Confiance
Depuis 2017 aucun des professionnels de l’éducation n’est épargné par la défiance que manifeste le ministère dirigé par Jean-Michel Blanquer. L’entreprise de déstabilisation engagée est redoutable, particulièrement dans le 1er degré.
Les enseignant-es en premier lieu doivent perdre confiance dans leurs compétences. Lors de la publication de PIRLS 2017, Jean-Michel Blanquer déclare dans sa conférence de presse que « laisser les enseignants choisir leur manuel et leur méthode relève de la non-assistance à élèves en danger ». Aucun journaliste ne rappelle au ministre que les résultats qu’il commente sont mesurés sur des élèves ayant suivi les programmes de 2008 qu’il a lui-même souhaités, puis promus, en tant que directeur de cabinet de Gilles de Robien, puis DGESCO sous Luc Châtel. Ainsi, le ministre peut affirmer sans être contredit qu’il est temps de développer les « enseignements fondamentaux » sur lesquels avaient déjà été resserrés les programmes concernés (au point que la France se distingue par la place démesurée qu’ils ont pris dans les horaires de classe). D’innombrables « guides », textes et dispositifs divers se succèdent depuis lors sans trêve, pour contraindre et contrôler le travail des enseignant-es du primaire.
Mais plus largement, c’est un collectif qui doit perdre tout sentiment de légitimité ou d’efficacité professionnelles. Ainsi, le « vademecum du 100% réussite » demande aux formateurs-trices « de maîtriser parfaitement les préconisations et les ressources d’accompagnement », afin que « le choix des contenus de formation ne se [fasse] pas en fonction de l’expertise du formateur (risque de spécialisation, d’enfermement dans des contenus figés et obsolètes) mais en fonction des besoins identifiés » (sic). Le « plan français » qui démarre à la rentrée 2020 est annoncé comme un « nouveau modèle fondé sur la confiance et la proximité » ; alors même qu’il pourrait être l’occasion de développer la réflexion et les échanges entre pairs dans des « constellations » de 8 enseignant-es, ce plan prévoit en réalité surtout un cadrage national et académique du travail des formateurs-trices du 1er degré.
Pour tous les niveaux d’enseignement, Jean-Michel Blanquer a mis le mot « confiance » en exergue de tout ce que produit le ministère, jusqu’à la loi votée à l’été 2019 après 3 mois d’une mobilisation d’ampleur pour l’empêcher.
Rarement la fracture entre le discours et les actes n’aura été aussi nette : cette loi « pour une école de la confiance » s’ouvre sur un article dont l’objectif est de mieux contrôler l’expression des enseignant-es. En outre, elle remplace une scolarisation de 3 à 6 ans réalisée à 98% par la confiance réelle des familles envers l’école, par une obligation d’assiduité permettant de sanctionner les administré-es réclacitrant-es (et dans la foulée, de faire financer les écoles maternelles privées par les municipalités qui ne le faisaient pas jusqu’alors).
Face à l’entreprise de sape d’une institution à travers les professionnel-les qui la font vivre, qu’une « confiance » brandie en étendard est censée masquer, il est vital que tou-tes les militant-es concerné-es (enseignant-es / syndicalistes, militant-es pédagogiques, parents et ami-es de l’école publique ) travaillent de concert à renforcer la confiance qui permet de résister : confiance dans leur légitimité et leurs compétences, confiance dans les capacités de tous les enfants, confiance dans la possibilité que l’institution puisse rompre avec les années que nous traversons, pour se fixer le seul objectif qui vaille d’une école égalitaire et démocratique .
Rachel Schneider
Professeure des écoles
et militante au SNUipp-FSU (secteur éducatif)
Ressource
Pereira I., Bréviaire des enseignant-es. Science, éthique et pratique professionnelle, Éditions du croquant, 2018.