Lectures Jeunesse,  Numéro 5

Les neuf vies de Philibert Salmeck

Les neuf vies de Philibert Salmeck
Les neuf vies de Philibert Salmeck,
John Bemelmans Marciano, traduit par Mickey Gaboriaud, illustré par Sophie Blackall, Éditions Les Grandes Personnes, avril 2014.

Littérature jeunesse proposée par Françoise Chardin.

Tous capables, avons-nous dit, sauf les Salmeck, dynastie de parasites dont le fondateur inventa le capitalisme, et dont Philibert est le dernier rejeton. A neuf ans, celui-ci refuse avec la dernière énergie de payer le tribut d’une vie d’oisiveté stupide et cupide, qui a conduit tous ses ancêtres à une mort prématurée, en dépit de la vigilance d’une lignée parallèle de serviteurs dévoués, les Austerman. Philibert décide donc d’acheter les neuf vies de son chat, Shad Mahler, au prix d’une opération loufoque pratiquée avec succès par un savant fou. Grisé par son nouveau capital, il ne manquera pas bien sûr par sottise d’épuiser rapidement tout son crédit dans une débauche de plaisirs toujours plus absurdes et prédateurs : corrida, saut dans le vide, contact avec le troisième rail d’un train…

Toutes ces aventures, menées au rythme frénétique de l’insatisfaction permanente du héros, s’enrichissent d’un graphisme plein d’humour : une foule de détails (le sablier, la cape-faux de la Mort, les smileys-yeux séparateurs de chapitres qui diminuent avec les vies du héros…) en font un régal pour l’oeil, et l’oreille s’amuse des jeux de mots-tordus. Les plus grands repéreront de multiples références culturelles : la Précaution inutile, la Peau de chagrin, le Portrait de Dorian Gray ; Shad Mahler n’est-il pas le diable lui-même, comme le laisse penser – et voir- le dernier chapitre ? Autant de dimensions de lecture qui montrent à quel niveau la littérature-jeunesse d’aujourd’hui hisse l’exigence !

Et fort heureusement, tout est mal qui finit mal : si l’on meurt jeune chez les Salmeck, c’est qu’on est incapable d’apprendre quoi que ce soit de la vie et des autres, par cupidité et égoïsme, ce qui fait du roman un vrai récit d’anti-apprentissage : Philibert ne dérogera pas à la règle, au grand bonheur du jeune lecteur qui, lui, est tout à fait capable, dès son entrée au collège, de tirer plaisir et profit de ce petit conte philosophique d’une décontraction sophistiquée !