Abécédaire critique de la “novlangue” dans le champ éducatif,  Michel Blay,  Numéro 20

Neuropédagogie

Le terme « neuropédagogie » a fait son apparition publique en France après que le Ministre de l’éducation nationale Jean-Michel Blanquer ait annoncé qu’une des branches des neurosciences dédiée à l’éducation devait être introduite dans les processus d’apprentissage à l’école. Conjointement il a installé le 10 janvier 2018 un « Conseil scientifique de l’éducation » présidé par Stanislas Dehaene, spécialiste de l’application des neurosciences aux questions d’apprentissage. Le terme « neuropédagogie » ou « neuroéducation » correspond à l’anglais « educational neuroscience » ou « MBE » pour « Mind, Brain and Education ». « Neuropédagogie » est souvent remplacé par l’expression « neuroscience pour l’éducation ».

Qu’est-ce que la neuropédagogie ? Elle peut être définie comme un ensemble de savoirs et de recommandations qui entendent augmenter l’efficacité des apprentissages des élèves grâce à des recherches dans le champ des neurosciences. Il s’agit principalement d’une nouvelle norme, s’inspirant des travaux développés dès la décennie 1980 dans le mode anglo-saxon, et pouvant se décliner ainsi : comprendre, construire et orienter les politiques de l’éducation des générations futures à partir de la connaissance du cerveau obtenue en particulier par l’imagerie cérébrale.

Ce cadre normatif centré sur l’étude du fonctionnement du cerveau de chaque individu conduit à renoncer à prendre en compte d’une façon significative les éléments liés à son environnement social. Ainsi, les inégalités sociales, rapportées au cerveau de chacun se trouvent comme scientificisées et naturalisées.

Le statut « scientifique » accordée à la neuropédagogie repose sur la conception que l’on se fait du fonctionnement du cerveau. Quel en est le fondement « scientifique » ? Pour répondre à cette question la lecture des écrits de Stanislas Dehaene s’impose. Ce dernier nous explique dans un article de 2013, intitulé « Les quatre piliers de l’apprentissage » (Paris Innovation Review : PSL) que le cerveau, riche de sa plasticité, est « très organisé » voire « contient d’emblée ce qu’on pourrait nommer des algorithmes ».

On notera dans ce texte une certaine ambiguïté concernant ce qui relève de l’inné et de l’acquis puisque les algorithmes semblent se situer comme à la charnière de ce qui constitue en neurosciences le partage entre l’organisation générale du cerveau qui est liée au bagage génétique de chacun et le rôle accordé à la plasticité neuronal. L’étude du fonctionnement du cerveau repose pour l’essentiel sur l’imagerie cérébrale et le repérage de zone d’activité. Comment de leur simple observation, Stanislas Dehaene peut-il conclure à la présence de processus de type algorithmique pouvant se réorganiser ou se reprogrammer, c’est-à-dire à statut explicatif ? La réponse est simple : le cerveau est conçu a priori comme un ordinateur à structure algorithmique et il est alors aisé de conclure de ce qu’on observe qu’il y a des algorithmes sous-jacents puisqu’on présuppose qu’il y en a. L’hypothétique (l’existence des algorithmes dans le cerveau) est confondu avec le réel : la neuropédagie passe allégrement d’un statut scientifique à celui d’idéologie. Il y a tout lieu de s’inquiéter d’une telle démarche car ce qui semble être visé, en dernier ressort c’est, via les récents travaux sur la plasticité du cerveau, de le normer et de l’éduquer pour répondre aux futurs besoins industriels de l’intelligence artificielle.

Michel Blay
Directeur de recherche honoraire au CNRS,
Président du conseil scientifique
de l’institut de recherche de la FSU

Ressource

Blay, M, Laval C., Neuropédagogie. Le cerveau au centre de l’école, Paris, Tschann & Cie, 2019.