À droite toute ? L'école menacée par les idéologies réactionnaires.,  Ana Lúcia Sarmento Henrique,  Kleiton Cassemiro,  Numéro 26

Une pierre au milieu du chemin de la formation humaine : six ans d’attaques contre l’Éducation publique brésilienne

Introduction

« L’université, en vérité, devrait être réservée à peu de personnes, dans le but d’être utile à la société.

Milton Ribeiro, 2021[1]Extrait de l’interview du ministre de l’Éducation de l’époque, Milton Ribeiro, sur TV Brasil le 10 août 2021. https://youtu.be/6JyH4faRwpY

Il est étrange de déduire qu’un tel discours provient de quelqu’un qui est à la tête du ministère de l’Éducation (MEC) – enfin, qu’il était, puisqu’il a été démis de ses fonctions en mars 2022, après un scandale impliquant l’utilisation abusive de ressources du ministère. Cependant, dans un contexte de politiques néolibérales, de tels discours du gouvernement ne sont pas surprenants, ce qui ne retire en rien, malgré leur prévisibilité, le besoin de critiques, en particulier celles tissées du côté contre-hégémonique de la société.

C’est avec cet esprit critique que nous cherchons à développer ici une analyse des politiques publiques d’éducation des six dernières années du gouvernement brésilien, actuellement considéré d’extrême droite, à caractère autoritaire et négationniste. Son projet, aux bases déjà posées, a commencé à prendre corps dans le gouvernement de Michel Temer, arrivé au pouvoir après un coup d’État juridique-parlementaire en 2016 avec un programme de réformes néolibérales converti, par Bolsonaro, en un programme de mesures considérées comme ultra néolibérales.

Un chemin de différends : avancée des réformes néolibérales

Au Brésil, nous vivons des projets sociétaux en constante dispute, qui affectent également le domaine de l’éducation, car chaque partie cherche à mettre en œuvre son projet et son idéologie dans les curricula. Même sous les gouvernements du Parti des Travailleurs (PT), entre 2003 et 2016, avec moins d’intensité, cette dynamique s’est poursuivie. Un exemple en est l’institution du PRONATEC[2]Programme National d’Accès à l’Enseignement Technique et à l’Emploi – Loi n° 12 513/2011. Axé sur l’adaptation au marché, séparant de la formation générale la formation professionnelle et mettant en place des formations courtes en partenariat avec des établissements privés sans garantie d’avancement scolaire pour les jeunes. Le gouvernement Bolsonaro a ramené ce programme, rebaptisé «Nouveaux Chemins », avec le facteur aggravant d’inclure l’enseignement à distance dans la formation et de maintenir le même objectif : certification de masse et assujettissement au capital., mise en place en 2011 et considérée comme un recul des politiques éducatives, alors qu’avait pourtant été réalisée en 2005, une grande avancée avec la création du PROEJA[3]Programme national d’intégration de l’enseignement professionnel à l’enseignement de base dans l’éducation des jeunes et des adultes et, en 2008, avec l’extension du Réseau Fédéral de Formation Professionnelle, Scientifique et Technologique. La balance des réformes penchait, soit à droite — avec des mesures centrées sur l’économie, favorisant une éducation individualisante qui vise exclusivement à répondre aux exigences du marché du travail —, soit à gauche, ayant comme horizon le développement d’une formation intégrale qui assure à chacun, la compréhension complète des processus de production afin de réussir la transition de l’inégalité vers l’égalité par le processus éducatif (Saviani, 2018). Après le coup d’État de 2016, le président qui a pris le pouvoir, Michel Temer, a repris l’un des projets mis de côté dans le gouvernement du PT (projet de loi n° 6840/2013), car il modifiait de manière controversée, les dispositions de la Loi sur les Directives et les Bases de l’éducation nationale (loi n° 9394/1996) sur le lycée. Sa reprise, un mois après la destitution de la présidente Dilma, a été considérée comme un acte autoritaire, puisqu’elle a été imposée au moyen d’une Mesure Provisoire[4]La Mesure Provisoire (MP) est un acte du président ayant force de loi, rédigé sans la participation du pouvoir législatif et utilisé en cas d’urgence et à titre exceptionnel. (MP n° 746/2016), convertie, même après une mobilisation de la société, en loi (loi n° 13415/2017). Cette réforme du lycée, élaborée avec la participation massive d’entités privées, était guidée par des formations qui suivent la Base Nationale Commune des Curricula (BNCC) fondée sur les compétences. « […] Sous prétexte de contribuer à l’insertion sociale et professionnelle des jeunes, principalement ceux issus des secteurs populaires, [cette loi] favorise, au contraire, leur assujettissement aux excès du capital sous la forme sociale de travailleurs flexibles en se concentrant sur la formation des jeunes, non dans le domaine des savoirs historiquement produits par le travail humain qui, selon les mots de Gramsci, contribueraient à leur autonomie intellectuelle et morale, mais dans des portions segmentées, pragmatiques et applicables de ces mêmes savoirs en vue du développement de compétences cognitives et socio-émotionnelles qui les rendront plus facilement exploitables par ce même capital » (Ferretti, 2022, p.10).

Cette loi s’aligne ainsi sur les aspirations du capital, qui recherche ce modèle de travailleur forgé à partir d’une formation également flexible et fragmentée, que l’on retrouve, après la réforme, avec la division du cursus du Lycée en deux parties : 1800h de Formation Générale de Base (FGB) et 1200h d’itinéraires de formation (y compris la formation professionnelle) choisis par les étudiants[5]Selon l’itinéraire choisi, les étudiants auront accès à un contenu plus approfondi dans les composantes curriculaires (disciplines) de la FGB qui correspondent le mieux à l’itinéraire et le reste du contenu des autres matières est vu superficiellement pendant les 3 années du lycée., selon la disponibilité de l’établissement d’enseignement, qui aura l’autonomie de définir lesquels offrir. Ce choix, considéré démocratique par le gouvernement, accroît les inégalités, puisque tous les jeunes n’auront pas les mêmes chances, car elles dépendront des conditions de l’établissement et de la région dans laquelle ils sont inscrits. Ainsi, l’objectif est d’attribuer au Lycée « […] un caractère fortement instrumental […] qui donne la priorité à la formation d’un type humain spécifique : non critique, compétitif, productif, concurrentiel, non solidaire, faiseur de tâches, individualiste et appelé par euphémisme d’entrepreneur » (Araujo ; Silva ; Both, 2022, p.4).

Suivant cette voie, la réforme du travail[6]Loi n ° 13 467/2017 – Modifie la Consolidation des lois du travail (CLT) afin d’adapter la législation aux nouvelles relations de travail. est mise en œuvre, proposée comme solution à la réduction de la masse des chômeurs, justification également adoptée pour l’imposition de la réforme du lycée (absence de personnel qualifié dans un marché en constante mutation). Ainsi, la sous-utilisation des travailleurs s’accroît à travers la légalisation, dans la nouvelle législation du travail, de l’intermittence et la soi-disant « ubérisation » du travail : « un processus dans lequel les relations de travail deviennent de plus en plus individualisées, invisibles, prenant ainsi l’apparence de prestation de services » (Antunes, 2022, p.5). Une autre mesure qui mérite une attention égale est la réforme du « plafond des dépenses »[7]L’amendement constitutionnel n° 95/2016. Elle établit un nouveau régime fiscal qui limite le budget public annuel jusqu’en 2036 uniquement à l’ajustement à l’inflation.. Elle met un frein aux progrès du pays dans plusieurs domaines, dont l’éducation et la santé[8]Cette réforme rend difficile le respect du Plan National d’Éducation (PNE – 2014-2024 – https://pne.mec.gov.br), qui a pour un de ces objectifs l’expansion de l’investissement dans l’éducation publique, afin d’atteindre un minimum de 10% du PIB d’ici 2024..

Cet ensemble de réformes qui a généré dans le pays un recul dans des domaines essentiels, a ouvert la voie au gouvernement ultra-néolibéral bolsonariste, arrivé au pouvoir après une campagne ponctuée de discours de négationnistes, de diffusion de fake news[9]Cette affaire a conduit à l’ouverture, en août 2019, d’une commission d’enquête parlementaire mixte sur les fake news. Plus d’informations sur : https://legis.senado.leg.br/comissoes/comissao?codcol=2292. Consulté le 25 juillet 2022., d’attaques contre l’éducation libératrice mais aussi à ce que le candidat élu a lui-même qualifié de « marxisme culturel », dans son projet de plan gouvernemental intitulé « la voie de la prospérité ».

Ce qui est mauvais peut empirer : approfondissement des reculs

Deux choses signalaient déjà le maintien d’une politique de recul dans l’enseignement public. La première est qu’après la réforme du lycée, seuls le portugais et les mathématiques sont obligatoires pendant les trois années du lycée, tandis que les autres matières sont officiellement laissées au libre choix des lycéens, en fonction des itinéraires de formation choisies. La deuxième est l’initiation à l’entrepreneuriat, tant à ce niveau que dans l’enseignement supérieur, visant à la transformation des connaissances en « produits vendables ». Ainsi, marqué par les différentes coupes et blocages de fonds dans le budget du MEC, le gouvernement bolsonariste a continué d’être la cible de critiques et de polémiques impliquant également ce ministère, qui se distinguait à la fois par la dévalorisation des professionnels et des établissements d’enseignement publics et par le changement fréquent de ministres – il y a eu un total de cinq nominations pour le poste sur une période de trois ans, et l’un des candidats, Decotelli, n’a même pas pris ses fonctions.

En avril 2019, le ministre de l’Éducation, Abraham Weintraub (le deuxième) avait provoqué un scandale en annonçant un blocage de 30 % du budget de trois universités qui, selon lui, favorisaient le « chahut », en référence aux manifestations qui ont eu lieu dans leurs espaces. L’épisode a suscité de vives critiques à l’encontre du ministre, qui est revenu sur sa mesure, clairement autoritaire, et a déclaré que le blocage porterait sur toutes les universités, en affectant leurs dépenses discrétionnaires[10]Dépenses liées au coût de l’eau, de l’énergie, des infrastructures, des investissements dans la recherche, des aides aux étudiants, etc.. À la fin de 2019, les coupes destinées au MEC ont totalisé 29,97 milliards de reais, ce qui représente une baisse de 20% du montant initialement prévu, la valeur absolue de coupe la plus élevée destinée à l’enseignement supérieur (5,4 milliards de reais).

Toutes les réductions ont été effectuées avec la justification de l’ajustement au « plafond des dépenses ». En 2020, le MEC a subi une réduction de 27,9 milliards de reais supplémentaires, l’éducation de base étant cette fois la plus touchée (5,5 milliards de reais, soit 65,7% du budget prévu). En 2021, même avec tous les aménagements nécessaires au développement de l’enseignement à distance dû à la pandémie, dont la nécessité d’aider les élèves sans accès à une structure minimale pour suivre les cours, le MEC subit de nouvelles coupes. Un total de 22,3 milliards de reais, la plus grande part de ce montant[11]Valeurs calculées à partir des données disponibles sur le Portail de la Transparence : https://www.portaltransparencia.gov.br/download-de-dados/orcamento-despesa. Consulté le 25 juillet 2022. étant dirigée vers l’enseignement supérieur. En outre, le président Bolsonaro a apposé son veto à un projet de loi (PL nº 3477/2020) qui garantissait un accès gratuit à Internet aux élèves à faible revenu et aux enseignants du système public. Cependant, cet acte présidentiel a été annulé par le législatif.

L’année 2022, bien qu’elle soit la dernière de ce gouvernement, ne promet pas de changements. Selon l’organisation « Tous pour l’Éducation »[12]Disponible sur : https://todospelaeducacao.org.br/noticias/bloqueio-no-orcamento-do-mec/. Consulté le 26 juillet 2022., un nouveau blocage a été déterminé par le président (décret n° 11 186/2022), impliquant pour le MEC, une perte de 3,6 milliards de reais dans son budget, qui devra atteindre de manière significative l’Éducation de base, la deuxième la plus touchée après l’enseignement supérieur, dont la valeur représente environ 50% du total bloqué dans le ministère.

D’autres attaques ont été dirigées plus spécifiquement contre des établissements d’enseignement fédéraux, comme c’est le cas des interventions dans le choix de leurs recteurs, portant atteinte à leur autonomie institutionnelle. Un autre exemple est la promotion du «FUTURE-SE», un programme rejeté par la majorité des universités précisément parce qu’il interfère avec l’autonomie de la gestion de l’enseignement supérieur. Il serait réalisé avec la participation d’organisations sociales, visant à stimuler la captation de ressources privées dans les universités publiques. Cela affecterait le choix du type de recherche ou de projet à mettre en œuvre par la direction de l’institution, qui privilégierait certainement celles à plus forte rentabilité financière, c’est-à-dire aux « produits vendables ».

Considérations finales

Face à cette situation de contestations et d’affrontements politiques, des mouvements de résistance s’imposent de plus en plus en faveur de la reconnaissance de l’école « comme espace de formation intégrale des sujets […] guidée [s] par l’utilité sociale des savoirs et connaissances scolaires » (Araujo; Silva; Both, 2022, p.7). L’objectif est de s’opposer à ces mesures imposées au cours des six dernières années par des gouvernements néolibéraux dont le but clair est d’affaiblir les établissements d’enseignement publics, provoquant le discrédit de leurs gestions, afin de justifier des actions qui promeuvent une privatisation progressive de ces espaces, élargissant ainsi une ségrégation historiquement renforcée par des politiques qui deviennent de véritables obstacles sur le chemin de la formation humaine pour les couches les plus pauvres de la société.

Kleiton Cassemiro
Professeur à l’IFRN,
doctorant en Enseignement Professionnel au PPGEP/IFRN
kleiton.cassemir@ifrn.edu.br

Ana Lúcia Sarmento Henrique
Professeure à l’IFRN,
docteure en sciences de l’éducation et coordinatrice du PPGEP/IFRN
ana.henrique@ifrn.edu.br

Bibliographie

Ricardo Antunes, Crise du capitalisme et régression sociale pour la classe ouvrière, Revista Brasileira da Educação Profissional e Tecnológica (RBEPT), v.1, n.22, 2022.

Ronaldo Marcos L. Araujo, Luciane T. Silva, Albene Liz C. M Both, Possibilidades de resistências à reforma do ensino médio em curso, RBEPT, v.1, n.22, 2022.

Celso João Ferretti, Résistance à la Réforme de l’Enseignement Secondaire brésilien possibilités et limites, RBEPT, v.1, n.22, 2022.

Dermeval Saviani, Escola e democracia, 43. ed. SP: Autores Associados, 2018.

Notes[+]