L’école discrimine-t-elle ? | Choukri Ben Ayed
L’école discrimine-t-elle ? Le cas des descendants de l’immigration
nord-africaine
Choukri Ben Ayed
Éditions du croquant, 2023
Note de lecture proposée par Christine Passerieux
Le constat est alarmant mais sans appel. Depuis longtemps appréhendés « à travers le prisme de l’échec scolaire », les enfants de parents issus de l’immigration des classes populaires, subissent une dégradation croissante de leurs conditions de vie et de scolarité. Depuis des années Choukri Ben Ayed poursuit ses recherches sur la mixité sociale et dans cet ouvrage aborde les relations entre l’école et l’immigration nord-africaine, et développe la notion de discrimination qui « ne trouve que partiellement ses sources au sein de la sociologie scolaire ».
La particularité de l’ouvrage et son parti-pris s’expriment dans le titre qui se termine par un point d’interrogation. Sociologue, l’auteur engage en effet le lecteur dans son travail de conceptualisation de l’objet discrimination. Son propos consiste alors à décrypter s’« il est possible de mobiliser la notion de discrimination plutôt que celles d’inégalités, d’ethnicisation, de racisme ou de ségrégation scolaire dans l’espace scolaire ».
C’est par une approche qualitative que l’ouvrage se garde de toute « vision homogénéisante » ou essentialisante, dont on connaît désormais les effets socialement et politiquement dangereux, qui assigne à une identité collective ‘d’origine’ sans rendre compte de la complexité des histoires singulières, (par exemple la pluralité des générations issues de l’immigration) ainsi que des mécanismes très divers qui participent à la stigmatisation des élèves concernés.
Démarche particulièrement nécessaire alors que prolifèrent des parutions qui se caractérisent par une absence totale de rigueur scientifique et alimentent nombre de discours, constitués en doxa par l’idéologie dominante. Pour ce faire Choukri Ben Ayed procède à un questionnement approfondi des apports de travaux antérieurs, et en particulier ceux d’Abdelmalek Sayad sur « la condition d’immigré ». Dans ce travail exigeant il explore les articulations possibles entre les travaux existants, traversés de nombreuses controverses. Son ouvrage s’appuie sur les matériaux de l’enquête qu’il a menée auprès d’élèves issus de l’immigration depuis trois générations, pour opérer « un dialogue fécond entre sociologie et droit » (en se référant en particulier aux obligations faites aux états par la convention des droits de l’enfant de l’Unesco).
Ce faisant il ouvre un large champ de réflexion, dans une perspective qui a l’immense intérêt de récuser toute « vision totalisante » de l’école, car « l’institution ainsi que ses personnels ne constituent pas des entités monolithiques mues par des modes de fonctionnement unifiés ». Également parce que des élèves ont « trouvé leur voie de salut dans l’institution scolaire à la faveur de contextes scolaires moins ségrégatifs ». L’enquête bouleverse nombre d’idées convenues en montrant l’hétérogénéité des situations et des ressentis des élèves, et montre les limites d’enquêtes quantitatives, qui, si elles sont nécessaires ne peuvent restituer la réalité effective du problème. A travers les entretiens, le chercheur relève des mécanismes discriminatoires « complexes, éclatés, dispersés » qui attentent à « la dignité des élèves, à leur intégrité morale et physique et pourrait-on ajouter psychologique », ainsi qu’à leur scolarité. Pour autant il se garde de parler de « discrimination systémique », mais « de discriminations scolaires qui peuvent prendre des déclinaisons différentes » qu’il recense, et dénonce une école qui loin « d’universaliser », « particularise » au nom de ‘différences’ naturalisées.
Au cœur de l’ouvrage c’est la question des effets de la discrimination qui est posée lorsque des élèves se sentent exclus d’un commun, lorsque leur trajet de vie devient une marque d’indignité et qu’ils ne se sentent « pas élèves de plein droit ». Il rappelle alors que l’école est ce lieu spécifique qui a pour fonction d’affirmer et de mettre en œuvre la capacité de tous à apprendre, se transformer. Cet ouvrage arrive à point nommé, alors que la loi contre le séparatisme est une pierre de plus à l’édifice de stigmatisation et de clivage social, et que les jeunes issus de familles nord-africaines subissent de plein fouet la répression et la violence policière. Choukri Ben Ayed interpelle un pouvoir qui se refuse « à garantir une égalité républicaine devant les services publics dont l’école est la clé de voûte en tous points du territoire ». Il nous offre un outil de combat, d’intérêt public, lorsque nous défendons un système éducatif juste, égalitaire, solidaire.
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