À droite toute ? L'école menacée par les idéologies réactionnaires.,  Jean-Michel Barreau,  Numéro 26

L’extrême-droite et l’école de la République, du Maréchal Pétain à Emmanuel Macron. La haine, le stigmate, la décadence

L’extrême-droite contemporaine tient des propos agressifs sur l’école de la République. La haine, le stigmate, la décadence sont le moteur et les arguments de ses critiques. Cette trilogie imprécatrice n’est pas nouvelle. Du Maréchal Pétain à Emmanuel Macron, elle constitue l’ADN historique de cette mouvance politique dans son rapport à l’école républicaine.

En ce début de 21ème siècle, Éric Zemmour a tenu contre l’école de la République des propos d’une grande virulence extrême-droitière. Extrême ? : absolue dans sa dénonciation. Droitière ? : radicale dans son déni du « Liberté, Égalité, Fraternité » qu’elle signifie.

Dans Le suicide français (2014), le journaliste voue une haine toute particulière au collège unique de René Haby qu’il couvre de toutes les « malédictions[1]Éric Zemmour, Le suicide français, Albin Michel, 2014, p. 157-161 ». Sa pédagogie active célèbrerait béatement le culte de l’enfant. Il ne serait que le réceptacle passif d’élèves qui ne savent ni lire et écrire, quand personne n’a le courage de les orienter vers un enseignement technique méprisé. Dans les collèges de banlieue, la violence serait telle que classes moyennes et favorisées s’en protégeraient en plaçant leurs enfants dans les établissements de centre-ville et privés. Quand Éric Zemmour s’en prend à l’école de la République en général, ce n’est que pour la voir sous le filtre générique d’une lugubre déliquescence dont notre nation serait mortellement atteinte. « La France se couche, la France se meurt », écrit-il dans son Suicide français. Dans La France n’a pas dit son dernier mot (2021), il parle de « décadence » et de « disparition tragique de la France ». La tribune « Les Professeurs avec Zemmour », publiée sur le site du Figaro le 15 octobre 2021 aligne une longue cohorte de sentences décadentistes : « faiblesse du niveau », « nouvel illettrisme », « nivellement par le bas » etc… Par ailleurs, à propos d’une discussion sur les contrôles au faciès, ce pamphlétaire a expliqué sur les médias cette pratique par le stigmate raciste dont cette extrême-droite est la championne : « La plupart des trafiquants sont noirs et arabes, c’est comme ça, c’est un fait ».

I – La haine, le stigmate, la décadence

Le chaland aurait de quoi s’effrayer devant un tel déluge d’incompétence scolaire républicaine. Mais, l’histoire est là pour nous rappeler que cette école a constamment été sous la mitraille de cette extrême-droite imprécatrice ; toujours en guerre contre ses croissances démocratiques. Éric Zemmour, le pétulant pourfendeur du 21ème siècle, n’est que le banal passeur d’un triptyque que ces ennemis de la République ont toujours convié à la table de leurs menus réactionnaires : la haine, le stigmate, la décadence.

La haine

On peut haïr les démocratisations scolaires comme on peut haïr des ennemis intimes. Jules Ferry et les siens firent déjà l’expérience de cette haine viscérale, avec des monarchistes et des bonapartistes qui voyaient dans l’obligation, la gratuité et la laïcité scolaire républicaine les pires maux de l’humanité. Dans l’entre-deux-guerres l’école unique et la gratuité du secondaire seront logées à ces mêmes enseignes vindicatives. Quand Edouard Herriot se réclamait de cette politique au nom de la démocratisation, les conservateurs lui répondaient au nom d’un élitisme aristocratique. Dans un Éloge de l’ignorance qu’il publiait en 1926, Abel Bonnard donnait déjà le ton de cet élitisme foncier : « Il est bon, il est régulier, il est profondément juste et salutaire, que la haute instruction soit entourée de beaucoup d’obstacles ». L’État français du Maréchal Pétain donnera du réel à ses exigences du refus. La loi du 15 aout 1941 de Jérôme Carcopino supprimera cette gratuité à partir de la troisième pour lui substituer un système de bourses destinées aux élèves les plus méritants et indigents[2]Yves Bouthillier, Le drame de Vichy – II – Finances sous la contrainte, Plon, 1951, p. 347-354.. Le ministre justifiait ainsi sa politique de retour en arrière : « Certes, la culture supérieure n’est un droit que pour ceux se montrant capables d’en profiter mais en ce cas, c’est un droit sacré[3]Jérôme Carcopino, L’information universitaire, « La réforme de l’enseignement public », 6 septembre 1941. ». Quant à Abel Bonnard, il sera récompensé de ses bons et loyaux services idéologiques en étant ministre de l’Éducation nationale du 25 février 1942 au 20 août 1944[4]Jean-Michel Barreau, Vichy contre l’école de la République, Flammarion, 2000..

Le stigmate

Scolairement parlant, Vichy fera payer cher aux juifs son antisémitisme. La « pouillerie du monde », comme l’écrivait le journal fasciste dans Le réveil du peuple, se verra interdite d’enseigner, d’apprendre et de penser. Par la loi du 3 octobre 1940 et son prolongement du 2 juin 1941, les enseignants qui dépendaient de cette confession seront exclus de la fonction publique et de l’Éducation nationale. Le texte de 1941 établissait un numérus clausus qui limitait l’accès des étudiants juifs à l’Université à hauteur de 3% des inscriptions. Le gouvernement de Vichy décida d’expurger les manuels d’histoire qui faisaient état de l’innocence du capitaine Dreyfus. Les antisémites pensaient que les juifs, qu’ils considéraient comme des étrangers, ne pouvaient pas enseigner l’histoire des Gaulois au petits français[5]Claude Singer, Vichy, l’université et les juifs, Les belles lettres, 1992, p. 81 et 149..

La décadence

Dans le tumulte de la querelle scolaire de l’entre-deux-guerres, le grand mot lâché était : décadence. De ce « mythe majeur du 19ème siècle français[6]Victor Nguyen, Aux origines de l’Action française. Intelligence et politique à l’aube du XXe siècle, Fayard, 1991. Introduction, p. 33-107. », Charles Maurras fera le cheval de toutes ses batailles. Que ce soit dans Ferdinand Brunetière (1899), dans L’avenir de l’intelligence (1902) ou dans La politique générale (1922), il scandera sempiternellement cette sentence, toujours prononcée sous le prisme de son monarchisme absolu : « Et d’où vient notre décadence ? De la Révolution, du Code civil, de l’Empire plébiscitaire et de la République parlementaire. La démocratie tue les hommes dans l’œuf ». L’école n’échappera pas à cette pluie d’anathèmes. Son journal L’Action française et son Dictionnaire politique et critique fustigeront régulièrement sa déliquescence : « La date du cinquantenaire de l’École laïque couvre un mensonge. Il est faux que l’École d’État soit un progrès car le nombre des illettrés ne fait que grandir […] C’est une régression qu’il faut constater[7]Charles Maurras, Dictionnaire politique et critique, A la cité des livres, tome 4, 1933. Article « Laïcité ». ».

II – La haine, le stigmate, la décadence – BIS

Une fois les accointances de l’extrême-droite avec le gouvernement de Vichy quelque peu retombées dans l’oubli, celles-ci reprendront du poil de la bête sous la Cinquième République.

La haine

Aucune des politiques scolaires de cette Cinquième République n’échappera à la haine de cette extrême-droite. La création du collège unique de René Haby en 1975 a concentré toute cette véhémence dans La lettre de Jean-Marie Le Pen puis dans Français d’abord ! Dans les années 2000, les programmes de gouvernement du MNR de Bruno Mégret et du Front national promettaient de l’abolir pour sauver une « génération sacrifiée », au nom d’un élitisme vertical qui devait être salvateur pour tout le monde : « La sélection des meilleurs permettra de former une élite nationale, venue de tous les milieux sociaux, apte à irriguer l’ensemble du pays[8]Pour un avenir français. Le programme de gouvernement du Front national, Septembre 2001. ». En1989, National hebdo ne voyait dans la Loi d’Orientation de Lionel Jospin qu’une reprise des « vieilles rengaines post-soixante-huitardes », dont les conséquences ne pouvaient être que « l’aggravation de l’égalitarisme et de la médiocrité ». Le journal Minute ironisait sur les cours d’éducation civique introduits en 1999 au lycée par Claude Allègre, dont les valeurs essentielles célébraient « l’amour des Africains et le génie de l’immigration », écrivait-il. En 2002, c’est le ministre de l’Éducation, Jack Lang, qui fera les frais de ces attaques. Sa volonté de réhabiliter l’hymne national dans les écoles en diffusant dans les établissements scolaires un livre-CD intitulé

« Allons enfants de la patrie » faisait dire à Français d’abord ! que ce chant véhiculait « les pires poncifs anti-nationaux » et n’était qu’une « ode aux droits de l’homme… déraciné ».

Le stigmate

La Troisième République avait ses juifs, la Cinquième République aura ses noirs, ses immigrés, ses arabes, ses islamistes. En 1990, sur fond d’une vision d’une école républicaine qu’il jugeait laxiste et incapable de juguler une violence endémique, Martial Bild, le directeur national du Front National Jeunesse, dénonçait dans La lettre de Jean-Marie Le Pen ceux qu’il appelait les « nouveaux barbares » qui terrorisaient les banlieues. Il racontait l’histoire de militants du FN sauvagement agressés par une bande de jeunes « originaires d’Afrique noire[9]La lettre de Jean-Marie Le Pen, « Les nouveaux barbares ». Martial Bild, 1er décembre 1990. ». Bruno Mégret (il était à l’époque délégué général du FN et député européen) tirait la leçon de ces violences : « L’école n’intègre pas les immigrés, ce sont les jeunes issus de l’immigration qui désintègrent l’école[10]La lettre de Jean-Marie Le Pen, « Lycées : l’impasse socialiste », Bruno Mégret, 1er décembre 1990. ». Dans le cadre de la montée du terrorisme islamiste des années 2000, Marion Maréchal Le Pen se livrait à un spectaculaire exercice de contorsion stigmatisante. L’immigré/barbare était devenu un musulman/islamiste dont la couarde école républicaine n’était que la passive réceptrice. Alors députée FN du Vaucluse, elle commentait ainsi les attentats du 13 novembre 2015 à Paris : « … ces monstres sont le fruit du laxisme d’État […] L’islam radical pullule sur notre territoire, […] Non, les départs au djihad ne sont pas dûs à l’islamophobie (…) mais à l’avancée de l’islam radical, qui avance chaque fois que la République recule[11]Le Figaro, « Attentats : Maréchal Le Pen dénonce un “laxisme d’Etat” », 21 novembre 2015. ». Invitée d’Europe 1, le 9 décembre 2020 pour débattre des thématiques scolaires, elle renouvelait cette contorsion en évoquant la décapitation de Samuel Paty qui eut lieu quelques semaines auparavant en ces termes : « On va aujourd’hui contrôler, restreindre drastiquement la question de l’école à la maison ou encore des écoles privées, alors qu’on sait qu’aujourd’hui que 100 % des terroristes sortent de l’école publique ». Le 17 février 2021, la conseillère municipale de Toulon, Laure Lavalette, était sur le même registre de manipulation. L’assassinat de Samuel Paty était la preuve de cette évidente complicité entre certains enseignants et les terroristes : « … Les idiots utiles du multiculturalisme et de la haine de soi, malheureusement très nombreux parmi le personnel de l’Éducation Nationale, se retrouvent maintenant en première ligne face aux exactions de leurs anciens protégés […] les professeurs subissent de plein fouet les pressions de l’hydre islamiste qu’ils ont eux-mêmes accouchée[12]Rassemblement national, « L’islamisation de l’école », Laure Lavalette, 17 février 2021. ».

La décadence

Entendre un discours de Jean-Marie Le Pen en 1974 ou lire un texte de Robert Ménard en 2016 est une bonne façon de mesurer l’acharnement viscéral de ces idéologues à fabriquer de la décadence. Leur arme favorite sans laquelle ils n’ont plus grand-chose à dire. Dans une allocution télévisée qu’il tenait le19 avril 1974, alors qu’il était candidat à l’élection présidentielle de cette même année, Jean-Marie Le Pen disait son mot-fétiche en ces termes : « Vous sentez bien que la décadence qui mine nos institutions, nos lois, nos mœurs, que le désordre dans la rue, à l’école, au travail nous affaiblit ». En 2016, Robert Ménard, l’actuel maire de Béziers, affirmait dans son livre Abécédaire de la France qui ne veux pas mourir : « Nous sommes des millions à le penser : la France est en train de crever […] Car le système fait la guerre à notre histoire, il l’a détruit patiemment, par l’école, par les médias[13]Richard Vassakos, La croisade de Robert Ménard. Une bataille culturelle d’extrême-droite, Libertalia, 2021, p. 139. ».

Lorsqu’ils rentrent dans le détail de cette dégradation scolaire, ces contempteurs reprennent les mêmes antiennes que leurs prédécesseurs historiques. De Valéry Giscard d’Estaing à Emmanuel Macron, rien ni personne n’échappera à ce déluge. Dans les années 70, le journal Rivarol parlait de « la décadence de l’orthographe » comme une preuve de la « décadence de la société libérale avancée dernier stade de décomposition du système démocratique[14]Rivarol, « La démocratie est-elle allergique à l’orthographe ? », Jean Denipierre. ». Le FN a pris à pleine main cette hache de guerre pour pourfendre l’Éducation nationale à toute volée. Au milieu des années 80, le rapport Martinez fut un summum de violence idéologique : « Les élèves, même en terminale, remplissent une enveloppe à la manière de quasi-analphabètes. S’ils apprennent à remplir une enveloppe, aucun d’entre eux n’aura complètement perdu le temps de sa scolarité[15]La lettre de Jean-Marie Le Pen, « Rapporteur du budget de l’éducation nationale, Jean-Claude Martinez « scandalise » l’intelligentsia de gauche », 15 novembre 1986. ». Marine Le Pen et son équipe adresseront aux ministres successifs de l’Éducation nationale – ces « experts de l’illettrisme qui s’accroît[16]Marine Le Pen, Discours du 1er mai 2011. » – une série d’anathèmes sur la « faillite » de l’éducation, « l’abaissement » de l’orthographe et la « dégradation » de la maîtrise du français[17]Rassemblement national et Collectif Racine, « Pétition : il faut redresser l’école et non rabaisser la langue ! », 9 février 2016..

Un ADN extrême-droitier

Après avoir longtemps plus ou moins tournoyé autour du pouvoir politique sous la Cinquième République, cette extrême droite est désormais dans ses arcanes depuis les législatives de juin 2022 : en capacité d’agir. L’école de la République devra être particulièrement attentive à ce que l’ADN de la haine, du stigmate et de la décadence dont cette mouvance politique est porteuse n’entame en rien le « Liberté, Égalité, Fraternité » de ses frontons scolaires.

Jean-Michel Barreau
Professeur émérite de l’université de Lorraine
Historien de l’école et de l’éducation

Bibliographie

Jean-Michel Barreau, « Le Front national et l’école de la République. Un idéologue de la décadence », Recherches et éducations, 2019.

Jean-Michel Barreau, Vichy contre l’école de la République. Théoriciens et théories scolaires de la « Révolution nationale », Flammarion, 2000.

Jean-Michel Chapoulie, L’école d’État conquiert la France. Deux siècles de politique scolaire, Presses universitaires de Rennes, 2010.

Frédéric Ogé, Le journal L’Action française et la politique intérieure du gouvernement de Vichy, Institut d’Études politiques, Universités des Sciences sociales de Toulouse, 1983.

Yves Bouthillier, Le drame de Vichy – II – Finances sous la contrainte, Plon, 1951.

Notes[+]