Aux frontières de l’école
Aux frontières de l’école. Institutions, acteurs et objets,
Patrick Rayou (direction), Presses Universitaires de Vincennes, 2015.
Les auteurs : Stéphane Bonnéry, Claire Lemêtre, Benjamin Moignard, Julien Netter, Anne-Claudine Olier, Myriam Ouafki, Pierre Périer, Filippo Pirone, Patrick Rayou, Françoise Robin, Stéphanie Rubi.
Lecture proposée par Christine Passerieux.
L’ouvrage dirigé par Patrick Rayou, s’inscrit dans les travaux d’un réseau de chercheurs (Reseida) qui s’attachent à analyser et comprendre comment se produisent les inégalités d’accès aux savoirs et à la réussite scolaire. Il engage à « se demander d’où on regarde les frontières de l’école » afin de « prendre en compte les processus qui les construisent plutôt que « de réfléchir uniquement en termes d’étrangeté d’un territoire par rapport à l’autre » (P. Rayou). Perspective intéressante pour sortir de la fatalité d’un échec socialement ségrégatif ou se satisfaire de dispositifs de remédiations et/ou de pacification qui n’interrogent pas la nature de ces frontières et ajoutent de la désespérance et un sentiment violent d’impuissance des acteurs de l’école, auxquels est imputée la responsabilité des échecs massifs dans les milieux populaires.
L’école est confrontée à deux écueils : présenter les savoirs de manière telle que les élèves les moins connivents se sentent exclus d’un univers qui leur demeure étranger et considèrent que les apprentissages scolaires ne les concernent pas ; ou pour répondre à une pression sociale et politique de plus en plus forte, faire autre chose que de l’école (on pense ici à toutes les éducations à), qui l’un et l’autre produisent les mêmes effets d’exclusion pour les élèves issus des milieux les plus précarisés. C’est entre ces deux pôles qui ne sont pas antinomiques qu’elle oscille lorsqu’elle rabat ses exigences au nom de l’adaptation aux élèves en difficulté, ou naturalise le passage de l’enfant à l’élève, sans mettre en partage les outils langagiers et cognitifs requis. Les chercheurs qui participent à cet ouvrage montrent que les élèves les plus éloignés des pratiques scolaires sont soumis à des exigences qu’ils ne peuvent connaître, voire reconnaître (dans la double acception du terme) : à l’école primaire lorsque l’école externalise la demande scolaire via les devoirs et participe ainsi à creuser les écarts ; au collège où les élèves doivent se débrouiller seuls pour décrypter les réquisits de l’institution ou s’enferment dans des relations d’interdépendance avec les enseignants. L’étude des internats d’excellence, des micro-lycées ou du coaching alerte sur des dispositifs qui, s’ils ouvrent effectivement des portes à des élèves, leur permettent de renouer avec une scolarité réussie, ne résolvent pas la question de fond de l’accès de tous aux savoirs.
La dernière partie s’attache à des objets qui circulent dans l’école et hors l’école (théâtre ; littérature, devoirs), provoquant des malentendus sur leur usage, leurs finalités, (relations travail/loisir ; fréquentation/appropriation de textes ; conceptions du travail scolaire).
Alors que nombre de discours insistent sur la pluralité des espaces d’apprentissages dans la société contemporaine, cet ouvrage a le grand mérite de rappeler la fonction spécifique de l’école, sa place dans l’histoire individuelle et donc collective. Il alerte sur les dangers de brouillage de ses frontières qui participe à contourner la réalité sociale, l’évacuer ou l’essentialiser, assignant ainsi les élèves les moins connivents à leurs origines.