Loyauté
Au terme d’obéissance, associée à l’idée d’une soumission contrainte à l’autorité, le discours managérial semble préférer désormais celui de loyauté. Ce serait par consentement que le subordonné mettrait en œuvre les injonctions faites par son supérieur. Ce consentement s’inscrirait dans l’obligation du fonctionnaire à se conformer à la volonté politique, selon le principe constitutionnel de l’article 20 qui énonce que le gouvernement dispose de l’administration. Il ne s’agit évidemment pas de remettre en question ce principe qui assure que les décisions d’action publique, notamment éducative, relèvent des représentants élus de la nation et non pas des volontés et des intérêts particuliers des agents de son administration.
Cette vision qui semble relever de l’évidence des choses fait l’économie de deux observations pourtant fondamentales.
Tout d’abord, celle d’un glissement qui fait désormais confondre la loyauté à la décision politique des représentants de la nation avec une loyauté au supérieur hiérarchique, comme si ce dernier constituait, systématiquement et par nature, l’incarnation de la volonté politique et avait tout pouvoir pour la traduire en prescriptions d’action. Cet habile mais pervers raccourci contribue à vouloir légitimer l’individualisation des relations hiérarchiques fondée sur le renoncement néo-managérial aux principes wébériens de l’impersonnalité du pouvoir dans la fonction publique. « L’école a besoin de chefs » résumait le ministre Luc Châtel.
Ensuite, celle d’une confusion entre la définition d’une politique éducative qui relève des représentants de la nation et l’organisation concrète de sa mise en œuvre qui doit reposer sur les savoirs et les qualités professionnelles des agents du service public d’éducation. À défaut de quoi, nous avait déjà averti Condorcet en 1792, l’Éducation nationale pourrait être instrumentalisée dans des perspectives idéologiques, instrumentalisation qu’une démocratie ne saurait tolérer. Un tel exercice abusif de l’autorité politique reviendrait à limiter les droits naturels des citoyens, c’est à dire justement ceux qui transcendent les volontés politiques particulières. C’est d’ailleurs pour nous garantir d’un tel abus que le fonctionnaire doit garder une indépendance qui est reconnue aux enseignants par le code de l’Éducation sous le terme de « liberté pédagogique ».
De l’écart entre cette abusive exigence institutionnelle et les choix de pratiques professionnelles que l’enseignant construit à partir d’un ensemble de compétences et de valeurs, naissent des « conflits de loyauté » dont on sait qu’ils constituent des risques psycho-sociaux et font naître bien des difficultés à assumer les tâches confiées. Nous sommes loin des nécessaires questionnements que peuvent faire naître la formation et l’analyse des pratiques en leur substituant un impératif prescriptif croissant dont on voudrait faire croire que la loyauté impose de s’y soumettre
Voilà donc un terme dont le libéralisme a insinué l’usage au prétexte du consentement mais avec l’intention d’un renforcement de l’injonction. Il fallait s’en douter avec un terme qui a souvent référé au lien féodal. La loyauté unissait seigneurs et paysans pour asservir ces derniers, au-delà de l’échange d’une protection contre des obligations, par une domination symbolique, économique et militaire. La loyauté « moderne » ne serait-elle que l’échange de l’obéissance contre la protection et les faveurs de l’institution ?
Paul Devin
Inspecteur de l’Éducation nationale,
Secrétaire général du SNPI-FSU,
Président de l’Institut de recherches de la FSU
Ressource
Calin, D., Explorations autour de la notion de loyauté, Enfances et Psy, 2012, n°56, p.26-34.