« Sois acteur de ton parcours ! » | Maël Loquais
« Sois acteur de ton parcours ! » L’engagement des jeunes « en difficultés » au cœur des injonctions paradoxales,
Maël Loquais,
Presses universitaires de Rennes, 2022, 144 p.
Note de lecture proposée par Erwan Lehoux
Tailleur de pierre devenu professionnel de l’éducation populaire et du secteur social, Maël Loquais propose dans cet ouvrage, principalement issu de sa thèse, de réfléchir à l’engagement différencié des jeunes dits “en difficulté” dans un dispositif d’insertion, en l’occurrence une école de la deuxième chance, en situation d’injonction au projet et à l’autonomie.
S’il souscrit aux critiques théoriques de ces injonctions, qui s’inscrivent dans une logique d’activation caractéristique des logiques néolibérales, il tente néanmoins d’aller plus loin en interrogeant la manière dont les jeunes s’engagent dans le dispositif et s’en emparent. Sa démarche consiste à « considérer les jeunes dits “en difficultés” comme des sujets capables de considérer les enjeux qui les concernent et de juger ce qui leur semble juste (au sens de justesse) pour eux-mêmes et pour autrui[1]En référence aux travaux de Paul Ricœur, Soi-même comme un autre, Paris, Éditions du Seuil, 1990., tout en s’intéressant aux conditions de déploiement de ces capacités » (p. 27).
À partir d’entretiens répétés avec des jeunes stagiaires dans une école de la deuxième chance, il dresse dans une première partie quatre portraits types de jeunes bénéficiaires du dispositif, en fonction de l’engagement qui est le leur. D’abord, des jeunes, pour la plupart déjà diplômés, pour lesquels les injonctions au projet et à l’autonomie s’avèrent effectivement émancipatrices, même si cette émancipation est avant tout individuelle, ou « capacitive » au sens d’une « augmentation des pouvoirs physiques et psychiques de l’individu qui lui permet de rendre possible ce qui ne l’était pas jusqu’à-là » pour reprendre une catégorie proposée par Dominique Broussal[2]Dominique Broussal, « Émancipation et formation : une alliance en question », Savoirs n°51, 2019, p. 24., sans dimension politique apparente. À l’opposé, des jeunes, en l’occurrence trois femmes, qui assument une critique frontale du dispositif. Peu nombreuses, elles ont par ailleurs toutes trois des charges familiales et font part du décalage voire de l’antagonisme entre ces deux obligations, non seulement parce que difficilement conciliable quant à l’engagement qu’elles demandent, mais aussi parce que les injonctions à l’autonomie dans le cadre du dispositif semblent infantilisantes. Ainsi, l’auteur note que, « d’une certaine manière, [ces jeunes] adhèrent aux principes d’autonomisation mais désapprouvent le fait qu’on ne leur accorde pas toute l’autonomie qu’elles méritent » (p. 60). Cependant, cette critique de l’offre de formation est aussi une critique de soi, de leur propre engagement au sein du dispositif. Entre les deux, les jeunes ambivalents, pour lesquels « le projet reste secondaire par rapport aux soucis immédiats, centrés sur l’urgence de retrouver un emploi. » (p. 60). Ils se montrent néanmoins peu critiques du dispositif, reconnaissant volontiers leur responsabilité dans leurs échecs passés, conscients que la deuxième chance est peut-être surtout la dernière.
En définitive, Maël Laquais souligne les capacités de ces jeunes à saisir les enjeux qui les concernent et, de ce fait, à « produire le bon discours à la bonne personne au bon moment » (p. 74), y compris dans le cadre de l’enquête. Enfin, les jeunes en retrait, s’ils n’ont pas encore décroché du dispositif au moment de l’enquête, pour certains parce qu’ils y sont contraints, « [font] part d’une certaine désillusion quant aux possibilités de voir leur situation évoluer favorablement » (p. 79). Ils mettent en avant ce qui, selon eux, les empêche dans leurs capacités, remettent en cause l’utilité du dispositif et estiment avoir été abandonnés à leur propre sort. « Pour ces jeunes, le modèle du projet est dysfonctionnel. Toute évocation d’un avenir possible les renvoie à tout ce qui n’a pas fonctionné jusqu’à présent et aux contraintes de toutes sortes et au fait que toute projection ressemblera désormais à un vœu pieux. » (p. 86)
Dans une seconde partie Maël Loquais interroge la notion de capabilités d’Amartya Sen et les théories de l’empowerment ou de l’engagement qui s’y rapportent. Face au « risque d’un glissement entre émancipation et injonction à se montrer capable » (p. 97), il cherche en suivant un chemin étroit à prendre en compte la critique des injonctions paradoxales auxquelles les jeunes sont soumis sans pour autant renoncer aux finalités des dispositifs d’insertion. Il insiste notamment sur l’importance des conditions sociales, économiques et pédagogiques qui permettent ou non aux jeunes de s’engager dans une démarche de projet. S’intéressant à l’activité critique des jeunes, il s’agit selon lui de leur donner la possibilité d’avoir prise sur les dispositifs et d’« opposer [leurs] propres contre-stratégies aux stratégies dont [ils] se [sentent] devenir l’objet » (p. 112), tout en évitant de générer une nouvelle injonction à être critique. À cette fin, il avance quelques pistes pour repenser les dispositifs d’insertion.
Notes[+]