Numéro 9,  Paul Devin,  Quel service public pour l'éducation ?

Édito | Quel service public pour l’éducation ?

La violence avec laquelle les néo-libéraux fustigent la fonction publique connaît une véhémence particulière depuis que leurs discours proclament la réduction de la dette de l’État comme une condition essentielle de l’amélioration de la situation économique et sociale. Une réduction budgétaire deviendrait incontournable et, pour mieux en convaincre les électeurs, il faut les persuader que la fonction publique est un système coûteux, archaïque et protégeant davantage les intérêts des fonctionnaires que ceux des usagers. Un tel discours a pour ambition de fragiliser ce qui est pourtant l’évidence même de la fonction publique : la garantie que l’action publique soit assurée dans une perspective qui conçoit l’intérêt général non pas comme la somme des intérêts particuliers mais dans l’exercice des valeurs démocratiques fondées par les principes républicains et tout particulièrement celui de l’égalité. L’enjeu de la fonction publique ne peut donc se circonscrire dans le seul examen pragmatique du service rendu aux usagers, si nécessaire soit-il. La recherche d’une rationalisation économique se résumant à la diminution des coûts prend en effet le risque d’éloigner les services publics de leur fondement majeur de construction de l’égalité sociale.

La longue et complexe histoire du service public devrait suffire à renoncer à la représentation pourtant courante qu’il serait tout d’abord un système d’avantages particuliers pour ses agents. Qu’une conquête progressive ait amélioré les conditions de rémunération et de travail des fonctionnaires ne peut se confondre avec une image caricaturale de privilèges. La lente construction du statut a tout d’abord obéi à des motivations d’amélioration du service public par la professionnalisation et par la recherche d’un équilibre entre droits et obligations qui soit de nature à garantir l’intérêt général. Quant à l’image d’un système archaïque qu’aucune volonté politique ne pourrait réformer, elle ne résiste pas non plus à la réalité de l’histoire de la fonction publique qui a été l’objet de réformes fréquentes et de transformations continues tant de l’organisation des services que des conceptions des cultures professionnelles de leurs agents.

L’éducation tient une place particulière dans ces débats sur la fonction publique. Tout d’abord par son importance quantitative qu’il s’agisse du nombre de fonctionnaires ou du nombre d’usagers concernés. Mais aussi du fait de ses enjeux : nul doute en effet que, dans ce domaine, l’action publique soit déterminante de l’avenir de notre société. Les évolutions libérales qui ont caractérisé bien des systèmes éducatifs dans d’autres pays devraient, par leurs effets, renforcer nos oppositions à la libéralisation des services publics d’éducation. Nulle part n’apparaît l’évidence d’un progrès et tout particulièrement quant à la démocratisation de l’accès aux savoirs quand bien même le discours libéral prétend mener une politique de réussite scolaire. Là encore la simplification outrancière des idées voudrait nous faire croire qu’il ne peut y avoir d’alternative entre la libéralisation et l’immobilisme et que, refuser la libéralisation de l’école et la marchandisation des savoirs reviendrait à se contenter d’un système qui reste insuffisamment capable de lutter contre les inégalités. Le constat d’une évolution nécessaire est impératif mais il ne peut se confondre avec le prétexte d’une remise en question des principes qui fondent le service public d’éducation.

La modernisation du service public est inscrite dans le principe de sa continuité qui nécessite une adaptation aux besoins, aux progrès techniques, aux évolutions culturelles. Mais cette modernisation doit rester dépendante de la garantie de l’intérêt général. Elle doit se méfier d’un contexte politique et économique où d’autres enjeux motivent les réformes. Les fantasmes de la modernité sont souvent produits par les intérêts particuliers des marchés. Penser un service public pour le XXIème siècle ne peut confondre avec un enthousiasme naïf qui prêche les vertus de l’autonomie, le renoncement aux statuts, la gouvernance managériale ou la déréglementation. Qui en effet pourrait croire que l’augmentation du recours à des contractuels précaires et peu formés serait de nature à rendre l’école davantage capable de démocratiser les savoirs ? Qui pourrait croire qu’on puisse améliorer l’école en détériorant les conditions de travail des agents, en réduisant la mixité sociale des établissements scolaires, en favorisant la concurrence entre les collèges ou les lycées au prétexte de leur autonomie, en restreignant la formation initiale et continue des agents, en laissant augmenter la taille des classes, … ?

Penser le service public du XXIème siècle, c’est accepter d’en penser la complexité plutôt que de nourrir les mythes d’un miracle libéral qui tente de nous faire croire que les lois du marché seraient de nature à mieux répondre aux enjeux de démocratisation de l’école. Ce miracle n’est nulle part advenu dans les pays qui ont privatisé leurs écoles. Les évolutions récentes du service public français qui ont ouvert la brèche de sa libéralisation sont loin d’avoir été capables des améliorations promises. Nous devons y opposer la richesse de ce bien commun qu’est le service public. Il se fonde sur la compétence de ses agents et sur leur détermination à contribuer par leur action quotidienne à garantir l’intérêt général. Il est l’instrument de la volonté d’une démocratie à rendre réels ses idéaux de liberté, d’égalité et de fraternité. Ce bien commun est précieux. Ensemble nous devons de défendre.

Paul Devin