Claire Pontais,  Enseigner : quel travail ?,  Numéro 7

Crise du recrutement, crise du métier d’enseignant… Comment alors assurer la réussite de tous ?

Alors que 10,3% de la population active est au chômage, on peine à recruter des enseignant-es. Plusieurs milliers de recrutements n’ont pu se faire depuis 2012, la pénurie de professeurs augmente – alors même que F. Hollande a donné priorité à l’éducation. Comment expliquer cela ? Quelles conséquences pour aujourd’hui et pour l’avenir ?

La stratégie du MEN fondée sur un diagnostic erroné

Lorsque François Hollande a été élu, Vincent Peillon – alors ministre de l’Education Nationale – soutenait l’idée que la baisse d’attractivité des métiers de l’enseignement était due à la « mastérisation » (concours à Bac+5) et au discours anti-profs de la droite. Suivant cette logique, il suffisait de changer de discours, d’annoncer des créations de postes, de ré-avancer le concours à Bac+4, d’adoucir l’entrée dans le métier en mettant les stagiaires à mi-temps pour une formation en ESPE et de créer en amont quelques « emplois d’avenir-professeurs » (EAP) pour que les difficultés se résorbent.

Si ces mesures ont effectivement permis un petit rebond des candidatures, elles n’ont cependant pas permis d’enrayer une crise de recrutement qui date de bien avant la « masterisation », même si la politique de Nicolas Sarkozy l’a aggravée1. Cette crise s’enracine dans une crise du métier d’enseignant, qui touche d’ailleurs de nombreux pays. Elle intervient dans un moment critique où les départs en retraite de professeurs et une remontée des effectifs d’élèves rendent nécessaire de recruter 300 000 nouveaux enseignants d’ici 2022. Or depuis le début des années 2000, l’Etat s’est progressivement désengagé du financement des études.

L’ampleur de la crise de recrutement

La gravité, voire l’existence même de cette crise a longtemps été niée. Ce n’est que très récemment que le gouvernement la reconnait, sous la pression des parents qui dénoncent le manque de remplaçants notamment. Il faut pourtant en prendre la mesure si on veut la combattre efficacement et éviter que cette crise ne serve de prétexte à des dégradations sans précédent du service public d’éducation.

Le concours de professeur des écoles manque de candidats dans certaines régions (Amiens, Créteil, Versailles, Reims, Guyane,…). Pour les collèges et lycées, les concours ne font pas le plein en lettres, anglais, allemand, maths, musique, ni dans les disciplines industrielles et professionnelles[1]Rapport Gonthier Maurin au sénat, Le métier d’enseignant au coeur d’une ambition émancipatrice (2012). Au fil des ans, les déficits se cumulent. Par exemple au CAPES externe de maths : 394 postes non pourvus en 2013 + 1203 en 2014 + 343 en 2015 = 1940 certifiés de maths qui manquent, a minima, sans compter tous ceux non recrutés sous N. Sarkozy qui ne remplaçait qu’un départ en retraite sur deux. La Loi de refondation prévoyait 150 000 nouveaux professeurs en 5 ans, on en est loin, ce sont 300 000 nouveaux professeurs qu’il faut recruter d’ici 2022 selon France Stratégie, organisme de prospective rattaché au premier ministre.

Le mouvement social est plus fort qu’il ne le pense

Les organisations qui œuvrent en faveur d’une transformation sociale progressiste traversent une période difficile et pourtant elles restent incontournables et sont au centre des évolutions sociales et sociétales du pays. Car l’action politique ne se cantonne pas aux seules actions des partis politiques. D’autres structures (syndicales mais aussi associatives) font vivre le débat public, élaborent des propositions et pèsent sur leur traduction effective dans la loi. Un des enjeux de la période consiste sans aucun doute à tisser des liens entre toutes ces formes de résistances et de constructions collectives. Le congrès de la FSU qui s’est tenu au début du mois de février a longuement débattu de l’avenir du syndicalisme de transformation sociale progressiste et propose des formes d’association entre la FSU et la CGT ou encore Solidaires. S’appuyer sur ce qui rassemble et proposer des nouveaux espaces collectifs pourrait permettre au syndicalisme de montrer la voie d’un sursaut citoyen qui tarde à se révéler.

Conséquences de la pénurie

Manquer d’enseignant-es se traduit très concrètement par des postes vacants, des classes sans professeur et des remplacements non assurés durant des semaines. En Seine Saint-Denis, le manque de remplaçants fait perdre aux enfants jusqu’à l’équivalent d’une année scolaire qui s’ajoute à la perte d’un an d’école avec le passage de 26h à 24h par semaine sous Darcos et à la difficulté d’entrer à l’école 2 ans …cela fait près de 3 ans d’années d’école perdues ! Dès lors, comment prétendre lutter contre l’échec scolaire ?

“ En Seine Saint-Denis, le manque de remplaçants fait perdre aux enfants jusqu’à l’équivalent d’une année scolaire qui s’ajoute à la perte d’un an d’école avec le passage de 26h à 24h par semaine sous Darcos et à la difficulté d’entrer à l’école à 2 ans … cela fait près de 3 ans d’années d’école perdues ! ”

Pour les professeurs, c’est un alourdissement de la charge de travail (classes surchargées) et l’impossibilité de partir en formation continue faute de remplaçants. S’ajoute à cela une rémunération faible, très faible en début de carrière (un fonctionnaire-stagiaire gagne 1,1 fois le Smic), des conditions de mutations difficiles, la pression managériale de certains chefs d’établissements, la pression de l’évaluation, des parents exigeants – et c’est bien normal – pour l’avenir de leurs enfants, des injonctions permanentes (souvent contradictoires) qui génèrent de la soumission et/ou une prise de distance pour éviter les souffrances au travail. Pas étonnant que cette profession attire moins !

“ Avec une augmentation sans précédent du nombre de contractuels, le métier pourrait – à terme – être considéré comme un « petit boulot ». ”

Mais cette crise a aussi des conséquences sur le métier lui-même. Avec une augmentation sans précédent du nombre de contractuels, le métier pourrait – à terme – être considéré comme un « petit boulot ». C’est le cas dans de nombreux pays où l’on est enseignant en attendant mieux[2]Voir article de Antônio de Pádua Nunes Tomasi, Áurea Regina et GuimarãesTomasi dans ce numéro de Carnets rouges. Certes en France, le statut du fonctionnaire nous protège encore de cette dérive mais les attaques récurrentes sur les concours et les nombreuses tentatives de contournement ou de remise en cause du statut de la Fonction publique pourraient accélérer le processus.

“ Alors que l’OCDE et l’institution affirment que c’est un métier de conception, force est de constater qu’il est soumis à une forme de « prolétarisation ». ”

Depuis 30 ans les recherches en éducation plaident pour une professionnalisation des enseignants. Alors que l’OCDE[3]Rapport Obin, Attirer, former et retenir des enseignants de qualité, OCDE (2003) et l’institution affirment que c’est un métier de conception, force est de constater qu’il est soumis à une forme de « prolétarisation »[4]P.Perrenoud, : « Ce métier hésite entre professionnalisation et autonomie véritable d’une part, prolétarisation et dépendance accrue d’autre part , in Former des enseignants professionnels. Bruxelles, De Boeck, 1994. C’est tout l’inverse qu’il faudrait faire.

Investir dans des pré-recrutements et dans la formation

Outre une réelle revalorisation salariale et une amélioration des conditions de travail, il faut pré-recruter et viser l’acquisition d’un haut-niveau de qualification

Pré-recruter, c’est permettre à des jeunes, en particulier ceux des milieux populaires, de s’engager vers le métier en finançant leurs études au lieu de les obliger à travailler en amputant leurs études. C’est aussi permettre de financer des reconversions de diplômés. L’Etat finance à hauteur de 1200€ par mois, dès la 2ème année de licence, les études en médecine pour ceux qui s’engagent à exercer plusieurs années dans un désert médical (Loi Bachelot). Pourquoi pas un système équivalent pour l’enseignement ?

Mais il faut également investir dans la formation initiale et continue, déterminante pour reprendre prise sur le métier, pouvoir discuter les prescriptions d’égal à égal avec l’institution, modifier les rapports à la hiérarchie, pouvoir dialoguer sereinement avec les parents, et être armé pour faire réussir tous les élèves. Une formation de haut-niveau enclencherait un cercle vertueux qui participerait grandement à la revalorisation du métier.

Malheureusement, la réforme de la formation, avec la mise en place des ESPE est loin d’être à la hauteur1. Les moyens pris aux IUFM n’ont pas été redonnés aux ESPE, alors que le nombre d’étudiants à former a augmenté. Le temps de formation a diminué par rapport à ce qui existait avant la masterisation. Avancer le concours en fin de master 1 a pour résultat d’amputer la formation de l’année de master[5]Claire Pontais, « La formation a-t-elle été rétablie ? », site du SNEP-FSU (2015), dès lors que les stagiaires sont utilisés comme moyens d’enseignement[6]Voir les témoignages d’étudiants et stagiaires sur : observatoire-fde.fsu.fr. Face à la pénurie d’enseignants, le gouvernement ne propose que des solutions qui tronquent la formation et précarisent l’entrée dans le métier : « l’expérimentation » des « master en alternance » à Créteil et en Guyane (sous statut de contractuel) réduit de moitié la formation en M1, les « étudiants -apprentis- professeurs » devront, dès la 2ème année de licence, être devant des élèves deux demi-journées par semaine.

“ Pré-recruter permettrait au contraire « d’étudier à plein temps » et d’avoir une formation qui articule des enseignements scientifiques disciplinaires, didactiques, pédagogiques en lien avec des stages encadrés, l’ensemble étant adossée à la recherche. ”

Pré-recruter permettrait au contraire « d’étudier à plein temps » et d’avoir une formation qui articule des enseignements scientifiques disciplinaires, didactiques, pédagogiques en lien avec des stages encadrés, l’ensemble étant adossée à la recherche. Ce n’est pas le cas aujourd’hui. Si l’on compare avec la formation médicale, les progrès dans les soins ne sont pas seulement l’œuvre des médecins, mais directement liés aux progrès de la recherche en médecine. Pour l’enseignement, c’est pareil. Qui peut imaginer un progrès de la formation des enseignants sans développement de la recherche sur/en/pour l’éducation ? Cette recherche devrait piloter la formation de formateurs et irriguer l’ensemble des formations, initiale et continue.

Une remise à plat du dispositif mis en place sous le gouvernement Hollande s’impose. La priorité est d’assurer de bonnes conditions de préparation et d’entrée dans le métier et de ré-impulser une dynamique de formation continue, qui a quasiment disparu. C’est vital pour les élèves, en particulier ceux qui n’ont que l’Ecole pour apprendre, et c’est vital pour une revalorisation en profondeur du métier d’enseignant.

Claire Pontais
Formatrice,
Secrétaire générale adjointe du SNEP-FSU

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