Des pré-recrutements pour une formation de qualité
Longtemps niée, la crise du recrutement est pourtant bien réelle et durable. Mais loin de la combattre, nos gouvernements entretiennent cette crise en proposant des bricolages qui dégradent l’ensemble du service public d’éducation. Des pistes alternatives existent, notamment celles des pré-recrutements. Encore faut-il bien définir le concept.
La crise de recrutement est durable et mondiale.
Dans le second degré, les déficits se cumulent depuis des années en maths, lettres, anglais et les disciplines technologiques. Après 13,9 % en 2016, c’est encore 14,3 % des postes qui n’ont pu donner lieu à recrutement en 2017 (données MEN). Dans le 1er degré, 600 postes n’ont pas pu être pourvus en 2017, autant qu’en 2016, au total près de 3000 postes depuis 2013. Les concours étant académiques, ce sont essentiellement les académies de Versailles et de Créteil (malgré un concours supplémentaire), mais aussi la Guyane et Amiens qui peinent à recruter, alors même que ces territoires concentrent un nombre important d’établissements d’éducation prioritaire. C’est ainsi que les postes prévus sous le gouvernement Hollande ont été perdus, malgré une augmentation du nombre de candidat.e.s liée à l’augmentation du nombre de postes au concours. Il a fallu, dans les deux cas, faire appel à un plus grand nombre de contractuels qui doivent enseigner sans formation.
“ Le système libéral, d’un côté redouble d’exigences professionnelles envers les
enseignants et de l’autre dégrade leurs conditions matérielles et symboliques d’exercice du métier. ”
Cette crise ne concerne pas que la France. Tous les pays sont touchés par la pénurie d’enseignant dès lors qu’ils souhaitent élever le niveau scolaire de la population. Les causes de la crise sont connues. En premier lieu, une rémunération insuffisante (par rapport au privé, à qualification égale), des conditions d’entrée et d’exercice du métier difficiles. Le dossier de la Revue internationale d’éducation de Sèvres de juin 2017[1]N°74, Les enseignants débutants, Coordination P.Rayou et JP Veran, En ligne : http://www.ciep.fr/revue-internationale-deducation-sevres/les-enseignants-debutants, met en évidence que dans d’autres pays, le problème n’est plus seulement d’attirer les enseignants mais de les garder. C’est ainsi qu’aux Etats Unis ou en Angleterre, 30 à 50% des nouveaux enseignants démissionnent ! F. Lefresne et R. Rakocevic constatent que ce phénomène de décrochage professionnel est directement en lien avec le New Management Public qui transforme l’élève en client, au sein du « grand marché de la connaissance » (autonomie locale, individualisation des carrières, responsabilisation accrue, privatisation de la gestion des écoles publiques, éclatement du statut de fonctionnaire…). Autrement dit, le système libéral, d’un côté redouble d’exigences professionnelles envers les enseignants et de l’autre dégrade leurs conditions matérielles et symboliques d’exercice du métier. D’où le paradoxe : la pression sur les enseignants les éloigne du métier, la pénurie nécessite alors de recruter des personnels moins formés, et aboutit à une déprofessionnalisation progressive du métier ! Les chercheurs soulignent l’importance cruciale de l’accompagnement dans l’établissement scolaire et l’enjeu politique de la formation et du développement professionnel des enseignants.
Une formation rémunérée pour contrecarrer la crise
Comparativement, la France est plutôt moins touchée que les autres pays, sans doute parce que les enseignants sont fonctionnaires et que le milieu enseignant a mieux résisté jusqu’à présent au New Management Public, mais en ce qui concerne la déprofessionnalisation, de nombreux symptômes sont alarmants. La formation initiale, depuis la mastérisation jusqu’à la mise en place des ESPE, n’a pas été rétablie (réduction de 40% de horaires de master en 10 ans[2]Voir l’enquête dans la lettre FDE du SNESUP, mars 2017. En ligne : http://snesup.fr/article/la-lettre-fde-mars-2017) et les stagiaires sont toujours considérés comme moyens d’enseignement à mi-temps dans un établissement. La formation continue est exsangue et totalement inféodée à l’institution, la recherche en éducation manque cruellement de moyens.
“ La formation continue est exsangue et totalement inféodée à l’institution, la recherche en éducation manque cruellement de moyens. ”
Pour faire face à la crise du recrutement, tout en permettant aux étudiants d’étudier dans de bonnes conditions, la FSU demande depuis plusieurs années des pré-recrutements qui permettraient à la fois d’attirer des étudiants vers le métier en finançant leurs études et de les former à un haut niveau de connaissances et compétences disciplinaires, didactiques pédagogiques en lien avec la recherche, de la licence jusqu’au master. Ces pré-recrutements ont existé par le passé (les IPES, les cycles préparatoires). Ils existent toujours notamment pour entrer à l’Ecole normale supérieure : être reçu au concours de l’ENS donne droit à une rémunération pendant 4 ans, à un statut d’élève-fonctionnaire-stagiaire et ouvre les droits à la retraite, sans aucune contrepartie autre que celle de réussir ses études, le concours de recrutement et servir ensuite l’Etat plusieurs années.
Pourquoi ce qui est possible pour « l’élite de la nation » ne serait-il pas possible pour tous les étudiants se destinant au métier d’enseignant ? Si on veut réduire la crise de recrutement tout assurant une professionnalisation de haut-niveau pour réussir l’enjeu de démocratisation, il faut y mettre les moyens ! Et avant d’affirmer que cela coûte cher, comparer le coût des pré-recrutements avec le coût de la crise du système scolaire (décrochages scolaires, sorties sans qualification, échecs répétés d’étudiants mal préparés au concours…).
“ Si l’on veut attirer des étudiants de milieux populaires, il faut organiser ces pré-recrutements très tôt, dès le début de la licence, pour éviter que de nombreux jeunes s’autocensurent pour des raisons financières
ou culturelles. ”
Par ailleurs, si l’on veut attirer des étudiants de milieux populaires, il faut organiser ces pré-recrutements très tôt, dès le début de la licence, pour éviter que de nombreux jeunes s’autocensurent pour des raisons financières ou culturelles. Sachant que de nombreux étudiants choisissent le métier d’enseignant plus tard, il faut organiser aussi des pré-recrutements à différents étages pour permettre à tous ceux qui le souhaitent d’être prérecrutés pour étudier, y compris les personnes en reconversion, déjà diplômées.
La précarité imposée en guise de pré-recrutement
Effet de communication, le terme de « pré-recrutement » a été repris par tous les gouvernements, depuis V. Peillon jusqu’à J-M. Blanquer, mais chaque fois pour le détourner de la revendication première, et aboutir au final à une déprofessionnalisation. Ce fut d’abord les Emplois d’avenir professeurs (EAP1) puis, devant l’échec du dispositif, les Etudiants Apprentis professeurs (EAP2). Entre temps, mise en place de masters 1 en alternance dans les académies déficitaires, de contrats en alternance pour les chômeurs désirant passer les concours et possibilité pour les Assistants d’Education de devenir contractuels enseignants dès que l’établissement en a besoin, dès lors qu’ils ont un diplôme Bac+2. Dans la lignée, Macron a déjà annoncé qu’il étendra la « formation en alternance » dès la licence ! Tous ces dispositifs ont un point commun : ce ne sont pas des pré-recrutements ! Parce que tout simplement les étudiants autofinancent leurs études par leur propre travail (2 demi-journées de travail en classe pour un EAP2, un mi-temps d’enseignement pour un M1 alternant). Or ce travail les empêche d’être assidus et leur formation est sacrifiée. De plus, ces dispositifs ont servi de paravent pour supprimer certaines aides sociales et bourses spécifiques ! Dans la continuité, il y a fort à parier qu’à très court terme, la mise en place d’un service civique obligatoire pour tous les étudiants en fasse un passage obligé pour devenir enseignant, les universités devant d’ores et déjà valider automatiquement des « crédits » ECTS à tous les services civiques. C’est maintenant « l’engagement » qui devient équivalent et substitut à une formation universitaire !
Au passage, cette généralisation de la précarité avant de pouvoir devenir enseignant-titulaire est une aubaine pour les officines privées comme Teach For France[3]Voir les travaux de Maud Simonet, sociologue au CNRS : « Teach for America… et contre le syndicat ? », Politique américaine, vol. 20, no. 2, 2012, pp. 89-102. En ligne : http://www.cairn.info/revue-politique-americaine-2012-2-page-89.htm ; ou encore Le travail bénévole, engagement citoyen ou travail gratuit ? La Dispute, 2010. ou Synlab qui proposent de la formation[4]Voir « La Formation des enseignants confiée en douce au privé », L’Humanité, le 9 août 2016. En ligne : https://www.humanite.fr/la-formation-des-enseignants-confiee-en-douce-au-prive-613355 de contractuels ou du tutorat de jeunes enseignants. Cette privatisation de la formation se fait évidemment avec la bénédiction silencieuse de nos gouvernants. On le voit, la crise du recrutement n’est pas une crise pour tout le monde et certains n’ont aucun intérêt à la résorber !
Des pré-recrutements pour garantir une formation de haut-niveau
Les dispositifs cités plus haut sont pilotés par le choix de diminuer les dépenses publiques, mais pas seulement. Ils reposent sur l’idée que le métier ne s’apprend pas… ou uniquement « sur le tas » et par compagnonnage. Cette idée est tenace. On se souvient de la réforme de la mastérisation où les étudiant-es se retrouvaient devant les élèves avec uniquement un bagage disciplinaire, aujourd’hui, ils-elles n’ont même plus parfois de connaissances disciplinaires suffisantes.
Derrière l’idée de pré-recrutement, tels que nous le revendiquons, il y a une autre conception de la formation, et notamment une formation qui intègre tout au long du cursus les connaissances disciplinaires, didactiques, professionnelles ainsi qu’un travail d’analyse de pratiques. Actuellement, la formation des enseignants reste compartimentée, avec d’abord une formation disciplinaire, de plus en plus light d’ailleurs, et ensuite une formation professionnelle, sans que l’étudiant puisse toujours faire le lien entre les deux. Organiser des pré-recrutements dès la licence permettrait de développer la préprofessionnalisation très tôt, de la rendre obligatoire pour les prérecrutés et d’assurer ainsi une formation qui s’étale réellement sur 6 ans, depuis la L1 jusqu’à l’entrée dans le métier après le master. A ce niveau, la préprofessionnalisation ne se limite pas à des stages d’immersion ou des informations sur le système éducatif, elle doit permettre de mettre l’accent sur l’histoire de la discipline, l’épistémologie, la didactique, et aussi l’histoire de l’éducation et du service public. Permettre de convoquer d’autres champs universitaires pour éclairer les problématiques disciplinaires (sociologie, psychologie, …). L’étudiant doit pouvoir s’interroger sur son propre rapport au savoir, sur la façon dont il a appris ou apprend encore dans la discipline… autant d’éléments indispensables pour un futur enseignant. Les stages doivent permettre de prendre contact avec la classe, mais aussi d’expérimenter des situations d’enseignement de manière très encadrée. La préprofessionnalisation peut également donner lieu à des enseignements spécifiques (ex : du rattrapage de maths, de français pour les futurs profs d’écoles), des pratiques personnelles ou associatives (EPS, théâtre… ), ou des actions d’animation qui font l’objet de réflexion et de théorisation. Le lien avec la recherche pourrait être renforcé en permettant à des équipes de chercheurs et d’étudiants d’expérimenter, recueillir des données, etc, en lien avec les équipes d’enseignants dans les établissements.
Conclusion
Bien entendu, nous l’avons dit, les pré-recrutements à eux seuls ne résoudront pas la crise. D’autres éléments sont déterminants, comme le salaire, la carrière et les conditions de travail, ainsi que le partage d’une conception de l’éducation liée à un projet de société. Mais des pré-recrutements tels que nous les avons définis seraient un moyen puissant de redonner de l’attrait au métier. D’abord en offrant aux jeunes issus des milieux défavorisés la possibilité de faire des études longues et coûteuses dans des conditions satisfaisantes. En redonnant ensuite une image de la formation, exigeante. Le contraire d’une accumulation de « petits boulots », donc de petites expériences, en milieu scolaire. Enfin en offrant un statut, celui de d’élève-professeur, qui ne devrait pas être réservé à la formation de l’élite. Redonner envie de devenir enseignant passe par une démocratisation de l’accès à la formation. Mais cela nécessite dans le même temps une élévation de la qualité de cette formation qui, pilotée par les politiques d’austérité, s’est considérablement dégradée.
Claire Pontais
Formatrice
Responsable nationale au SNEP-FSU
Notes[+]
↑1 | N°74, Les enseignants débutants, Coordination P.Rayou et JP Veran, En ligne : http://www.ciep.fr/revue-internationale-deducation-sevres/les-enseignants-debutants |
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↑2 | Voir l’enquête dans la lettre FDE du SNESUP, mars 2017. En ligne : http://snesup.fr/article/la-lettre-fde-mars-2017 |
↑3 | Voir les travaux de Maud Simonet, sociologue au CNRS : « Teach for America… et contre le syndicat ? », Politique américaine, vol. 20, no. 2, 2012, pp. 89-102. En ligne : http://www.cairn.info/revue-politique-americaine-2012-2-page-89.htm ; ou encore Le travail bénévole, engagement citoyen ou travail gratuit ? La Dispute, 2010. |
↑4 | Voir « La Formation des enseignants confiée en douce au privé », L’Humanité, le 9 août 2016. En ligne : https://www.humanite.fr/la-formation-des-enseignants-confiee-en-douce-au-prive-613355 |
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