Abécédaire critique de la “novlangue” dans le champ éducatif,  Evelyne Bechtold-Rognon,  Numéro 20

Management

Joindre l’inutile au désagréable ?

La constitution d’une équipe pose la question de son pilotage, afin de réaliser au mieux la tâche en termes de qualité, voire de rapidité. A l’inverse, pour le management dominant c’est : « faire faire à autrui ce que l’on veut qu’il fasse ». Pas ce qui est utile ou pertinent.

Manager vient de l’anglais, et antérieurement d’un terme français du XVe siècle, « mesnager », « tenir en main les rênes d’un cheval ».

L’obéissance est le but et non le moyen dans ce type de management. J. Bentham en 1797 conçoit un habitat pour les classes défavorisées[1]Bentham, J., Outline of a work entitled pauper management improved, in John Bowling, The works of Jeremy Bentham, Londres, William Tait, 1843., où « toutes les activités devraient être dirigées » et « aucune fraction de temps ne devrait être tournée exclusivement vers le seul objectif du confort ou du loisir ». Si un gain pécuniaire est attendu, est visé avant tout, le contrôle. Comment faire pour que d’innombrables salarié.es et agent.es de la fonction publique qui le vivent aujourd’hui soient de plus en plus obéissant.es, de moins en moins contestataires ? Les épuiser par un travail intense et surtout dénué de sens. Le management est moins une pratique de production visant la rentabilité qu’une pratique d’assujettissement visant la docilité.

Friedrich Nietzsche (1881) : « Au fond, on sent aujourd’hui, à la vue du travail — on vise toujours sous ce nom le dur labeur du matin au soir —, qu’un tel travail constitue la meilleure des polices, qu’il tient chacun en bride et s’entend à entraver puissamment le développement de la raison, des désirs, du goût de l’indépendance. »[2]Nietzsche F., Aurore, Livre 3, § 173

« (…) Veillez à exiger toujours trop de votre personnel. Créez un maximum de compétition. Tout le monde doit réaliser que seul le plus habile survivra. (…) Cherchez constamment des gens à blâmer »[3]Kruse. P, Verlag G., Erfolgreiches Management von Instabilität. Veränderung durch Vernetzung..

En 2006, avec la privatisation de France Télécom, un cinquième des effectifs est liquidé en trois ans. Parallèlement, pour garantir le succès de ses objectifs, la direction finance en 2005 une école de management, dont l’un des cursus du nom du plan social, NExT enseigne par des jeux de rôle à « se mettre en situation de convaincre quelqu’un qui ne veut pas partir ». Tous les coups sont permis : objectifs irréalisables, déménagement des services entiers sans prévenir, disparation des chaises de bureau….

« Briser les repères, bousculer les habitudes, c’est éviter que ne se reforment les collectifs avec leurs pouvoirs de contestation, c’est maintenir les salariés dans un état d’insécurité, les contraindre à travailler en permanence au maximum de leurs possibilités » analyse Danièle Linhart[4]Beynel E. (dir), La raison des plus forts, Éditions de l’Atelier. 2020. Ce livre suit jour après jour le procès des dirigeants de France Télécom jusqu’à leur condamnation pour « harcèlement moral institutionnel » le 20 décembre 2019..

La force du management réside dans sa capacité d’isoler, faire croire qu’on est responsable de ce qui arrive. Maintenir ou reconstituer un collectif est la seule façon de le vaincre. Le salarié doit voir un médecin qui voit la dégradation de l’état de santé, prévenir l’inspecteur du travail, s’informer[5]www.souffrance-et-travail.com. Et rappeler le droit pour dévoiler ce que le jargon dissimule : l’article L 230-2 du Code du Travail précise que tout employeur doit mettre en place : « les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. »

Evelyne Bechtold-Rognon
IA-IPR de philosophie

Ressource

Bechtold-Rognon, E., Pourquoi joindre l’inutile au désagréable ? En finir avec le nouveau management public, Edition IRFSU/L’Atelier, 2018.

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