Édito | « L’affirmation d’un enseignement professionnel public, au sein du système scolaire national, est nécessaire pour garantir une telle volonté émancipatrice. »
Les politiques d’enseignement professionnel sont soumises aux tensions contradictoires des enjeux économiques des entreprises et des perspectives émancipatrices de l’École. Nul doute qu’il faille satisfaire aux besoins de qualification nécessaires à l’exercice des professions, mais une telle exigence est loin de justifier sa soumission aux intérêts des entreprises et à leurs besoins de rentabilité immédiate et de compétitivité. Ce serait renoncer à inscrire le développement des compétences professionnelles dans les ambitions d’une éducation guidée par la perspective de donner à chacune et chacun la capacité d’exercer une citoyenneté libre et responsable.
L’affirmation d’un enseignement professionnel public, au sein du système scolaire national, est nécessaire pour garantir une telle volonté émancipatrice. Elle ne peut se suffire d’un discours de surface qui se contente de répéter son intérêt pour la voie professionnelle. Elle nécessite une politique déterminée, y compris sur le plan des moyens, qui fait aujourd’hui largement défaut. La réduction des horaires d’enseignement général, la fragilisation du financement des lycées, la soumission de l’apprentissage aux branches professionnelles et la déspécialisation des formations au profit de familles de métiers sont autant de signes d’un parti pris essentiellement destiné à satisfaire les demandes des employeurs. La rhétorique de la réforme engagée en 2018 vante les parcours d’excellence et la valorisation de l’enseignement professionnel mais, sous couvert d’une prétendue modernisation pédagogique, elle a ouvert la porte à une emprise plus forte des volontés patronales, institutionnellement scellée par une convention signée entre le ministère et le MEDEF. Le développement de « l’esprit d’entreprise » et des qualités comportementales qu’il suppose y semblent plus essentiels que la transmission d’une culture commune ou la construction d’un jugement raisonné. La logique même qui pousse à la création d’écoles d’entreprise développera une meilleure capacité à répondre aux exigences particulières des emplois concernés aux dépens d’autres enjeux de la formation. On peut douter de la place qu’elles donneront aux questions liées aux droits des salariés, aux enjeux environnementaux, au développement de l’esprit critique, à l’acquisition d’une culture commune ou, tout au moins, craindre qu’elles les traitent dans des perspectives dominées par les intérêts et l’idéologie de l’entreprise. Le développement d’une connaissance assurée de ses droits se construira plus difficilement dans la relation de subordination salariale de l’apprentissage que dans la relation pédagogique permise par la voie scolaire.
Un autre renoncement caractérise l’enseignement professionnel : les visions hiérarchisées et stéréotypées qui orientent aujourd’hui les élèves vers le lycée professionnel et ses différentes filières reposent davantage sur le jugement d’une incapacité scolaire présumée que sur l’élaboration d’un projet professionnel. Cela engendre une population scolaire fortement marquée par les origines sociales et le genre et constitue le creuset de la production et de la reproduction d’inégalités. Or, le constat est régulièrement fait que l’apprentissage, aujourd’hui soutenu par les politiques gouvernementales est une voie plus discriminante que la « voie scolaire ». On peut donc douter des capacités des choix actuels en matière d’enseignement professionnel à réduire les inégalités de classe, de race ou de genre.
Derrière un discours proclamant le lycée professionnel comme une voie d’excellence et de réussite, les mêmes mépris subsistent qui continuent à assigner les enfants des milieux populaires à la domination sociale, sans craindre de limiter leur formation aux enjeux comportementaux de l’employabilité. Nous sommes bien loin des ambitions d’éducation de ceux qui au lendemain de la Libération, Georges Cogniot, Paul Langevin ou Henri Wallon, voulaient que le principe constitutionnel de l’égalité d’accès à la formation professionnelle fasse avant tout le choix de l’élévation du niveau de connaissances et de l’accès à la culture.
Paul Devin
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