Christine Passerieux,  Numéro 11,  Questions vives

Édito | L’avenir est à construire et ne pourra l’être que dans le conflit d’idées

A cette rentrée 2017, le néolibéralisme finalise la mise en place d’une politique largement amorcée depuis la stratégie de Lisbonne (2000). L’économie de la connaissance alors promue vise, comme le dénonce Christian Laval , à faire l’économie de la connaissance, réduite à des informations économiquement utiles sur le marché du travail. Au nom de la modernisation du système éducatif, les discours lénifiants sont de rigueur, très largement développés dans le document de 80 pages « République, excellences, bienveillance, pour l’Ecole de la confiance », directement issu de l’ouvrage, »L’école de la vie » qui fonde le programme de casse de l’Éducation Nationale.

Au nom du bon sens, les conceptions les plus réactionnaires sont développées où la novlangue joue pleinement son rôle. Les différences socioculturelles, les inégalités face à l’école sont naturalisées, évacuant des dizaines d’années de travaux en sociologie et sciences de l’éducation pour promouvoir un scientisme des plus rétrogrades. L’exigence d’égalité n’est pas à l’ordre du jour. Exit le tous capables. C’est la différence de « talents » qui justifie l’individualisation/personnalisation des apprentissages, les parcours spécifiques. La bienveillance tient lieu de viatique, l’excellence est celle des méritants, excluant de fait les enfants issus des classes populaires. La liberté et l’autonomie sont celles des établissements condamnés à la concurrence. Celle aussi de chefs d’établissements devenus des supérieurs hiérarchiques et empêchant de fait tout travail en équipe. Les savoirs se réduisent à des pseudos fondamentaux qui tournent résolument le dos à la culture commune, n’hésitent pas à instrumentaliser des disciplines comme le français ou l’histoire pour promouvoir le roman national. Leur transmission, par la prescription de « bonnes pratiques » qui ne repose sur aucune analyse sérieuse des dites pratiques, exige des enseignants d’être des exécutants de méthodes prêtes à l’emploi quand chacun sait l’extrême complexité de l’exercice du métier.

L’école n’est plus celle de la skolé mais celle des exigences du marché. Elle n’est plus un lieu d’émancipation individuelle et collective, mais le premier lieu du tri et de la sélection, avec des évaluations à tous les étages en l’absence de toute réflexion et de mesures favorisant la mixité scolaire ou encore une vraie formation des professionnels de l’éducation. La recherche est à l’abandon. Le tableau n’est pas exhaustif : classes surchargées, remise en cause du bac comme premier diplôme universitaire pour mettre en place la sélection à l’entrée à l’université, manque de profs et formation au rabais, mixité scolaire au rancart, conception consumériste de la place des parents à travers la coéducation…

Carnets Rouges, fidèle au projet qui a présidé à sa création, ouvre ses colonnes à des chercheurs, des militants, des syndicalistes, des élus, qui nous proposent leur regard, leurs analyses, dans leurs différences, voire leurs contradictions. Car l’avenir est à construire et ne pourra l’être que dans le conflit d’idées, la confrontation des questionnements, le débat. Conditions requises en politique comme à l’école pour qu’advienne un collectif qui ne soit pas addition de points de vue ou d’opinions, de déjà là qui enferment et excluent mais élaboration nouvelle où le tous capables effectivement à l’œuvre, est une conquête individuelle et collective, pouvoir d’agir et de penser dans une dynamique émancipatrice. L’enjeu est de taille !

Christine Passerieux
Membre du comité de rédaction de Carnets rouges