Entretien avec Pierre Laurent | Le projet communiste
Pierre Laurent est Secrétaire National du Parti communiste français (PCF).
Carnets rouges : Quelle est la place de l’éducation dans le projet communiste ?
Pierre Laurent : Elle est centrale. Elle est au coeur de notre projet d’émancipation individuelle et collective. Aujourd’hui l’école est un lieu de contrastes où les inégalités sont à la fois battues en brèche et entretenues. L’école porte toujours le projet républicain d’émancipation et d’égalité d’accès aux savoirs. En même temps, elle prolonge les inégalités sociales existantes dans la société et ne parvient pas à répondre à l’exclusion sociale. Pourtant l’école est un lieu où se jouent prioritairement les enjeux de transformation sociale. Pour notre part, nous voulons construire une école fondée sur la coopération et le partage. Nous voulons renforcer sa mission fondamentale de formation des futurs citoyens à l’heure où certains voudraient en faire l’antichambre du salariat. L’émancipation, la maîtrise de sa vie, passe inexorablement par l’éducation et l’appropriation des savoirs, l’acquisition de la capacité à participer aux décisions qui engagent le pays. Nous voulons l’école de l’égalité qui confère une place centrale à l’accès à des savoirs complexes et à un haut niveau de qualification par tous les enfants et à la construction d’une culture commune ambitieuse.
CR : C’est la troisième rentrée scolaire du président Hollande : quelle analyse faites-vous des politiques éducatives menées par les gouvernements socialistes successifs ? Peut-on parler de rupture avec les politiques antérieures ? La « priorité à l’éducation », est-ce une bonne chose ?
PL : Le début du quinquennat a représenté une rupture nette avec « les années Sarkozy ». Le retour sur les suppressions de postes, les marques de respect pour les personnels, l’annonce d’une priorité pour l’éducation et la jeunesse allaient dans le bon sens. Malheureusement, très vite, les bonnes intentions se sont heurtées aux dogmes budgétaires et à l’austérité. Il n’y a pas eu de changement net, et la priorité donnée à l’éducation cautionne in fine une mise en concurrence des services publics entre eux. Or, l’école ne peut pas lutter contre les inégalités si autour, les autres services publics sont sacrifiés. Parallèlement, le gouvernement perpétue la dynamique de « territorialisation » de l’école qui petit à petit fragilise le cadre national de l’Education. C’est toute la logique de la réforme des rythmes scolaires et des projets éducatifs territoriaux. Nous nous opposons fermement à cette logique. Dans cette bataille nous avons gagné des points d’appui. Les sénateurs communistes ont par exemple obtenu l’inscription du « tous capables » dans la loi. Grâce à l’action des syndicats, la réécriture du socle commun s’oriente vers la transmission d’une culture émancipatrice et non de compétences isolées. A nous maintenant de nous servir de ces avancées pour faire vivre notre projet.
CR : La réforme des rythmes scolaires entre en vigueur à l’occasion de cette rentrée 2014. Elle suscite de vifs débats et des difficultés d’application. Quelle est la position du PCF sur cette question ?
PL : Sur le principe, nous n’étions pas opposés à une réflexion sur les rythmes scolaires et les « temps » de l’enfant. Celle-ci, si elle avait été bien menée, aurait pu aboutir à une amélioration des conditions d’apprentissage. Or, tel n’est pas le cas. Et ce qui est aujourd’hui mis en application est davantage un projet de territorialisation de l’enseignement qu’une réelle réforme des rythmes. Dans les faits, nous allons assister à un creusement des inégalités entre les communes « riches » et celles moins dotées, alimenté par un contraste marqué sur les contenus proposés. Ceci ne peut malheureusement que s’aggraver avec la réduction drastique des dotations aux collectivités territoriales imposée par l’austérité budgétaire. A l’opposé de cette réforme, nous proposons pour notre part, la mise en place d’un grand service national du loisir éducatif qui permettrait d’assurer l’égalité des savoirs sur tout le territoire national.
CR : Aujourd’hui, le débat politique porte surtout sur la question des moyens : à gauche, de plus en plus de voix s’élèvent pour critiquer la politique d’austérité et demander un changement de cap. Plus de moyens pour l’école, est-ce la solution ?
PL : Il y a besoin de moyens nouveaux. L’éducation nationale a beaucoup souffert des suppressions de postes et d’heures d’enseignements imposées, des transferts de dépenses vers les collectivités locales et les familles, tout ça au profit d’un marché privé de l’éducation qui n’a cessé de prospérer. L’Etat doit assurer sa mission de service public. Il ne s’agit pas d’augmenter les « dépenses » d’éducation mais bien d’engager des investissements d’avenir pour notre pays. Assurer la gratuité de l’éducation, créer des postes, revaloriser les salaires des enseignants, baisser les effectifs, assurer la qualité d’enseignement sont autant d’objectifs de développement pour notre pays.
J’ajoute une idée essentielle, la crise de l’école n’est pas qu’une question de moyens. Il nous faut absolument agir sur les contenus et les pratiques d’enseignement en pensant l’école comme lieu prioritaire de réussite et d’accès aux savoirs.
CR : Mais les contenus et les pratiques, est-ce vraiment une question politique ?
PL : Bien sûr ! Cela ne veut pas dire qu’un parti va décider quels sont les contenus légitimes ou dire aux enseignants comment ils doivent enseigner. Mais le politique doit fixer des objectifs : la réussite de tous, la construction d’une culture commune de haut niveau. Et il doit donner les moyens à l’école de les atteindre, en développant la recherche pédagogique, en formant les personnels, en leur donnant le temps de réfléchir à ce qu’ils font et de faire évoluer leurs pratiques et en leur faisant confiance. Or nous assistons actuellement à un phénomène inverse. L’exemple de la formation des maîtres est en ce sens très significatif : une succession de réformes pour aboutir à une formation bricolée, variable selon les académies. De jeunes enseignants entrent dans le métier complètement surchargés : trop d’heures d’enseignement, une formation à suivre et un concours à préparer… En conséquence de quoi, de moins en moins de jeunes se présentent aux concours, en particulier dans les académies dites « difficiles ». Ce cercle vicieux entretient de grosses inégalités entre les territoires. Pour répondre à ce défi, nous proposons d’instaurer un pré-recrutement qui permettrait une entrée progressive dans le métier, l’association entre formation disciplinaire, pédagogique et professionnelle sans mise en concurrence, la construction d’une culture du métier… Bien sûr, cela revient in fine à la question des moyens !
CR : Cet objectif d’une « école de l’égalité » ou d’une « école de la réussite de tous », le PCF n’est pas seul à le porter. Lorsque la droite était au pouvoir, de nombreux acteurs de l’éducation se sont battus contre sa politique : ils portaient des propositions qui semblent converger avec les vôtres. Qu’est devenu ce mouvement aujourd’hui ? Peut-on envisager un rassemblement pour imposer une autre politique pour l’école ? Quels en seraient les contours ? Quel rôle le PCF peut-il jouer dans ce rassemblement ?
PL : Il y a dans le pays de nombreuses forces vives prêtes à agir pour l’éducation. Bien sûr, la multiplication des réformes, les attaques continues contre les enseignants et contre le cadre national de l’éducation, les promesses non tenues, ont nourri un sentiment de résignation. Je ne sous-estime pas non plus la méfiance grandissante, plus ou moins fondée, d’ailleurs, de certains parents face à une école qui peine à endiguer l’exclusion. Pour autant, l’attachement à l’école, à la qualité de l’enseignement et plus généralement à un grand service public de l’enseignement est encore très prégnant et structurant dans notre pays. C’est sur cela qu’il nous faut nous appuyer pour mener collectivement la bataille pour l’école et faire entendre un autre projet et d’autres solutions. Cela doit se faire en associant l’ensemble des personnels et des familles. Certes, la résignation et le désarroi sont grands face à la voie choisie par le Président et le Premier Ministre. En même temps de nombreuses forces émergent pour s’opposer à cette dérive. Construire une alternative à gauche avec toutes celles et ceux qui ne se retrouvent pas dans la politique du gouvernement et qui veulent tracer une autre voie pour notre pays est devenue une priorité. Cette alternative ne peut naître et grandir que sur des solutions et des propositions dont il est clair que l’éducation sera l’un des piliers. C’est ce à quoi s’engage le PCF en cette rentrée 2014.