Géraldine Rouquette,  Numéro 11,  Questions vives

Ecoles privées hors-contrat : une augmentation inquiétante

56 300 élèves du premier et second degré (soit 0,4 % des effectifs) suivent leur scolarité dans des établissements privés hors contrat. Ils étaient environ 20 000 en 2008. Si ces structures demeurent marginales par rapport au nombre d’élèves scolarisés en France, leur nombre est en réelle augmentation (le Ministère de l’Education nationale indique une hausse de 26 % entre 2011 et 2014). Sur environ 1300 établissements recensés, seuls 300 seraient confessionnels : 200 écoles catholiques ; une cinquantaine, juives ; une quarantaine, protestantes et une quarantaine, musulmanes.

Si certains de ces établissements sont dans l’attente d’un contrat avec l’Etat (possible en principe au bout de cinq ans) pour rejoindre le «privé sous contrat » classique, d’autres au contraire revendiquent leur indépendance vis à vis du Ministère de l’Education nationale, des programmes et des méthodes préconisées par celui-ci, c’est là leur fond de commerce.

Les autres structures hors contrat, non religieuses, proposent pour la plupart des pédagogies alternatives, Montessori ou Steiner le plus souvent, ou s’adressent à des familles aisées souhaitant proposer à leurs enfants des classes bilingues par exemple, notamment dans les zones où celles-ci ont été supprimées par la réforme du collège.

Ne recevant pas de subventions publiques, ni de prise en charge des frais de fonctionnement comme c’est le cas pour le privé sous contrat (dont la rémunération des enseignants est assurée par l’Etat), ces établissements hors contrat ont une gestion totalement autonome, y compris sur le choix des personnels enseignants, sans condition de diplôme. Jusqu’en 2015, les établissements privés hors-contrat étaient inspectés en moyenne tous les six ou sept ans. La circulaire du 17 juillet 2015 prévoit une augmentation de cette fréquence, mais il règne une certaine opacité sur les résultats de ces contrôles.

“ Une simple déclaration suffit aujourd’hui à créer un établissement d’enseignement, les contrôles sur le fonctionnement n’étant organisés que dans l’année qui suit leur lancement. ”

Une simple déclaration suffit aujourd’hui à créer un établissement d’enseignement, les contrôles sur le fonctionnement n’étant organisés que dans l’année qui suit leur lancement. Le gouvernement Valls a souhaité mettre fin après les attentats de 2015 à cette absence de droit de regard pour s’assurer qu’aucun foyer de radicalisation ne se crée dans ces écoles parallèles. Mais, fin janvier 2017, le conseil constitutionnel a censuré un article de la loi dite Egalité et Citoyenneté visant à contrôler ces ouvertures, en passant d’un régime de déclaration à un régime d’autorisation. Seuls des contrôles renforcés seront effectués sur les écoles déjà ouvertes, pouvant conduire à la fermeture de certaines d’entre elles pour insuffisance pédagogique ou troubles à l’ordre public. Force est de constater, que malgré les inquiétudes et certains signalements, les inspections sont insuffisantes et les fermetures peu fréquentes. Récemment, certains élus ont alerté sur les dangers potentiels d’écoles hors-contrat voire clandestines à la fois quant au respect des valeurs républicaines et au risque de dérive sectaire et de radicalisation[1]http://blog.francetvinfo.fr/oeil-20h/2017/01/31/islamisme-radical-ces-ecoles-qui-inquietent-la-republique.html.

Un rapport de l’académie de Versailles, réalisé en 2016 met en évidence les dérives d’un système éducatif parallèle. Le Café pédagogique qui en a publié des extraits évoque d’« inquiétantes dérives dans les écoles inspectées, notamment une faillite éducative bien réelle »[2]http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2017/03/07032017Article636244680502867012.aspx. Le rapport souligne entre autres que l’enseignement de l’Histoire et des Sciences est particulièrement mis à mal dans certains de ces établissements.

Le Cours du Sénevé: un modèle du genre…

Si pour certains parents, le choix de scolariser leurs enfants dans des écoles hors-contrat relève d’un choix religieux ou politique, pour d’autres, il est hélas évident que leur choix résulte d’une absence de réponse à des besoins particuliers. On note que les sites internet des établissements hors contrat mettent en avant la réussite de tous les enfants et l’accès à l’excellence ainsi que la prise en charge d’élèves en difficultés ou intellectuellement précoces. Les réformes éducatives des dernières années qui ont suscité beaucoup d’inquiétudes, les classes surchargées et le manque de moyens des établissements publics semblent avoir permis à ces écoles parallèles de prospérer.

“ Les réformes éducatives des dernières années qui ont suscité beaucoup d’inquiétudes, les classes surchargées et le manque de moyens des établissements publics semblent avoir permis à ces écoles parallèles de prospérer. ”

C’est le cas à Castres, dans le Tarn où une école baptisée Cours du Sénevé a vu le jour en 2015, avec la bénédiction de la majorité municipale. Le nom de l’école vient d’une parabole biblique : les évangiles devant se répandre comme les grains de sénevé (graine de moutarde)… Fondée par Marie-Geneviève Soleil, fille de Bernard Antony[3]Bernard Antony, ancien dirigeant du FN, il a été notamment député européen. Il est aujourd’hui président de l’AGRIF – Alliance contre le racisme et pour le respect de l’identité française … de Chrétienté-Solidarité et de SOS-Touts-Petits (association anti-IVG)., un des principaux animateurs du courant catholique traditionaliste, cet établissement apparaît comme très proche de ces milieux. M.G. Soleil a en effet participé à plusieurs reprises aux travaux des universités d’été du Centre Charlier (établissement culturel catholique traditionaliste fondé par son père), et le site initial de l’école revendiquait son refus des démarches scientifiques, de l’éducation sexuelle, du positivisme, mettant en avant le retour aux valeurs traditionnelles de l’école «libre » : port de la blouse, enseignement moral et religieux… Suite à mes interventions à ce sujet en conseil municipal et dans la presse, le site a été «nettoyé » de tout ce qui pourrait évoquer l’idéologie de ses fondgateurs. On trouve parmi les enseignants Françoise Canac (ex candidate FN aux législatives de 2002 et figure bien connue de l’extrême-droite castraise), B.Parmentier (organisatrice entre autres des manifestations contre le mariage pour tous, et l’épouse d’un élu de la majorité municipale qui s’était illustré dans un blog pro-vie).

Le financement de la structure est opaque mais elle bénéficie d’une forme de soutien de la majorité municipale qui a accepté de lui louer des locaux appartenant à la ville et d’une forme de soutien médiatique grâce à l’appui d’un journal local qui a qualifié ceux qui se sont opposés au projet de «Torquemada de la laïcité » […] «suintant la haine inquisitoriale » et ayant « la bave aux lèvres »[4]Editorial de Pierre Archet dans le Journal d’Ici. Octobre 2015. Deux ans après l’ouverture, on ne peut que déplorer la banalisation de l’école dont les effectifs augmentent (plusieurs niveaux se sont ajoutés aux niveaux existants lors de sa création) et la presse locale annonce les fêtes et les manifestations qui s’y déroulent sans aucun recul critique, comme s’il s’agissait d’une banale école privée. Mais leur succès et celui d’une autre structure créée à Castres pour les enfants dyslexiques résulte aussi des carences de l’Education nationale dans un département où la prise en charge de la difficulté scolaire est parfois indigente (médecin scolaire non remplacé depuis 2 ans sur un secteur du département…).

C’est sur un autre terreau que se construit petit à petit le réseau des écoles Espérance Banlieues mais avec deux points communs : l’origine idéologique des fondateurs et la critique d’un système scolaire public qui ferait souffrir. On y revendique le fait de permettre à des enfants de la banlieue de réussir en portant à chaque élève une attention particulière… En bref la bienveillance déclinée à la mode scout d’Europe, la convivialité mais avec uniforme et Marseillaise obligatoire. Sous couvert de renouveau pédagogique, il s’agit ni plus ni moins que d’un retour aux vieilles méthodes et à une idéologie très réactionnaire, comme le démontre l’excellent article de Paul Devin ( Blog Médiapart, 2 avril 2017) intitulé Espérance Banlieues: écoles de l’endoctrinement.

Seule une réponse politique à la hauteur des enjeux et des besoins en matière d’éducation permettrait d’endiguer la progression de ce type de structure, notamment pour les familles qui se tournent vers ce type d’enseignement par désarroi. D’autre part, les nombreux problèmes mentionnés par le rapport cité précédemment, notamment ceux posés par l’absence de diplôme requis pour enseigner (sans parler des cas avérés de pédophilie), devraient conduire les législateurs à imposer des contrôles plus stricts. Le rejet par le Conseil Constitutionnel de l’article de la loi Egalité et Citoyenneté visant à soumettre l’ouverture d’une école à autorisation et les positions de certains candidats à la dernière élection présidentielle sont loin d’aller dans ce sens. La fédération de l’enseignement privé hors contrat a interpellé les candidats à la présidentielle pour mettre en avant ses revendications, dont une contribution à leur financement par de l’argent public et des inspections réalisées par un organisme «indépendant ». On comprend bien quelle est leur volonté. Les réponses de certains candidats de droite et d’extrême-droite montrent la nécessité d’être particulièrement vigilants sur le sujet.

Il est du devoir des élus et des syndicats soucieux de l’intérêt des enfants et de la formation de citoyens éclairés et critiques de trouver des réponses pour lutter contre la prolifération des écoles hors-contrat. Une enquête parlementaire sur le sujet serait la bienvenue, notamment en ce qui concerne leur financement.

Le secteur public a, depuis des décennies, été confronté à la concurrence d’un secteur privé «marchand »[5]Voir notamment Marine Roussillon, « Quel service public pour l’éducation? », pp.7-8, Carnets Rouges n°9, janvier 2017., confessionnel ou non. La réponse apporté aux problèmes nouveaux posés par l’accroissement de ces écoles hors-contrat doit s’inscrire dans une réponse politique globale, en traitant dans le même temps, singulièrement les problématiques qu’elles posent.

Pour assurer la réussite de tous les élèves, le service public d’Education doit à la fois se transformer et disposer de moyens supplémentaires. Il est donc indispensable de réaffirmer le principe selon lequel l’argent public doit aller à l’école publique, concrètement cela passe par l’abrogation de la loi Carle. Concernant les écoles privées hors-contrat, les contrôles doivent être nettement renforcés, notamment sur le plan des contenus et de la formation des enseignants, pour éviter l’endoctrinement et les dérives sectaires.

Géraldine Rouquette
Conseillère municipale PCF de Castres
Enseignante et syndicaliste

Notes[+]