Démocratisation et formation des enseignants en Amérique Latine Accès à l’éducation et persistances d’inégalités scolaires
La question de la démocratisation, définie comme l’accès à la culture scolaire des catégories sociales les plus éloignées de celle-ci et la lutte contre l’échec scolaire, même si le terme n’apparaît pas en tant que tel, se retrouve aujourd’hui dans les préoccupations de nombre de pays d’Amérique Latine.
Pour autant la question n’est pas traitée de la même manière car à la fois l’histoire de l’éducation (place du public et du privé), les choix politiques antérieurs et plus récents notamment en termes d’investissements éducatifs, l’adhésion ou non aux choix de l’OCDE, à un cadre de référence néolibéral, ne dessinent pas les mêmes priorités, les mêmes propositions quant à la formation des enseignants.
Dans cet article nous nous concentrerons sur l’évolution de la formation des maîtres dans quelques pays : Brésil, Argentine, Chili et Venezuela, pour lesquels nous avons des données fiables (universitaires, syndicales, retour d’expériences) sans pour autant chercher à dessiner un modèle idéal mais plutôt à dégager quelques traits pour une compréhension de la diversité actuelle des modes de formation des enseignants.
Le premier constat est à la fois une amélioration de l’accès à l’éducation pour certaines catégories sociales très éloignées des centres urbains ou des villes, mais des inégalités scolaires qui demeurent et restent parfois extrêmement fortes.
Certains pays tels que le Brésil dans la période récente ou le Venezuela depuis la période Chavez ont souhaité mettre la priorité sur l’alphabétisation de toute la population en créant des écoles partout y compris dans les provinces les plus reculées comme en Amazonie. Pour autant l’accès de tous au même enseignement de qualité n’est pas atteint et l’accès au collège et lycée reste problématique.
Des écoles partout, formation des enseignants marginale : l’exemple du Venezuela.
Deux types de populations ont été favorisés dans l’accès à l’école et à l’alphabétisation sans que pour autant le mouvement enclenché ait permis de réduire les inégalités scolaires. Les inégalités sociales criantes ont conduit Hugo Chavez au pouvoir. Celui-ci a redistribué la manne pétrolière dans les quartiers populaires en favorisant un système d’écoles publiques dotées d’enseignants recrutés et formés très vite, par milliers. Le pays a ainsi été maillé d’écoles. Cependant le système a des failles.
Le système privé/payant est très important dans ce pays et les écoles publiques ne sont ni les mieux loties ni de meilleure qualité. Ainsi les couches les plus défavorisées ont plus souvent accès à l’école mais une école qui n’a pas toujours les enseignants formés ni les matériels nécessaires à un fonctionnement au moins à égalité avec les écoles privées les moins dotées. La mauvaise réputation des écoles publiques s’en trouve accrue.
La formation des enseignants s’est faite rapidement et reste très insuffisante du point de vue pédagogique. Mal payés ils doivent souvent avoir un autre travail.
Cependant un des grands succès de cette dernière période a été l’alphabétisation des populations indigènes.
L’importance accordée à l’alphabétisation des populations indigènes et au respect de leur culture a conduit à une amélioration certaine des niveaux d’alphabétisation. Les meilleurs élèves formés dans des collèges, lycées, instituts de formation dans le meilleur des cas sont revenus enseigner dans leur propre village. Le taux de retour est très élevé dans les populations les plus reculées, comme les Piraoas et les Yanomamis, populations vivant le long du fleuve Orénoque.
La communauté Piraoa dispose d’écoles en dur dans chaque village, et d’un collège qui héberge la semaine les élèves filles et garçons. En primaire, le maître est un habitant d’un village qui a fait des études en collège et en lycée financées par une bourse et par la communauté. Il enseigne à la fois en langue indigène et en espagnol.
Le même principe prévaut pour les Yanomamis mais les difficultés sont beaucoup plus importantes, les communautés étant très peu intégrées au système économique et culturel traditionnel. Seuls les garçons les plus en réussite sont aidés au collège et reviennent enseigner sans parfois parler espagnol. Les règles de vie étant très éloignées de la culture scolaire transmise, très peu d’enfants vont réellement à l’école, les filles moins que les garçons tant elles sont absorbées par les travaux de champs et domestiques.
Le cas du Brésil : une offre scolaire qui permet à tous les enfants d’être scolarisés mais le niveau est très inégal
L’accès de tous les enfants à l’école a été une des priorités du gouvernement de Lula mais les résultats de cette massification n’a pas produit les résultats attendus. L’échec scolaire dans le secteur public demeure important, le faible niveau des acquis est un problème. Comme au Venezuela c’est le privé qui draine les meilleurs élèves, y compris les enfants d’enseignants du public.
Les différents ministères se sont inspirés du modèle des ZEP existant en France dans les années 90, en partant de l’élève et de ses acquisitions. En effet, beaucoup d’élèves redoublent, abandonnent lors d’un changement de cycle, notamment dans les zones pauvres du Nordeste.
Le syndicalisme enseignant très puissant revendique la formation des enseignants, organisant même des sessions de formation avec de grands mouvements pédagogiques lors des forums sociaux de Porto Alegre à la fin des années 90 et le début des années 2000. Les enseignants recrutés et formés en grand nombre ont vu, avec la massification, arriver de nouveaux élèves très éloignés de la culture scolaire. Eux-mêmes issus de milieux peu favorisés, ils ont été les premiers dans leur famille à acquérir un certain type de savoirs valorisés dans la culture scolaire. La complexification des objectifs, la faible maîtrise de certains contenus, de certains codes pédagogiques faute d’une formation suffisante dans ce contexte de bouleversement quantitatif et qualitatif du système éducatif, conduit ces « nouveaux enseignants », qui ne le seraient pas devenus dans un autre contexte social, à devoir faire réussir les élèves qui accèdent le plus difficilement à la culture écrite.L’échec important qui apparaît ne peut donc être uniquement traité du point de vue de l’accès physique à l’école.
La question de la formation est donc devenue cruciale. Depuis 2011 les enseignants du primaire doivent avoir un diplôme universitaire comme leurs collègues de collège et lycée. Cette exigence s’est doublée d’un discours sur la professionnalisation, sur la volonté de former des professionnels dotés d’une pratique réflexive.
L’offre de formation augmente dès la loi de 1996 de manière inégale dans le pays. La volonté d’instituer une formation diplômante a favorisé la création d’écoles de formation privée de qualité souvent insuffisante, dans le Nordeste où la carence était forte.
Ainsi, au Brésil, la massification de l’éducation a entrainé une massification de la formation des enseignants, elle-même très inégalitaire selon l’origine sociale et géographique des enseignants. Comment dans ces conditions les nouveaux enseignants très éloignés à l’origine de la culture écrite peuvent-ils aider les élèves les plus éloignés de l’école ? Car ce sont eux qui se trouvent face au défi de faire passer l’école de la massification à la démocratisation.
Au Chili : recherche de l’efficacité avec plus de contrôle de la formation et des enseignants
Le système de formation a été revu pour plus d’efficacité après les résultats PISA de 2009 mais c’est depuis 15 ans que le système de formation s’est inscrit dans le cadre du programme de l’OCDE « attirer, former et retenir des enseignants », l’objectif étant d’accroître l’efficacité du système au travers la formation des enseignants.
La qualité de la formation des enseignants est un sujet de préoccupation au vu des résultats aux tests nationaux et les premières réformes datent des années 90. De 1997 à 2002 le Chili a engagé des réformes pour renforcer la formation initiale des enseignants qui avait été affaiblie durant la dictature. Ce fut un réel succès et à partir de 2002 l’offre des universités privées a explosé, enregistrant entre 2000 et 2008 une augmentation de 812%.
De 2006 à 2014 le modèle va être bouleversé.
En 2006 le mouvement de jeunesse appelé les « pingouins », appelle à une meilleure éducation publique. Ceci va se traduire par des demandes de la part des enseignants : amélioration des conditions d’entrée dans la fonction, observatoire de la qualité de la formation et actions pour son amélioration, évaluation des accréditations, licences d’enseignement, financement de la recherche, examen de qualification disciplinaire et pédagogique pour les futurs enseignants avant l’obtention du diplôme. Seule cette proposition sera retenue et peu appliquée.
Le Chili hérite d’un système marqué par les années de dictature, et l’impact fort des politiques néolibérales des années 73 à 90, avec comme conséquence pour la formation des enseignants des inégalités fortes dues à la qualité très différente des formations universitaires publiques et privées dues à la massification des formations sans contrôle.
Le choix antérieur de s’isoler des dynamiques du sous-continent, au temps de la dictature, est abandonné, le Chili aujourd’hui se soumet aux propositions de l’OCDE. Le risque est celui de la désinstitutionnalisation de la formation des enseignants. Il faudrait au contraire plus d’institutions qui produisent des programmes, qui soutiennent et surveillent que ces programmes soient enseignés aux futurs enseignants, et améliorer les conditions d’entrée dans le métier pour stopper l’hémorragie d’enseignants qualifiés.
L’argentine : la question de la diversité, une formation pour enseigner en contexte difficile
L’Argentine et le Chili, pays de forte immigration européenne ont un système scolaire très tôt constitué. La scolarisation a été importante et la population indigène quantitativement assez faible. Ces systèmes, aux différences socio économiques plus fortes que les différences culturelles, ont été fortement homogénéisant, avec un cadre national fort. Aujourd’hui les questions qui se posent sont celles des résultats scolaires de l’ensemble de la population, face aux difficultés d’inclure les populations les plus pauvres.
La prise en compte des différences est désormais au centre des préoccupations des enseignants face à la grande difficulté scolaire.
Une même éducation pour tous est remise en cause dans une logique d’adaptation aux conditions sociale, psychologique et biologique. La prise en compte de la diversité des élèves conduit à introduire les notions de capacités, de potentialités. Des enquêtes faites auprès des enseignants montrent que la pauvreté est vécue comme une limite infranchissable pour l’éducateur et qui détermine les possibilités d’apprentissage. Ceci conduit les enseignants à mettre en place des stratégies d’apprentissages spécifiques, considérant les élèves pauvres comme à risque social ou avec un déficit social et culturel. Ainsi ils ajustent les programmes, les contenus enseignés en fonction de ce que les élèves pauvres sont supposés pouvoir apprendre.
La formation des maîtres est donc essentielle pour permettre de reconsidérer ces représentations des élèves en difficulté scolaire et pauvres. Or, les formations proposées visent à spécialiser les maîtres qui travaillent avec ces élèves mais la nature de ces formations renforce les présupposés initiaux au lieu de modifier la vision des enseignants. La neurobiologie, la psychopathologie de la conduite antisociale, la problématique du dysfonctionnement de la famille sont des enseignements qui, en formation, renforcent l’idée que le biologique est la cause du social.
La question de l’inclusion sociale des élèves ne pourra se résoudre sans un effort particulier du côté de la formation qui devrait permettre de poser le débat en terme de tous éducables, refuser les explications moralisantes, reconnaître que l’éducation est un acte d’ouverture et que tous les élèves sont intelligents.
Ce modeste texte tente de montrer la diversité des logiques à l’oeuvre dans les 4 pays. Les liens entre démocratisation et formation des enseignants sont tantôt lâches, impensés, insuffisants tant la massification est à l’oeuvre pour rattraper une situation profondément inégalitaire comme au Venezuela et au Brésil.
Dans les pays d’anciens systèmes éducatifs la massification étant atteinte la question d’atteindre d’autres populations par une formation des maîtres différente ou plus efficace a été posée. Le poids des questionnements extérieurs au pays (OCDE notamment) sont prégnants dans les choix opérés en matière de formation des enseignants, mais ces choix sont retravaillés à l’aune des rapports de force existant et parfois hérités du passé comme au Chili.
Gisèle Jean
A été responsable des questions de formation des enseignants
au SNESUP et à la FSU et directrice de l’IUFM de Poitiers,
A travaillé en Amérique Latine plusieurs années
Sources et bibliographie :
Pour le Brésil, la thèse de Maira Mamede.
Pour l’Argentine les témoignages d’enseignants et le travail de Patrick Rayou.
Pour le Chili le travail de Béatrice Avalos et les travaux du centre de recherche avancée en éducation de l’université australe du Chili.
Pour le Venezuela, mon travail effectué en 2012 et 2013.
En complément
Les communautés indigènes ont leur autonomie, elles choisissent ce qu’elles consacrent à l’éducation et ont une grande latitude pour l’organiser.
C’est une allocation donnée par le gouvernement aux familles qui envoient leurs enfants à l’école afin d’éviter une perte de revenus pour celles-ci.
Après l’élection de Lula et au moment de ce grand bouleversement le SNES notamment a travaillé sur ces questions avec le ministère et le syndicat d’enseignant.
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