Christine Passerieux,  Enseigner : quel travail ?,  Numéro 7,  Patrick Singéry

Édito | Enseigner : quel travail ?

Pour faire son métier, encore faut-il pouvoir le reconnaître et s’y reconnaître. Et donc poser la question du travail dans ce qu’il dit de l’humanité, des liens qui tissent les relations entre les hommes. Le travail, parce qu’il ne se résume pas à l’emploi, est au cœur de l’activité humaine, il est l’espace possible d’expression et de réalisation de l’intelligence individuelle et collective. Il est le terrain d’émergence de la coopération, de la solidarité et de la démocratie comme le montre le magnifique film de Françoise Davisse, « Comme des lions ».

C’est cette dimension fondamentalement émancipatrice du travail qui est menacée, notamment par la tentative de passage en force du gouvernement pour en casser le Code. Et c’est sans doute l’importance des conséquences politiques et anthropologiques de cette menace qui explique les formes multiples que prend l’opposition à cette loi.

Le libéralisme met tout en œuvre pour créer un rapport aliéné et dominé au travail : contrôles permanents ; fragmentation des tâches, mobilité forcée aboutissant à une précarisation des emplois ; risque insupportable et parfois mortel du chômage. A cela s’ajoutent des rapports hiérarchiques souvent violents, des salaires qui marquent la négation des capacités et de l’utilité sociale de chacun…

Le monde enseignant n’échappe pas à cette logique, assommé d’injonctions contradictoires, de moins en moins formé, confronté à la paupérisation de nombre d’élèves de plus en plus ghettoïsés et dépossédés de leur droit à s’investir dans l’univers scolaire. Il exprime de plus en plus ses difficultés à identifier le sens de son travail et également la volonté de les dépasser comme l’illustre le collectif métier mis en place par le Cnam et le Snes

Il n’y a donc pas de fatalités : les luttes des ouvriers d’Aulnay (PSA) comme ceux de Gémenos (Fralib), même si elles n’ont pas eu la même issue, montrent combien reprendre la main sur ce qui engage chacun de nous au plus intime permet de relever la tête, de ne plus subir, de s’émanciper d’un discours dominant selon lequel il faudrait s’adapter à la « modernité », c’est-à-dire au marché.

A l’école aussi, refuser de se soumettre, partir du réel du métier, c’est se trouver en position de force individuelle et collective pour redonner sens au travail en créant les conditions d’une appropriation réellement démocratique du savoir et des pouvoirs qu’il donne à chacun.

Cela n’est possible que si les professionnels en sont non seulement les acteurs mais les concepteurs.

Christine Passerieux et Patrick Singéry