Un salaire étudiant
Un salaire étudiant. Financement et
démocratisation des études
Aurélien Casta, La Dispute, 2017
Note de lecture proposée par Christine Passerieux
Alors que l’inflation galopante de l’endettement des étudiants est inquiétante à maints égards, les adeptes du développement des prêts étudiants et de la hausse des frais d’inscription sont de plus en plus nombreux, de plus en plus puissants, et fort écoutés par les ministres Blanquer et Vidal. Aurélien Casta, mène une réflexion rigoureuse et très documentée pour en montrer la genèse. Son travail, soutenu par des enquêtes, des entretiens est une analyse approfondie de l’opposition qui existe entre deux conceptions antagonistes du financement des études universitaires et des modalités de sa mise en œuvre. Sa recherche concerne la France et l’Angleterre, depuis les années 1880 jusqu’à la période très contemporaine, en passant par le processus de Bologne, puis la loi LRU en France, pour faire le constat que toutes les prises de position en faveur du secteur privé et de ses pratiques ont depuis le XIXème siècle soutenu indirectement l’avènement d’un secteur à but lucratif.
Il s’appuie sur les travaux de Marx pour montrer comment sont activés, et de manière totalement inconciliable, les concepts de valeur et de richesse, par les tenants de la valeur économique capitaliste d’une part et par les défenseurs d’une valeur économique non capitaliste d’autre part.
Pour les premiers, promoteurs des frais d’inscription et des prêts étudiants, la valeur des études est la valeur économique capitaliste que les étudiants produisent une fois diplômés et en emploi. C’est à partir de là que peut se mettre en place le rapprochement public/privé, au nom de « l’adéquationisme » et de la « professionnalisation » des études, réclamées par les entreprises, et dont ne se préoccuperait pas une université insuffisamment concernée par l’emploi futur des diplômés.
Pour les seconds, qui défendent une valeur économique non capitaliste, l’étudiant est un travailleur, producteur immédiatement de richesse et de valeur économique. Cette conception se développe de 1943 à 1951 et opère une rupture radicale dans le regard porté sur l’enseignement supérieur. En termes de projet politique, mais aussi de financement : le plan Langevin-Wallon définit la démocratisation comme « l’élévation du niveau culturel de l’ensemble de la nation », et défend un « droit égal de tous les enfants au développement maximal » ; en 1946 le premier article de la Charte de Grenoble de l’UNEF définit l’étudiant comme un « jeune travailleur intellectuel » ayant des droits matériels, sociaux (en 1948 est créé un régime spécifique de sécurité sociale confié à la MNEF), politiques… C’est l’égalité réelle qui est visée. Parce qu’ils sont des travailleurs, et donc produisent de la valeur pour l’ensemble de la société, les étudiants doivent bénéficier d’un salaire et poursuivre gratuitement leurs études, ce qui remettait en question les frontières entre formation intellectuelle, manuelle et professionnelle.
Aurélien Casta, défend la nécessité de revenir sur ces mobilisations, de prolonger les revendications qu’elles portaient et pour cela accepte(r) de mener aussi la lutte sur le terrain de la valeur économique des études.
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