comme souvent, anticipation et prévention sont sacrifiées sur l’autel du profit, préférant parier sur un hypothétique miracle technologique ou, à défaut, sur la résilience des générations futures.
Dans cette optique, le rôle de l’éducation dans le cadre de la politique écologique, s’il semble indispensable, reste limité à une finalité comportementale. Il s’agit en effet de sensibiliser les nouvelles générations à la question et de responsabiliser les enfants afin qu’ils acquièrent, dès le plus jeune âge, les petits gestes supposés sauver l’humanité.
Sans nier que le tri sélectif ou l’utilisation des transports en commun supposent, entre autres, des changements d’habitudes individuels, notre ambition est tout autre. Des mesures économiques et sociales sont indispensables pour transformer notre société. Quant à l’école, elle doit donner aux élèves la possibilité de comprendre les débats scientifiques, économiques et politiques, de sorte qu’ils soient capables d’élaborer collectivement des solutions et de participer aux prises de décisions démocratiques indispensables à ces transformations.
Il s’agit dans ce numéro de carnets rouges d’interroger la portée de cet objectif et les moyens et conditions de sa réalisation, pour une éducation réellement émancipatrice, inscrite dans une culture commune et critique. Des dispositifs pédagogiques, tels que la classe dehors, sont-ils vraiment à même de favoriser le développement réflexif des élèves face aux questions écologiques ? La question écologique suppose-t-elle une approche plus interdisciplinaire ? Pour quels apprentissages ? Si la culture scientifique est indispensable, tant pour comprendre ce qui est en jeu que pour envisager des solutions, le risque est également d’enfermer la question écologique dans le seul champ des sciences dites naturelles, voire de la traiter comme un problème exclusivement technique. Comment l’école peut-elle aider les élèves à appréhender la question y compris dans ses aspects politiques, sociaux et culturels ? Autant de questions que ce dossier entend soulever, sans oublier qu’en retour, la crise écologique impacte d’ores et déjà l’école et surtout ses élèves, percutés d’une manière ou d’une autre par cette réalité qui s’imposent à eux. Comment les jeunes eux-mêmes appréhendent-ils les enjeux écologiques ? Quelles conséquences sur leur construction personnelle et sur leur disponibilité pour les apprentissages ?
L’ambition de ce numéro est ainsi de penser la place et le rôle de l’éducation, et tout particulièrement de l’école, face à l’anthropocène, sans lui prêter des pouvoirs quasi magiques qu’elle ne saurait avoir, mais sans céder au fatalisme selon lequel elle ne pourrait rien y faire voire, qu’il n’y aurait plus rien à faire.
Erwan Lehoux
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