Gérard Aschieri,  Numéro 1,  Quels programmes pour une culture partagée ?

Socle : continuité ou rupture ?

La question du socle commun a traversé tout le débat éducatif depuis près de 10 ans. Pourtant l’idée de s’accorder sur ce que tous les élèves doivent maîtriser à l’issue de leur scolarité obligatoire peut sembler relever du bon sens. Et les partisans du socle de défendre l’idée qu’il s’agirait d’un objectif à atteindre qui donne du sens et de la cohérence aux enseignements, en permettant de mettre en relation les disciplines éclatées ; bref un gage de démocratisation à l’inverse des choix qui visent à exclure de façon précoce une partie des élèves.

Cette conception n’est pas à écarter a priori et on peut faire crédit à nombre de ceux qui la défendent de leur bonne foi. Il n’en reste pas moins que le socle commun instauré en 2005 est loin d’être un instrument démocratique. Ses ambiguïtés et ses impasses sont en effet patentes

Lorsqu’on y regarde de près on voit que la construction de ce socle, lorsque François Fillon était ministre de l’éducation nationale, a été marquée par une tension entre deux conceptions, celle d’un minimum réduit aux fondamentaux et une autre plus ambitieuse, celle de contenir tout ce que nul ne saurait ignorer. C’est la deuxième qui semble l’avoir emporté dans les textes encore que l’introduction des compétences clés prônées par l’union européenne et l’instauration du Livret Personnel de Compétence aient contribué à tirer dans le sens inverse.

Mais même si les batailles syndicales ont permis d’en élargir le contenu, une des caractéristiques du socle commun est de prétendre séparer ce qui est «essentiel», et donc offert à tous, de ce qui est non pas «superflu» mais renvoyé à un autre type d’offre : une offre destinée à une partie des élèves ou reléguée à l’extérieur de l’école alors qu’elle correspond à des «indispensables» pour s’insérer dans la société, jouir de la plénitude de ses droits humains et jouer son rôle de citoyen.

Par ailleurs la métaphore même de socle est significative avec ce qu’elle suggère en termes de fermeture et d’absence de dynamique. Et de fait le socle dans sa conception issue de la loi de 2005 ignore largement la question de la poursuite d’études en devenant une fin en soi. En fait l’objectif du socle se substitue à celui de faire acquérir à tous les jeunes une qualification reconnue et s’inscrit dans la pérennisation d’une scolarité obligatoire limitée à 16 ans. La notion de compétences qu’il contient – et qui n’est qu’une caricature de ce que les pédagogues mettent dans ce mot – confirme d’une certaine façon cette substitution et lui donne son sens social. Derrière, il y a l’idée que, s’il faut accroître le pourcentage d’une classe d’âge accédant à un diplôme de l’enseignement supérieur pour construire la fameuse «société de la connaissance» prônée à Lisbonne, il n’est pas utile de prévoir pour les autres un accroissement de leur qualification : les petits boulots de service auxquels on les destine ne le nécessiteraient pas.

Son rétrécissement à quelques fondamentaux dans les ÉCLAIR n’a peut-être pas été un dévoiement de sa logique mais un approfondissement de celle-ci. À partir du moment où l’on admet que tous les élèves n’ont pas droit à une culture commune, riche, formatrice et évolutive, on en arrive facilement dans le cadre d’une logique de pénurie de moyens à n’offrir à certains que le minimum. Dans une telle logique le socle ainsi conçu devient une justification de la suppression des moyens consacrés à l’éducation voire de l’externalisation de certaines formations.

Il n’en reste pas moins vrai que confrontés à la présence massive de l’échec, à des évictions précoces qui menacent de s’accentuer, nous devons nous poser la question des objectifs communs à se donner à chaque étape pour permettre à tous d’aller plus loin. Cette préoccupation est légitime; encore faudrait-il se poser la question du contenu qu’on y met et surtout de son inscription dans un projet de poursuites d’études pour tous dans le cadre d’une scolarité portée à 18 ans.

En effet la question des savoirs, de leur complexité et de leur articulation a aujourd’hui une tout autre dimension que celle portée par le socle. N’a-t-on pas à la penser autrement en se posant la question des besoins de formation des jeunes dans notre société et notre monde, qui implique non seulement des ambitions nouvelles mais une conception différente des savoirs, de leur acquisition et de leur articulation dans un autre rapport au temps ?

“ La loi de refondation de l’école marque de ce point de vue une inflexion intéressante même si elle n’est pas dénuée d’ambiguïtés. ”

La loi de refondation de l’école marque de ce point de vue une inflexion intéressante même si elle n’est pas dénuée d’ambiguïtés Ce n’est pas tant d’ailleurs la formule qui indique qu’il s’agit de « garantir à chaque élève les moyens nécessaires à l’acquisition d’un socle commun de connaissances, de compétences et de culture, auquel contribue l’ensemble des enseignements dispensés au cours de la scolarité́ ». C’est plutôt la suite, qui précise que «Le socle doit permettre la poursuite d’études, la construction d’un avenir personnel et professionnel et préparer à l’exercice de la citoyenneté». La formule tout en conservant le terme de socle lui donne un sens bien plus dynamique et ambitieux.

Et le commentaire qu’en fait le Conseil Supérieur des programmes dans la Charte pour l’élaboration des programmes semble aller dans le bon sens :

« En définissant le socle commun comme socle commun « de connaissances, de compétences et de culture », le législateur n’a pas entendu juxtaposer trois références placées sur le même plan, au risque de stratifier les apprentissages, mais donner sens à l’ensemble en rappelant l’ambition d’une formation permettant d’accéder à une véritable culture et dépassant l’opposition artificielle parfois entretenue entre connaissances et compétences. Cette culture commune sera par ailleurs définie comme l’idéal d’un bien commun à construire, qui admet le jeu des différences dans l’échange, plutôt que comme un donné initial imposé, qui risquerait d’être un facteur discriminant. »

“ Il ne devrait donc plus y avoir le socle d’un côté et les programmes de l’autre. ”

Le projet de socle rendu public début juin par ce même conseil (et soumis à la décision du ministre) le confirme. D’une part il ne se présente pas comme un programme-bis mais comme le cadre d’ensemble d’une rénovation des contenus : ce qui implique qu’il ne devrait donc plus y avoir le socle d’un côté et les programmes de l’autre. D’autre part il affiche le souci d’en finir avec l’opposition entre connaissances et compétences en établissant clairement le lien entre les deux : les connaissances acquises doivent déboucher sur la capacité à les mettre en œuvre, et les compétences impliquent de mettre en mouvement des connaissances. Enfin il s’efforce de combattre la hiérarchie implicite entre les disciplines

Ces inflexions seront elles suivies d’effet ? Le socle commun revisité débouchera-t-il sur la construction d’une véritable culture commune? Aura-t-il véritablement l’ambition de permettre la poursuite d’étude pour tous ? Rien n’est joué ni dans un sens ni dans l’autre. La loi reste ambiguë ; la scolarité obligatoire bornée à 16 ans et le socle inscrit dans ces limites ; la question -décisive- de l ‘évaluation est encore largement ouverte et sujette à controverses.

À l’évidence une politique d’austérité et de limitation des moyens de l’éducation peut aboutir à ce que ces intentions restent lettre morte et que les programmes et le socle arbitrés par le ministre tournent le dos à ces ambitions. Et de ce point de vue le maintien du terme socle est un signe négatif. Il n’en reste pas moins que les forces progressistes qui se battent pour une école de la réussite pour tous auraient sans doute intérêt à les prendre au mot et à en faire des points d’appui à la fois pour se battre contre l’austérité et pour leur donner toute leur portée progressiste.

Gérard Aschieri
Président de l’Institut de Recherches FSU