Numéro 17,  Propositions de lecture

Neuropédagogie. Le cerveau au centre de l’école

Michel Blay et Christian Laval. Tschann & Cie.

Note de lecture proposée par Christine Passerieux

Cet ouvrage, au contenu très dense, propose dans sa conception même une pensée plurielle aux antipodes de l’application mondialisée des neurosciences dans tous les domaines, dans ce que les auteurs nomment une neuropolitique généralisée. Ici la sociologie, la philosophie, l’histoire des sciences se répondent, avec leurs apports spécifiques, dans un questionnement commun. Démarche de savoir, pour comprendre et agir, à l’opposé d’une démarche d’hégémonie, d’autorité, de pouvoir.

Dès l’introduction les auteurs posent le cadre de leur propos. Ce qui est en jeu c’est bien une conception de l’homme : « le ‘cerveau’ est devenu tout à la fois un sujet moral, politique et économique, quand ce n’est pas un sujet historique ».

Christian Laval s’intéresse dans une première partie au virage neuronal de l’éducation, qui consacre la neuropédagogie « comme la seule et vraie science de l’éducation » alors que le cerveau est considéré « comme le lieu anatomique de l’apprentissage et de la connaissance ». Hypothèse, car ce n’est rien d’autre, ô combien idéologique et qui présente un double « avantage » : se trouve évacué ce qui contribue dans la complexité (socialement, historiquement et culturellement) au développement du petit d’homme, réduit à son seul cerveau en même temps que sont évacuées des décennies de recherche en sociologie, psychologie et sciences de l’éducation pour imposer un scientisme hégémonique. Démarche dont la scientificité laisse terriblement à désirer mais qui permet désormais d’imputer l’échec scolaire aux mauvaises méthodes, qu’il suffirait donc de changer, et non à une société inégalitaire qui, elle, doit demeurer. C’est au nom de la neuropédagogie définie comme étant LA solution que Dehaene se fait le chantre d’une « véritable science de la lecture ».

L’intérêt majeur du texte de Christian Laval réside en ce qu’il montre que derrière la promotion de bonnes méthodes (qui la plupart du temps relèvent du déjà là, de l’évidence ou du bon sens !) se dessine une neuroanthropologie telle que la promet Jean-Pierre Changeux[1]J.P.Changeux, Préface de Les Neurones de la lecture, Odile Jacob, 2007 lorsqu’il écrit que « les neurosciences vont nous apporter une nouvelle vision, une nouvelle conception de l’homme et de l’humanité ».

Michel Blay est philosophe, historien des sciences, directeur de recherche au CNRS et consacre une deuxième partie à « l’invention du cerveau computationnel », un cerveau qui selon Dehaene (qui ne l’oublions pas dirige le Conseil scientifique de l’éducation nationale créé par Blanquer) fonctionne sur un modèle algorithmique, qui serait confirmé par l’IRMf dont la fonction est… de valider l’hypothèse ! M. Blay dénonce la « grave faute » qui consiste à présenter une hypothèse comme une vérité disant le réel. C’est-à-dire lorsque la science est instrumentalisée par une idéologie qui ne dit pas son nom. Et rappelle que les évidences sont toujours historiquement liées à des choix (politiques, philosophiques, théologiques, scientifiques…). Michel Blay interroge ce choix d’un cerveau conçu comme un ordinateur et passe pour cela par un rappel historique des conceptions de l’homme et de la nature depuis le 18ème siècle qui ont conduit dès le 19ème siècle et de plus en plus efficacement à « surveiller et géométriser les cerveaux, mettre en fiches les populations et leurs mouvements », jusqu’à transformer « l’homme machine des siècles précédents » en « homme ordinateur de la neuroscience computationnelle ». « Concevoir le cerveau comme un ordinateur, c’est aussi vouloir améliorer l’homme : on est dans la problématique de l’homme amélioré »[2]Christian Laval, Union rationaliste, France Culture, 28/07/2019. Le risque est donc majeur face une « ambition totalitaire ».

Mais « rien ne nous impose de nous soumettre aux formes modernes du taylorisme » conclut le texte

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