Abécédaire critique de la “novlangue” dans le champ éducatif,  Élisabeth Bautier,  Numéro 20

Réussite

Terme difficile à définir alors même que son usage est fréquent, tant son usage ordinaire (réussir un examen), que statistique (le taux de réussite au bac), que son usage institutionnel particulièrement récurrent dans les dernières lois et textes de réforme de l’éducation et qui n’a fait que croître de 2013 à 2019. Ce qui importe est donc moins la référence au mot « réussite » que les contextes des textes où il apparaît. Ainsi, la référence à la notion de réussite bien qu’installée dans une dimension individuelle (la réussite de l’élève) se colore différemment selon les moments : dans la loi de 2013, elle est constamment accompagnée par le complément « pour tous les élèves » et par la référence aux inégalités sociales.

Tel est rarement le cas dans les textes, lois et rapports divers depuis 2018, où l’énoncé liminaire « la réussite pour tous » devient « donner à chacun les mêmes chances de réussir » dans laquelle la notion est utilisée de façon absolue et donc non définie (la réussite des élèves, mission territoire et réussite, aspiration et réussite, mener les élèves à la réussite…), ou qualifie étrangement l’école elle-même (École de la réussite, École qui réussit, une année sous le signe de la réussite…). On ne peut que souligner ainsi que les critères de réussite des élèves restent opaques, ce qui permet de penser qu’il s’agit de permettre à chacun SA réussite en fonction de ses objectifs et… de sa situation. Égalité des chances peut-être mais non de résultats.

L’omniprésence des dispositifs censés permettre cette réussite retient aussi l’attention comme réponse aux problèmes que l’institution elle-même soulève et le plus souvent crée. Certes, l’usage des dispositifs n’est pas récent, mais ils ont en commun d’éviter de penser la globalité du système éducatif au prisme des causes de ses dysfonctionnements, et de mettre en place et en œuvre une segmentation des cursus, différenciant ainsi les scolarités des élèves. Ils permettent encore au nom de l’action engagée (diminution du nombre d’élèves par classe, évaluations fréquentes…) de légitimer, voire de valoriser ce que ces dispositifs désignent comme une réponse à un problème, mais justement sans que le problème ait réellement été analysé. Il en est ainsi des raisons des difficultés socialement différenciées des élèves bien au-delà des premiers apprentissages de la lecture et qui relèvent de fait de l’École elle-même et de ses pratiques. Sans ces analyses, les dispositifs atteignent rarement leur objectif de réussite des élèves comme le montrent des expériences passées sur les parcours personnalisés ou les internats d’excellence. Ils participent en revanche de l’illusion de leur bien-fondé : comment s’élever contre ce qui est censé améliorer la scolarité des élèves par la prise en compte des « besoins » de chacun. Ces derniers sont de plus le plus souvent identifiés en termes de manques à combler sous couvert des résultats aux évaluations, non en termes de construction sociale des dispositions. Dès lors, c’est la mise en place des dispositifs qui relève de la réussite…, ces dispositifs qui permettent aux élèves de poursuivre une scolarité mais n’assurent pas pour autant pour tous les élèves les apprentissages nécessaires pour une scolarité longue. L’individualisation, la diversification des parcours de chacun renvoie ainsi à l’élève la responsabilité de sa réussite ou de ses difficultés et sous couvert de répondre à une sorte d’urgence sociale (Foucault, 2007), masquent les véritables enjeux de ce qui pourrait être une réussite de l’École : construire du commun dans des apprentissages collectifs et permettre à tous d’acquérir les savoirs.

Elisabeth Bautier
Université́ Paris 8
Laboratoire Circeft Escol

Ressource

ESCOL, Bautier, E., (dir), Apprendre à l’école. Apprendre l’école. Des risques de construction d’inégalités dès la maternelle, Chronique sociale, 2006.