Antônio de Pádua Nunes Tomasi,  Áurea Regina Guimarães Tomasi,  Enseigner : quel travail ?,  Numéro 7

La formation des enseignants au Brésil : pour quel avenir ?

Réfléchir sur la formation des enseignants nous emmène tout de suite à penser quel type de citoyen nous voulons former et également quel projet de societé nous avons. Alors, si nous défendons une societé plus juste avec moins d’inégalités au Brésil, il faut que l’éducation et surtout l’école publique soit plus démocratique, que l’accès soit assuré à tous mais aussi que la qualité de l’enseignement soit au niveau de l’éducation des élites.

Les inégalités qui sont présentes dans toutes les sphères de la societé et qui sont plus marquées dans les rapports au travail, sont aussi présentes et reproduites dans le domaine de l’éducation formelle, soit au niveau de l’enseignement élémentaire soit au niveau supérieur et aussi dans l’éducation professionelle. L’école, nous le savons depuis Bourdieu, contribue à la reproduction des inégalités entre les classes sociales.

Alors, comme dans la vie économique, politique et dans la santé, parmi d’autres, nous avons au Brésil, en utilisant une expression française, un système éducatif, “ à deux vitesses ”. Dans l’enseignement élémentaire jusqu’au lycée, nous avons des écoles privées avec de très bons équipements et des équipes d’enseignants bien préparés et bien soutenus, qui forment les enfants et les adolescents des classes favorisées. En même temps, les enfants des couches moins favorisées sont scolarisés dans des écoles publiques très précarisées, sur le plan matériel et professionel.

Dans l’enseignement supérieur au contraire, l’université publique sélectionne les plus favorisés et leur offre un enseignement de très bonne qualité et gratuit, pendant que les étudiants des classes populaires qui réussissent à arriver à ce niveau, n’ont que les instituts d’enseignement supérieur privé payants, très chers et de qualité douteuse.

L’école brésilienne à deux vitesses a aussi une formation des enseignants à deux vitesses. Ceux qui ont une formation de plus haute qualité seront engagés dans l’enseignement pour les riches (privé au niveau élémentaire et publique au niveau supérieur). Dans ce sens, ils seront aussi mieux rémunérés et recevront une formation continue parrainée par les établissements privés ou par les organismes et les agences de soutien au prolongement des études et de recherche scientifique.

D’un autre côté, ceux qui enseignent aux élèves et étudiants moins favorisés qui ont eu une formation d’une qualité inférieure et qui travaillent dans des conditions plus difficiles et sont moins bien payés, sont obligés de se débrouiller tout seuls, pour avancer dans leurs études et réussir leurs diplômes.

Il faut remarquer que, en dépit de meilleurs salaires et de conditions de travail plus appropriées, même les enseignants des établissements pour les enfants et jeunes de classes plus favorisées subissent aujourd’hui une dévalorisation accentuée de leur profession.

Les inégalités et les hiérarchies aussi présentes sur le marché du travail et de plus en plus dans les cours de formation des enseignants, attirent de moins en moins de jeunes pour suivre cette carrière, pleine de défis et d’obstacles. Enfin, l’exercice de la profession de maître à l’école et même à l’université exige une forte formation mais les avantages ne sont pas assez intéressants, surtout si nous faisons une comparaison avec des métiers qui exigent parfois seulement le niveau scolaire du lycée, offrent de meilleurs salaires et procurent moins de soucis.

Toutefois, quand il y a une crise sur le marché du travail, des professionels regardent l’enseignement comme une alternative temporaire, par exemple, un ingénieur civil qui ne trouve pas de travail dans les entreprises de construction est devenu enseignant de mathématique ou de physique. Dans ces conditions, il est obligé de suivre un cours complémentaire avec des disciplines telles que didactique, histoire de l’éducation, structure et fonctionement de l’enseignement, parmi d’autres, pour apprendre à des élèves de niveau élémentaire jusqu’au lycée, ce qui, pourtant, n’aurait pas été nécessaire s’il exerçait au niveau universitaire.

Cependant, nous avons un manque d’enseignants, surtout au lycée dans des disciplines comme la géographie, la physique et la chimie. Mais ce qui est également grave, c’est le fait que le niveau de formation des enseignants ait baissé sensiblement dans les dernières décennies.

Face à ces trois défis : les inégalités économiques et sociales, l’existence d’une école à deux vitesses et la formation déficitaire des enseignants, il faut que la politique éducative affronte cette réalité appuyée sur quelques présuposés.

Á côté d’une valorisation salariée pour attirer les jeunes vers cette profession, avec de meilleures conditions de travail et de meilleures conditions d’accueil au niveau matériel (batiment, meubles) des écoles, il est indispensable que la formation des enseignants soit très intensifiée, mais aussi réfléchie, planifiée et explicitée.

Ce bref scénario nous amène à la réflexion suivante : demander une formation égale et de qualité pour tous les enseignants, y compris ceux qui travaillent avec des élèves tellement différents du point de vue social et culturel, ne suffit pas car la sociologie de l’éducation nous a appris que l’équité ce n’est pas donner le même bagage pour tous. L’échec scolaire trouve son origine en grande partie dans l’absence de prise en compte des différences et aussi dans la difficulté de l’école et des enseignants à envisager la diversité culturelle du public. Alors, il faut absolument que les enseignants soient formés à respecter la diversité et à chercher par différentes méthodes à travailler avec toutes sortes d’élèves pour assurer à chacun les mêmes connaissances que celles données aux plus privilegiés.

La formation des enseignants doit être très solide du point de vue du contenu, au niveau des apprentissages universels dans tous les domaines de la connaissance. À côté de cela, la formation des enseignants doit encore être politisée et engagée. Le plus souvent, l’école refuse ce que les élèves savent et ne s’intéresse pas aux questions qui sont posées dans le contexte local, comme les problèmes du quartier ou de la ville. Elle doit reconnaître et valoriser les connaissances et cultures des élèves et de leur communauté, en respectant leurs particularités, leurs langues et leurs spécificités. Ces connaissances non reconues à l’école doivent participer à la construction de la connaissance universelle au même titre que celles détenues par les classes privilégiées. Les enseignants doivent être conscients des enjeux politiques et théoriques pour réussir à démocratiser effectivement l’enseignement.

De cette façon, nous pouvons nous approcher d’une réalité où les enfants et les jeunes pouront être capables de comprendre le monde et de penser aussi à la façon de le reconstruire et de le transformer pour qu’il soit plus juste et pour qu’ils bénéficient d’une meilleure qualité de vie.

Les derniers années sous le gouvernement du Parti des Travailleurs (PT), au Brésil avec la présidence de Luis Inácio Lula da Silva et de Dilma Roussef, la politique éducative n’a pas été suffisante pour transformer cette réalité, dans le sens où nous le défendons ici. Toutefois, par rapport à quelques décennies auparavant, quand l’école à deux vitesses a été renforcée, cette fois-ci cela a été la première occasion où la politique publique au Brésil a essayé de changer un peu, en se donnant l’objectif de diminuer le décalage entre la qualité de l’éducation pour les pauvres et pour les riches. Et cela dans le but de donner les mêmes chances pour tous, même si on ne peut pas renverser d’un coup, les inégalités et les injustices de plusieurs siècles.

Alors, les enseignants se voient confrontés à un nouveau public à l’école élémentaire mais plus encore à l’université où les couches moins favorisées n’arrivaient pas. Il faut donner plus à ceux qui n’ont pas beaucoup. Et c’est vrai que certains établissements ne s’engagent pas et ne font pas d’efforts pour augmenter le niveau de l’enseignement ou pour investir dans la formation continue des enseignants. Mais, il y a ceux qui font en sorte d’améliorer la qualité soit grâce à la demande ou à la stimulation du gouvernement mais aussi en réponse à la pression des classes populaires spécialement pour celles qui arrivent au niveau de l’enseignement supérieur.

A cause ou grâce à toutes les innovations technologiques qui ont changé la communication, les réseaux, la production de connaissance et aussi les rapports de force dans la société, les enseignants se voient obligés de chercher des instruments et des outils que seulement une formation continue bien réaliste et critique est capable de leur donner.

Nous aurons de la chance si nous arrivons à maintenir ce gouvernement plus démocratique et plus à gauche que nous avons aujourd’hui, pour pouvoir avancer dans ce sens et renforcer la politique éducative et de formation des enseignants pour un avenir plus juste et démocratique, comme la plus grande partie de la population brésilienne le demande et le mérite.

Áurea Regina Guimarães Tomasi
Sociologue. Professeure et chercheure à l’Universidade do Estado de Minas Gerais – Faculté de l’Education/Cours de Pédagogie et au Programme de Pós Graduação em Gestão Social Educação e Desenvolvimento Local (Master Professionnel en Gestion Sociale, Education et Développement Local) au Centro Universitário UNA. Belo Horizonte. Minas Gerais. Brasil

Antônio de Pádua Nunes Tomasi
Sociologue. Professeur et  chercheur au Centro Federal de Educação tecnológica de Minas Gerais. Master en Education Technologique. Belo Horizonte. Minas  Gerais. Brasil