Numéro 1,  Quels programmes pour une culture partagée ?,  Sébastien Laborde

SEGPA, emparons nous du débat

L’enseignement adapté a toujours été un creuset des mouvements pédagogiques, syndicaux, associatifs et politiques. De nombreux militants pédagogiques se sont engagés dans cette voie. L’école pour tous, de la réussite de tous nécessite de s’intéresser à la difficulté scolaire, ses causes dans et hors l’école, et des moyens d’y remédier. Il est aujourd’hui au cœur de la question du collège unique, de la poursuite de scolarité de toutes et tous après le collège.

Le ministère de l’Éducation Nationale a ouvert en février dernier dans le cadre des “chantiers métier” le débat sur le devenir des SEGPA. S’il est toujours bon de s’interroger sur le fonctionnement de notre système éducatif dans tous ses aspects, des inquiétudes apparaissent sur leur devenir et la volonté du gouvernement de voir perdurer des structures qui remplissent un rôle important au collège en direction d’élèves en grandes difficultés.

Le SEGPA sont en effet les seules structures de l’enseignement adapté dans les collèges. Elles accueillent des élèves en grande difficulté scolaire pour leur permettre d’accéder après le collège à l’enseignement professionnel et notamment des CAP qu’obtiennent 75% des élèves sortant de ses structures.

Les SEGPA ont aujourd’hui à l’intérieur du collège une place particulière. Les enseignants appartenant à cette structure sont des professeurs des écoles spécialisés dans le traitement de la difficulté scolaire et des personnels de l’enseignement professionnel qui interviennent dans des champs disciplinaires tels que l’habitat, les métiers de la vente et de la distribution, l’espace rural et l’environnement, l’hygiène alimentation service…

Les élèves évoluent durant 4 années dans un environnement “protégé”, dans des classes à faible effectif (maximum 16 par classe) et reçoivent un enseignement adapté traitant leurs difficultés scolaires pour les conduire à un niveau de type 5 et la passation d’un certificat de formation générale (CFG) attestant de leur capacité à lire, écrire et compter, être autonomes et capables de communiquer et d’évoluer dans la société. Dans le même temps ils élaborent un projet professionnel et un projet d’orientation.

Tout l’objectif de la SEGPA est de permettre à ces élèves de rétrouver l’enseignement ordinaire après la 3ème par le biais de l’enseignement professionnel et la formation à un CAP. Il n’est pas rare que certains élèves poursuivent ensuite leurs études jusqu’à l’obtention de bac professionnel ou de spécialisation dans leur champs professionnel.

Il n’est pas anodin de constater que 75% de ces élèves sont issues de familles en difficulté et vivent des situations de grande précarité matérielle et sociale.

Si les SEGPA ont démontré leur utilité dans le cadre du collège unique, elles continuent de souffrir d’une image dégradée parmi les élèves et les familles. Souvent assimilées à des structures pour “mauvais élèves” ou “élèves à problèmes”.

Il est facile d’imaginer qu’un gouvernement qui chercherait à faire des économies lorgne du côté des SEGPA pour en diminuer le coût. En effet, ces structures autonomes dans un collège bénéficient de dotations propres (DGH fléchée et dédiée pour une part), de moyens importants au travers des ateliers de champs professionnels, et de moyens humains nombreux permettant des taux d’encadrement faibles et permettant un travail différencié tenant compte du niveau de chaque élève, de la nature des difficultés scolaires et leurs causes (cognitives, comportementales, culturelles…).

Or, les SEGPA ont démontré leur utilité, et encore récemment au travers du rapport parlementaire sur la grande difficulté scolaire. Le ministère pose plusieurs questions qu’il met en débat et que parents et enseignants ont tout intérêt à creuser pour que soient pérennisées ces structures. Est posée par exemple le rôle de la classe de 6e et le fonctionnement de la SEGPA dans le collège.

Les élèves arrivant en 6e SEGPA ont pour beaucoup quitté l’école primaire avec des difficultés importantes et une image de soi dévalorisée en tant qu’élève. “Je suis nul”, “je ne comprends rien”, “je sais rien faire”. Une des priorités de la 6e est d’établir un bilan des connaissances des élèves et de les remettre en situation d’avoir envie d’apprendre. Il s’agit de restaurer une image positive d’eux-même et de leur faire connaître les possibilités de progrès, d’acquisition d’autonomie qui s’offrent à eux. Ce n’est qu’à partir de là que peut commencer un travail de construction d’un projet d’orientation et donc un projet d’élève. Certains de ces élèves de SEGPA pourraient être inclus dans des classes ordinaires dans certaines matières car leur niveau scolaire est très disparate en fonction des matières enseignées. Des enseignements sont d’ailleurs faits par des enseignants du secondaire (EPS, langues, arts, technologie…).

“ L’école doit être faite pour l’élève qui n’a que l’école pour apprendre. ”

Autre question posée par le ministère et la communauté éducative, le public visé. En raison du manque de places dans l’enseignement spécialisé, des élèves se retrouvent en SEGPA par défaut. D’autres en raison de difficultés scolaires “accumulées” sans difficultés cognitives avérées et de comportement en classe difficilement compatible avec un travail réel, dans des classes ordinaires à effectifs élevés. Enfin le fait que la plupart soient issus de milieux défavorisés interpelle sur l’ensemble de notre système éducatif. L’école doit être faite pour l’élève qui n’a que l’école pour apprendre. Or, les données sociologiques concernant les élèves de SEGPA démontrent que la difficulté scolaire est marquée socialement.

Il s’agit donc de se donner les moyens de détecter ces difficultés très tôt et d’offrir à ces élèves et aux familles des commissions d’orientation en capacité d’élaborer un projet pour l’élève qui réponde à ses besoins éducatifs.

La formation des enseignants, PE, PLP et PLC est aussi posée. Si les enseignants bénéficient dans leur service d’heures de réunion permettant la réflexion et le travail en équipe, la formation continue est réduite à la portion congrue. Or, ces postes nécessitent une formation professionnelle de qualité.

Enfin, toutes les filières de la voie professionnelle ne sont pas ouvertes aujourd’hui à ces élèves. Il s’agirait aussi de diversifier les possibilités de poursuites d’étude dans des champs professionnels qui leurs sont aujourd’hui fermés et qui pourtant sur le plan des contenus d’enseignement seraient accessibles à certains.

“ [Les SEGPA] jouent un rôle important dans le traitement de la grande difficulté scolaire et permettent à des élèves de poursuivre leur scolarité jusqu’à l’obtention d’un diplôme qualifiant et d’une
autonomie réelle dans la société d’aujourd’hui. ”

Une chose est certaine dans le contexte politique et budgétaire que nous connaissons. Si la communauté éducative et les parents d’élèves ne s’emparent pas du débat sur l’enseignement adapté, ses missions, il y a fort à parier que le gouvernement voit dans ces structures le moyen de réaliser des économies substantielles non pas au travers d’une disparition pure et simple, mais d’une diminution de la durée du cursus ou de l’élargissement des effectifs par classe, voire d’un changement de la nature de sa mission dans le collège. Or, elles jouent un rôle important dans le traitement de la grande difficulté scolaire et permettent à des élèves de poursuivre leur scolarité jusqu’à l’obtention d’un diplôme qualifiant et d’une autonomie réelle dans la société d’aujourd’hui. Ouvrir ce débat doit donc se faire en confortant les SEGPA dans leur mission qui se révèle aujourd’hui, dans la perspective d’une école pour la réussite de tous, d’une grande nécessité.

Sébastien Laborde
Réseau école du PCF,
Enseignant en SEGPA