À droite toute ? L'école menacée par les idéologies réactionnaires.,  Christine Passerieux,  Numéro 26

À bas bruit souvent…

À bas bruit souvent, portée par une vision décliniste du système scolaire, l’extrême droite s’intéresse beaucoup à l’éducation depuis des années. Il s’agit pour le RN de restaurer « l’efficacité du système éducatif[1]Programme du RN pour les présidentielles, 2022 » alors que « démagogie, laxisme et relativisme privent nos enfants de repères et de valeurs pourtant essentiels à la cohésion sociale et nationale ». Éric Zemmour[2]Programme de R! pour les présidentielles, 2022 est en phase lorsqu’il affirme que « nous assistons depuis trop longtemps au délitement de notre système éducatif et à l’effondrement du niveau scolaire des jeunes Français ». Les uns et les autres cultivent une vision totalement mythifiée de l’histoire de l’école sur le mode populiste du « c’était mieux avant ».

Si la nécessité de transformer en profondeur le système éducatif est une urgence démocratique, nous ne pouvons ignorer et devons combattre les graves dangers que l’extrême droite fait peser sur le système public d’éducation.

L’État contre le service public

EZ veut « engager un grand processus de rationalisation et de baisse de la dépense publique » alors même que l’éducation souffre de manière constante d’un manque criant de moyens pour assumer ses missions. C’est donc bien le service public qui est menacé. Marine Le Pen a protesté contre la loi de Transformation de la Fonction publique, non pour défendre les commissions paritaires et l’égalité de traitement qu’elles garantissaient, mais pour s’inquiéter d’un affaiblissement de l’État… État qui, pour l’extrême-droite, ne vise pas à être une garantie d’égalité mais l’instrument d’une domination au service de son idéologie.

L’un et l’autre annoncent une revalorisation des salaires des enseignants. Comment y parvenir si le projet est de réduire les dépenses publiques et lorsque EZ a pour projet de « restaurer l’égalité entre fonctionnaires et salariés du secteur privé en revenant aux trois jours de carence pour les arrêts maladie des agents de la fonction publique ».

Par ailleurs MLP juge l’école « suradministrée » et supprimera des postes dans les services administratifs où les conditions de travail se détérioreront et par conséquence le traitement des dossiers administratifs des agents ! Alors que l’on peine déjà à payer les contractuels sans retard…

Notre inquiétude se renforce avec la suppression des Instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation censés être « inefficaces et contribuant à diffuser une idéologie délétère dans l’institution scolaire » au profit d’une « formation ‘entre pairs’ avec la titularisation des professeurs au terme d’une année de stage et d’une double inspection pédagogique ». Depuis des années, syndicats et enseignants revendiquent une vraie formation, aussi bien initiale que continue qui garantisse un enseignement de qualité. Les choix de l’extrême droite en la matière sont un énorme pas en arrière, qui présage l’aggravation du caractère sélectif de l’école française.

Enfin, en référence implicite au « wokisme », à « l’islamo-gauchisme », ou à la question du genre, EZ veut « protéger les enfants en interdisant toute forme de propagande idéologique à l’école pour en refaire un sanctuaire ». Comment ouvrir alors aux réalités complexes du monde dans lequel vivent les enfants, car là est bien la mission de l’école.

L’institutionnalisation d’une école à deux vitesses

EZ veut « créer des classes d’excellence littéraires et scientifiques dans un lycée par académie ». MLP, quant à elle, dénonce les taux massifs d’échec à l’école mais pour regretter que l’institution ne joue plus son rôle « d’ascenseur social par le mérite scolaire », niant ainsi toute prise en compte de la question sociale qui est au cœur même d’un projet transformateur. L’école de l’extrême droite légitime l’ordre établi.

La suppression immédiate de « toute discrimination positive » signe la fin pure et simple de l’Éducation prioritaire. Associée à une libéralisation amplifiée de la carte scolaire et aux concessions faites à l’école privée, on imagine facilement la ghettoïsation accrue des écoles de banlieues qui en découlera. La difficulté du travail enseignant s’accroîtra et, avec elle, l’échec des élèves des milieux populaires.

L’extrême droite vilipende le collège unique, « machine à échec … qui entretient une dynamique dans laquelle les formations dispensées à partir du lycée ne sont pas en adéquation avec les besoins de l’économie » (MLP). EZ prévoit avec la fin du collège unique la mise en place de groupes de niveau homogènes dont on connaît les méfaits – et cela au nom du respect des différences ! Il prévoit aussi une une filière préprofessionnelle dès la quatrième, qui rabaisse l’obligation scolaire à 14 ans pour permettre une mise en apprentissage précoce. Contrairement à ce que MLP prétend l’apprentissage salarié ne garantit pas l’accès à l’emploi mais s’avère très ségrégatif pour les filles et les étrangers. Elle a déclaré au Medef, que la filière professionnelle sera livrée aux entreprises et les aides versées ou l’attribution de chèques-formation conduiront à un monopole du marché où les volontés des branches patronales guideront la définition des contenus. Quid de la formation du citoyen sur ses droits, si elle est livrée à la volonté des entreprises ? Quand la réaction fait bon ménage avec le néolibéralisme !

Quant au bac, il n’est plus question « d’obtenir un taux de réussite défini en amont par des bureaucrates parisiens ». Les grands discours sur l’égalité, l’école républicaine déficiente ne tiennent pas au regard des ambitions véritables de l’extrême droite !

Programmes et méthodes : une idéologie réactionnaire

Au-delà de la mesure visant à rétablir le port d’un uniforme au collège et en primaire (dont la fonction symbolique n’est tout de même pas anodine) l’extrême droite veut « organiser une remise à plat des méthodes pédagogiques et des contenus, et ‘restaurer’ l’école comme vecteur de transmission de l’Histoire de France et de son patrimoine (la restauration occupe une place centrale dans le lexique de l’extrême droite). MLP et EZ s’accordent sur les « fondamentaux » qui se confondent avec toutes les nostalgies de l’école d’antan, et évacuent toute approche culturelle des apprentissages, pénalisant les élèves issus des classes populaires.

MLP envisage « la suppression des enseignements de langue et de culture d’origine (ELCO) qui nuisent à l’assimilation des élèves, notamment parce qu’ils sont assurés par des enseignants étrangers ». Ou comment prouver que la dédiabolisation du RN n’est qu’un leurre lorsqu’elle aspire à « l’assimilation des élèves étrangers ou immigrés », qui ne peut qu’entretenir haine et rejet de l’autre. C’est le renoncement à toute perspective égalitaire qui est annoncé, et avec l’obsession syllabique transposée dans toutes les disciplines, l’idéologisation des programmes, comme le révisionnisme en histoire, avec les dangers du ‘grand remplacement’ et les bienfaits de la colonisation.

Quant au grand ministère « d’État du Savoir et de la Transmission regroupant l’Instruction publique, l’Enseignement supérieur et la Culture », l’insistance d’EZ sur la transmission signale nostalgie et crainte de voir disparaître les traditions d’une école qui ne prenait guère en compte les enfants des classes populaires. Un retour en arrière de trois siècles sur les finalités éducatives d’une institution dont la mission est de former les élèves, individus, travailleurs et citoyens en devenir, en capacité de s’émanciper pour prendre en main leur vie et l’avenir de la société.

Des personnels mis au pas

Pour MLP les enseignants devront être les « fidèles exécutants de programmes politiques définis par le Parlement », parlement qui devrait également fixer « de manière concise et limitative, ce qui est attendu des élèves à la fin de chaque cycle ». Celles et ceux qui se penseraient protégés par une sorte de garantie parlementaire, ne devraient pas oublier que les réformes électorales annoncées par Le Pen visent un scrutin proportionnel pensé en sa faveur.

La revalorisation des enseignants se ferait au mérite, maître mot des discours et des programmes de l’extrême droite, via des « primes d’excellence professorale » pour EZ, ce qui, outre la mise en concurrence des enseignants, suppose aussi une évaluation plus fréquente et l’augmentation du « nombre de rendez-vous de carrière et d’inspections » pour MLP. Celle-ci prêche un « renforcement de l’exigence de neutralité absolue des membres du corps enseignant en matière politique, idéologique et religieuse vis-à-vis des élèves, qui nécessite l’accroissement du pouvoir de contrôle des corps d’inspection en la matière et obligation de signalement des cas problématiques sous peine de sanctions à l’encontre des encadrants ». Le tempo est celui d’un contrôle accru des pratiques enseignantes au prétexte de la nécessité de l’ordre, quand la finalité devient la « restauration de l’autorité du maître et de l’institution scolaire ». Ce serait donc la généralisation des injonctions soutenues par une obligation légale qui annonce des stratégies coercitives des plus vigoureuses.

Pour MLP, « le détail des programmes et les labels validant les manuels scolaires relèveront du ministre de l’Éducation nationale. » Chercheurs et enseignants sont assignés à se soumettre à la plus inquiétante des idéologies et des années de recherche universitaire et pédagogique sont balayées et jetées aux oubliettes !

S’estimant désormais légitime, l’extrême droite agite la peur face à « l’islamo-gauchiste » ou au syndicaliste qu’ils dénoncent. De la menace à l’exercice de la violence, il n’y a pas toujours très loin… surtout chez ceux qui professent voire pratiquent cette violence. Des enseignants ont déjà été victimes d’agressions à Lyon ou à Paris par exemple, par des militants d’organisations d’extrême-droite dont la présence avait semblé « logique » au dernier colloque organisé par MLP sur l’éducation… La haine idéologique envers les enseignants, rendus responsables de « la décadence des mœurs », de la « décadence du sentiment national » ou encore du « génocide culturel », comme cela s’est déjà produit au moment de l’ABCD est toujours vivante. Car pour justifier son idéologie d’ordre, l’extrême-droite a besoin de les désigner comme les agents du désordre et de la décadence.

Contrôle et répression

Quelles pressions seront faites quand il sera jugé que les pratiques professionnelles sont inspirées d’une « idéologie pédagogique mortifère » ? Certains présument une résistance républicaine de l’institution scolaire… mais la politique libérale néomanagériale a préparé le terrain d’un autoritarisme violent en déréglementant et en développant les pouvoirs personnels. La conception du chef, chère à l’extrême-droite, viendrait légitimer tout ce qui semble de près ou de loin obéir aux stratégies de l’ordre. Les enseignants devraient subir au quotidien les ordres d’un directeur, d’un principal ou proviseur, d’un Dasen acquis aux idées de l’extrême-droite ou partisan de concessions nécessaires. Certains d’entre eux seraient la cible de parents partageant les opinions de Marine Le Pen, devenus plus vindicatifs et auxquels l’institution laisserait le champ libre.

Mais le plus difficile, pour le quotidien des élèves et des professionnels, sera sans doute la manière avec laquelle, la culture de la gouvernance se pliera, hors de trop rares résistances, à des injonctions insupportables parce que marquées par une idéologie réactionnaire, raciste et sexiste. La liste est longue : Pour EZ il s’agit de « [Transformer] les Conseillers Principaux d’Éducation en Surveillants Généraux ayant pour but exclusif le maintien de l’ordre scolaire au sein des établissements ». MLP veut généraliser « la vidéoprotection dans tous les établissements du secondaire, en priorisant les réseaux d’éducation prioritaire. Aucun acte de violence, qu’il soit commis contre d’autres élèves ou contre des membres du corps éducatif, ne devra rester impuni faute de preuves ». La restauration de « la sérénité de l’école », consiste à mettre « fin à la doctrine de l’école ouverte et à l’impunité structurelle dont bénéficient les fauteurs de troubles, couverts par la lâcheté de l’administration ». Elle prévoit « l’instauration de sanctions-plancher qui devront être appliquées lors des conseils de discipline sous peine de sanctions contre l’encadrement des établissements. Cela permettra de mettre un terme au laxisme scolaire et à la culture de la dissimulation des difficultés disciplinaires par l’encadrement des établissements ». L’absence d’assiduité et « les comportements antiscolaires » seront sanctionnés : « retour aux principes de la loi Ciotti (2010), qui prévoit la suspension des allocations familiales et des bourses scolaires en cas d’absentéisme avéré et de perturbations graves et répétées au sein des établissements scolaires ». EZ veut « suspendre les allocations familiales des parents d’élèves perturbateurs ou absentéistes ».

La laïcité, selon la rhétorique habituelle de l’extrême droite est détournée des valeurs qui la fondent, pour devenir un outil répressif contre « les menées islamistes » qui nécessiteraient « une répression automatique et des « sanctions disciplinaires dissuasives

Penser, travailler et agir collectivement

La perversité de la rhétorique d’extrême droite est confondante et l’habileté de ses rhéteurs, efficace. Dans son programme pour les présidentielles MLP ose regretter « l’ambition qui inspirait le programme éducatif du Conseil national de la Résistance… » !

Les programmes de l’extrême droite s’emparent des évaluations internationales, des apports de la recherche qui montre que l’école française est la plus sélective, récupèrent des analyses de la gauche (concernant par exemple l’obligation scolaire à 3 ans) … pour brouiller et empêcher toute analyse critique dans un contexte où parents, enseignants et élèves subissent de plein fouet la violence de la politique néolibérale.

C’est pied à pied qu’il nous faut combattre cette idéologie mortifère, expliquer, dénoncer mais surtout faire des propositions, affirmer les valeurs qui sont les nôtres pour que soit partagé le projet d’un système scolaire égalitaire et émancipateur.

Christine Passerieux
Carnets Rouges

Référence

Cet article a emprunté à Paul Devin, « Enseignantes, enseignants… Le Pen, ce sera tellement pire pour nous » : https://blogs.mediapart.fr/paul-devin/blog/130422/enseignantes-enseignants-le-pen-ce-sera-tellement-pire-pour-nous

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