École : 
de quelle(s) mixité(s) parle-t-on ?,  Numéro 34

Mixité, genre, égalité : 
une quadrature ?

La mixité des sexes a conduit à une certaine forme d’égalité

Il y a 150 ans, un noyau de femmes, auxquelles se ralliaient quelques hommes, militaient pour l’égalité des sexes dont découlerait leur indispensable émancipation. Des luttes, des réussites et des échecs ont permis à la génération des femmes d’aujourd’hui de bénéficier d’une véritable place dans l’espace social, à tel point que l’on pense parfois que la distribution de notre état social relève d’un allant de soi de la nature humaine, du progrès humain, naturellement. Pourtant, certains espaces sociaux accueillent toujours les femmes avec réticence, certains secteurs économiques peinent à embaucher des femmes ou des hommes selon les cas, les meilleures positions économiques, sociales et politiques sont encore trop souvent occupées par des hommes quand bien même la proposition de femmes est plus élevée dans le secteur professionnel observé, certaines tâches sont encore perçues comme féminines ou masculines associant de manière trompeuse les compétences acquises par l’apprentissage social et l’expérience à la typologie de la tâche à réaliser.

Cinquante années de travaux scientifiques ont démontré que la mixité déclinée sous la forme d’une co-présence des sexes dans un même lieu, ne garantit nullement l’égalité. Ces travaux ont aussi remis en cause la croyance en une mixité constitutive d’une première étape de l’égalité. Non, la mixité ne pave pas le chemin de l’égalité réelle. Certes, le premier pari féministe est sans doute tenu : l’émancipation économique des femmes est un acquis et doit le rester. Cependant, si le principe républicain d’égalité demeure un symbole fort dans notre pays, les valeurs à travers lesquelles il se décline restent floues, les modalités par lesquelles il s’opérationnalise sont loin d’être homogènes visant parfois des perspectives contradictoires1. Cela conduit à des points de blocage qui tendent à se pérenniser. À l’école, l’un de ces points résistants est celui de l’orientation scolaire qui préfigure l’insertion sociale et économique en fonction du sexe. En effet, si l’orientation est une priorité identifiée par toutes les conventions interministérielles successives depuis l’an 2000, une inégale ventilation des filles et des garçons dans les parcours scolaires et universitaires demeure. La convention 2019-2024 insistait d’ailleurs sur l’objectif d’une plus grande mixité des filières de formation. En effet, si les garçons sont toujours présents dans trois quarts des filières disciplinaires, les filles n’en investissent que le tiers. Les difficultés qui concernent les filières mathématiques et certaines filières des sciences ne sont certes pas nouvelles mais paraissent résistantes. En mathématiques, les tests standardisés montrent des différences de réussite qui n’évoluent pas positivement. Par ailleurs, les filles disent moins apprécier les mathématiques que les garçons2, ce qui pourrait expliquer qu’elles soient moins présentes dans ces filières, mais n’apporte pas d’argument permettant de comprendre cette moindre appréciation.

Faudrait-il recourir à l’idée que certaines disciplines sont perçues comme plus masculines donc convenant mieux aux garçons ? Avoir recours à ce type d’argument évite d’aborder le problème plus coriace des rapports de pouvoir à l’œuvre dans l’espace scolaire (en particulier celui de la classe) et de pointer les mécanismes de la domination masculine qui prévalent.

La mixité des sexes encourage le recours à l’idée d’alignement contenu dans la matrice sexe-genre-sexualité3 (désir hétérosexuel s’entend) et celle-ci conduit à l’égalité dans la différence. Si l’acceptation collective de l’idée d’égalité semble établie, aller vers l’égalité réelle implique de lâcher certains privilèges. Même parmi les esprits éclairés, la prise de conscience des limites matérielles où se logent les rapports de pouvoir est difficile, sensible, alors que c’est une constante des espaces sociaux.
La proportion de filles présentes dans la filière universitaire du sport diminue depuis quelques années montrant une désaffection de plus en plus marquée. Une ritournelle simpliste suggère que les filles osent davantage inscrire cette filière en vœu prioritaire au moment de l’orientation. Une étude très complète menée par deux spécialistes4 des STAPS démontre que plus de la moitié des filles sportives qui ont fait ce choix y ont été encouragées par la famille, les ami·es, leur professeur·e d’éducation physique et sportive (EPS) dans une moindre mesure. D’autres, qui n’ont finalement pas fait ce choix, ont été découragées principalement par des hommes de leur entourage (famille, amis), et de l’école (hors EPS). Les représentations genrées pèsent sur les choix d’orientation. Au-delà des injonctions à faire des choix qui engagent pour toute une carrière, les filles sont-elles véritablement invitées à prendre leur place dans cette filière (comme dans celles citées plus haut) ? Quelle expérience des rapports sociaux vont-elles y vivre ?

L’égalité peut-elle être sexiste ?

Cet oxymore n’est-il que provocation ? Depuis 2017, le Haut Conseil à l’Égalité (HCE) produit un état des lieux du sexisme en France qui atteste de la stabilité, voire de l’augmentation de cette idéologie dans notre pays, qui s’exprime particulièrement en certains lieux, dont l’école. En 2024, l’école et les réseaux sociaux numériques ont été épinglés par le HCE comme des espaces de socialisation sexistes (Pierre-Brossolette, 20245).

Le processus de socialisation fait la part belle à l’idéologie sexiste dans laquelle chaque individu se trouve nécessairement impliqué en dehors même de toute prise de conscience. Le sexisme n’est pas un biais individuel, ou une attitude d’infériorisation, c’est le mécanisme qui sous-tend le rapport de hiérarchisation patriarcal entre les sexes. Cette idéologie partagée, apprise en société, amène à se saisir de possibles actions sexistes qui s’étendent sur un continuum allant de l’humour au féminicide, en passant par le viol. C’est à partir de l’idéologie sexiste que se jouent d’autres postulats d’infériorisation qui se font jour à propos du genre, des sexualités, de la nature des corps féminins et masculins.

Le climat scolaire doit composer depuis quelques années avec les cyberviolences. Celles à caractère sexiste et sexuel sont à comprendre dans le cadre du fonctionnement des outils numériques mis à disposition des jeunes et des enfants désormais de manière précoce, de la dématérialisation de la communication (le « virtuel ») qui se matérialise néanmoins à travers la réception du message écrit, ou d’images. L’étude de la prévalence des cyberviolences est intéressante car elle met au jour une différenciation issue du double standard de genre : les garçons sont davantage concernés par le racket en ligne et l’injonction de virilité quand les filles le sont à propos des normes réputationnelles, soumises au contrôle des pairs.

Au-delà des différences, l’égalité est-elle pensable, à quelles conditions ?

Assez récemment, des femmes se regroupent entre elles en non-mixité pour parler de leurs préoccupations dans un espace sans jugement. Des équipes sportives rassemblent des personnes qui ne se reconnaissent pas dans l’alignement de la matrice sexe-genre-sexualité pour jouer en mixité choisie6. L’exploration des combinaisons permettant de faire expérience autrement, mais de manière choisie, pourrait amener à élaborer l’égalité en vivant des mixités faisant fi des repères catégoriels.

Sigolène Couchot-Schiex
Maîtresse de conférences, laboratoire LIRTES
INSPE de l’académie de Créteil.

  1. Gaël Pasquier, Promouvoir l’égalité des sexes à l’école… mais laquelle ? Carnets rouges n°15, 2019, 12-14. ↩︎
  2. Nathalie Sayac et Nadine Grapin, Stratégies et degrés de certitude des filles et des garçons en mathématiques. Repères IREM n° 104, 2016. En ligne : https://irem.univ-grenoble-alpes.fr/revues/reperes-irem/consultation-en-ligne/numero-104-reperes-irem/4-strategies-et-degres-de-certitude-des-filles-et-des-garcons-en-mathematiques-quelles-differences-pour-quels-resultats–1361890.kjsp ↩︎
  3. Elsa Dorlin Elsa, Sexe, genre, sexualité. Introduction à la théorie féministe, Presses Universitaires de France, 2008. Éric Fassin, Le sexe politique. Genre et sexualité au miroir transatlantique, École des hautes études en sciences sociales, 2009. ↩︎
  4. Cécile Ottogalli-Mazzacavallo, Marie Schirrer, Yves Fol, Lycéen·nes, sportivité et orientation en STAPS, Conférence, SNEP-FSU, Paris, 17 juin 2021. En ligne : https://hal.univ-lorraine.fr/hal-03691910v1 ↩︎
  5. Sylvie Pierre-Brossolette et al. Rapport annuel 2024 sur l’état des lieux du sexisme en France. S’attaquer aux racines du sexisme. Rapport n°2024-01-22-STER-61, Haut Conseil à l’Égalité, 2024. En ligne : https://www.haut-conseil-egalite.gouv.fr/IMG/pdf/hce_-_rapport_annuel_2024_sur_l_etat_du_sexisme_en_france.pdf ↩︎
  6. Alison Hernandez-Joset, Virginie Nicaise et Natacha Chetcuti-Osorovitz, Terrain de football, terrain de luttes : un nouvel espace de pratiques féministes, queer et sportives. Nouvelles Questions Féministes, 2024, 43(1), 72-85. ↩︎